La décision du président américain Donald Trump de lever les sanctions imposées à la Syrie [qu’il a annoncée le 13 mai à Riyad, en Arabie saoudite] est une bonne nouvelle. Au moment de la chute de la dictature de Bachar El-Assad, en décembre, le pays était l’un des plus lourdement sanctionnés au monde, et le joug économique que Washington faisait peser sur lui compromettait ses chances de se remettre d’une guerre brutale.
Trump a pris des mesures importantes pour assouplir les restrictions américaines, mais il ne sera pas facile d’y mettre fin intégralement ni de remédier à leurs effets. Si elle entend concrétiser la promesse faite par le président, l’administration américaine devra surmonter une série d’embûches.
Une promesse simple et des intentions sincères
Trump est le premier chef d’État américain à faire preuve d’autant d’audace à cet égard. Les conditions de l’allégement offert à Téhéran par l’administration Obama dans le cadre de l’accord sur le nucléaire iranien étaient si complexes qu’elles ont fait l’objet d’un ouvrage complet. La promesse simple formulée par Trump lors de sa visite à Riyad suggère à l’inverse qu’il est prêt à lever pratiquement sans conditions les sanctions imposées à la Syrie.
Le fait que son administration ait agi rapidement montre que ses intentions sont sincères. Le 23 mai, d’importantes exemptions ont été accordées : la plupart des transactions préalablement interdites avec la Syrie sont désormais autorisées, y compris celles des investisseurs étrangers.
La décision prise par le Trésor américain de suspendre l’application d’un vaste ensemble de sanctions et la dérogation délivrée par le département d’État au titre de la loi César (Caesar Syria Civilian Protection Act, un arsenal de sanctions adopté par le Congrès) ont efficacement mis fin en grande partie à l’embargo quasi total de Washington.
La Syrie continue toutefois d’être soumise à plusieurs régimes de sanctions imposés par les États-Unis, dont certains sont en vigueur depuis 1979. Le pays figure notamment sur la liste des États soutenant le terrorisme et fait l’objet de lois punitives, comme la loi César et la loi sur la responsabilité de la Syrie (Syria Accountability Act). Le groupe djihadiste Hayat Tahrir Al-Cham (HTC), dont est issu le président de transition, Ahmed El-Charaa, figure par ailleurs sur la liste des organisations terroristes étrangères.
Pour que ces sanctions et d’autres puissent être officiellement levées, d’autres mesures devront être prises par le département d’État, le Trésor, le ministère du Commerce et le Congrès. Et l’administration devra aller encore plus loin si elle souhaite s’assurer que l’assouplissement des sanctions permettra d’améliorer la situation sur le terrain.
La balle dans le camp de Damas
Le président devra surmonter plusieurs obstacles politiques. Ceux qui s’opposent à l’allégement immédiat des restrictions s’inquiètent légitimement d’en donner trop, trop tôt aux nouveaux dirigeants syriens. Même si HTC a désavoué Al-Qaida il y a près d’une décennie et qu’il le combat depuis, les liens qu’il entretenait au départ avec ce groupe rendent circonspects les responsables américains.
Le nouveau gouvernement syrien n’aura pas assez de six mois pour prouver sa volonté de s’aligner sur les valeurs et les intérêts américains, même si le ton employé par El-Charaa jusqu’à présent est encourageant. Il s’est en effet engagé à adopter un modèle de gouvernance qui tienne compte de la diversité syrienne et a veillé à établir des relations pacifiques avec ses voisins, y compris Israël.
D’autres signes invitent toutefois à la prudence. Le président syrien s’est attribué de vastes pouvoirs, ce qui fait craindre à certains Syriens une dérive vers l’autoritarisme. Les affrontements violents qui ont eu lieu au début du mois de mars et les massacres subséquents de civils par des factions progouvernementales (quoique agissant de leur propre chef) montrent bien les difficultés que réserve l’avenir.
Les rumeurs suggèrent que de nombreux conseillers de Trump s’opposent à l’assouplissement des sanctions vu les liens qu’entretenait par le passé le président syrien avec Al-Qaida. Il est possible que Trump cède aux pressions de son parti et de son administration et choisisse de reculer et d’imposer des conditions avant d’offrir de nouveaux allégements.
Il ne fait aucun doute que la levée des restrictions pourrait contribuer à aplanir la voie vers un avenir plus paisible et plus prospère, et à réduire les risques que le pays plonge de nouveau dans le chaos et l’instabilité.
Les sanctions ont empêché la Syrie de se reconstruire et affaibli la capacité des autorités à satisfaire les besoins essentiels de la population. Le pays affiche ainsi un taux de pauvreté de 90 % et fait face à une crise alimentaire de plus en plus grave. L’échec des autorités profiterait aux fauteurs de troubles, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des frontières, et aurait pour effet d’accélérer la ruine du pays.
