C’est sous les ors flamboyants de l’opéra Garnier que s’est close vendredi 20 juin la France Music Week. Champagne dès 11h30, petits fours et déjeuner gastronomique, armada d’hôtes et hôtesses en veston et robe à col montant, pour accueillir les pontes de l’industrie musicale, réunis pour un sommet en forme de point d’orgue. Un événement pour «promouvoir la richesse de la création musicale française» – qui déroule le tapis rouge à ses gros acteurs, à mille lieues de l’esprit populaire de la Fête de la Musique à laquelle il est venu s’accoler.

Une centaine de grosses légumes, leaders mondiaux et investisseurs internationaux se sont donc retrouvés pour plancher sur l’avenir du secteur. Parmi les invités de marque, les plateformes musicales YouTube, Spotify et Deezer, les maisons de disques Warner, Universal Music France et Believe, des représentants d’organisations comme la Sacem ou la Fédération internationale de l’industrie phonographique, ainsi que Live Nation, le géant du spectacle vivant, tous venus discuter nouveaux marchés, sources de croissance, modèles de monétisation ou encore impact de l’intelligence artificielle sur la création musicale.

L’affaire s’ouvre dans une ambiance de talk-show à l’américaine, musique et lumières à l’appui, avec la journaliste Marjorie Paillon en maîtresse de cérémonie. Rachida Dati célèbre dans son discours d’ouverture la diversité culturelle, «clé de voûte» de la musique et de sa politique culturelle. La ministre de la Culture salue dans le même temps le développement des plateformes et de leurs outils de «[rémunération] des artistes pour mieux refléter la valeur des œuvres et l’engagement du public» – grand sourire à Spotify.

Lisa Yang, analyste pour la banque américaine Goldman Sachs et autrice de rapports sur la filière mondiale, dresse un tableau lumineux : en 2024, l’industrie musicale a franchi un nouveau cap avec un chiffre record de 29,6 milliards de dollars (27,2 milliards d’euros), en hausse de près de 5 %. Un dynamisme qui bénéficie aussi, selon elle, aux artistes locaux et non-anglophones, qui s’imposent de plus en plus sur les scènes internationales, et «gagnent de plus en plus de parts de marché» comme le confirme Denis Ladegaillerie, directeur du distributeur