Il est tout à fait logique de vouloir se prémunir contre l’instabilité, d’autant plus que l’allégement des sanctions n’est pas irréversible : elles pourraient très bien être imposées de nouveau si les dirigeants syriens ne respectent pas les engagements qu’ils ont pris envers leur peuple et la communauté internationale.
On peut quoi qu’il en soit remettre en question la pertinence actuelle de nombreuses sanctions ayant été imposées par les États-Unis en réaction aux atrocités commises par le président déchu.
Trump et les États-Unis peuvent aller plus loin
Même si l’impulsion en faveur de la levée des sanctions américaines se confirme, on peut se demander si les mesures prises par Trump feront une réelle différence.
D’autres pays imposent aussi des sanctions, sur lesquelles les États-Unis n’ont aucun contrôle. L’Union européenne et le Royaume-Uni ont levé la plupart de celles qu’ils infligeaient à la Syrie, mais le Conseil de sécurité des Nations unies maintient les mesures restrictives contre HTC et oblige donc tous les États membres, y compris les États-Unis, à les appliquer. Si rien n’est fait pour y remédier, ces mesures continueront d’asphyxier l’économie syrienne même après l’assouplissement des sanctions américaines.
Les exemptions accordées par l’administration Trump sont probablement les plus vastes de l’histoire, mais elles ne couvrent pas tout. On ne peut toujours pas exporter en Syrie la grande majorité des produits américains, de même que les marchandises provenant d’autres pays qui contiennent plus de 10 % de composants fabriqués aux États-Unis.
Les entreprises craignent d’investir dans un pays lourdement sanctionné, même lorsque ces activités sont techniquement autorisées. Des dizaines de mesures supplémentaires devront être prises pour que le président puisse lever intégralement les sanctions qui pèsent sur Damas. En attendant, les restrictions économiques américaines continueront d’assombrir les perspectives en Syrie.
Ce qui complique d’autant plus la situation, c’est qu’une fois les sanctions levées, leurs effets continuent souvent de se faire sentir. Le secteur privé répugne en effet à faire des affaires dans des pays réputés à risque, en particulier s’il y a une possibilité que les sanctions soient imposées de nouveau.
Le président Trump a agi rapidement pour accorder à Damas un sursis immédiat. Il a le pouvoir d’en faire beaucoup plus. Son secrétaire d’État peut retirer la Syrie de la liste des États soutenant le terrorisme. Le secrétaire d’État a aussi le pouvoir de faire retirer HTC de la liste des organisations terroristes étrangères. Et le ministère du Commerce peut prévoir des exceptions concernant les licences et ainsi permettre l’importation en Syrie d’un plus grand nombre de produits américains.
Pas une “solution miracle”, mais de nouvelles possibilités
L’allégement des sanctions n’est pas non plus une solution miracle qui mettra fin à toutes les infortunes de la Syrie. Même si les préoccupations concernant les sanctions finissent par s’estomper, de nombreux autres problèmes continueront d’affliger le pays, qui a été ravagé par la guerre et l’incurie économique. Il faudra des années pour venir à bout des dysfonctionnements et de la corruption qui ont longtemps miné l’appareil étatique.
La Banque centrale syrienne et les autres banques du pays doivent accroître leur transparence et leur crédibilité et apaiser les craintes des banques étrangères concernant les risques de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme. Le gouvernement d’El-Charaa peine par ailleurs à préserver le contrôle fragile qu’il exerce sur les conditions de sécurité et à éviter la spirale de la violence et les risques d’insurrection.
La promesse faite par Trump a ouvert de nouvelles possibilités. Déjà, dans les heures qui ont suivi l’annonce, les Syriens ont payé leur essence moins cher et vu leur monnaie s’apprécier. Des investisseurs du golfe Arabo-Persique envisagent la possibilité d’injecter des fonds dans les infrastructures et le réseau de communication du pays, et une société d’investissement émiratie s’est engagée à investir 800 millions de dollars [691 millions d’euros] dans la modernisation du port de Tartous. Des engagements plus concrets ont par ailleurs été pris, dont un accord conclu avec quatre entreprises, parmi lesquelles une américaine, pour aider la Syrie à élargir son réseau électrique.
Les mois à venir pourraient être marqués par l’accroissement des investissements régionaux et internationaux, le rétablissement des liens entre Damas et le reste du monde et la fin du statut de paria attribué à la Syrie. Pour son peuple, qui souffre depuis longtemps, il s’agit d’une évolution capitale. D’ici à ce qu’elle se concrétise, toutefois, Trump devra travailler d’arrache-pied pour tenir ses promesses. Et il devra s’efforcer d’actionner tous les leviers à Washington pour y parvenir.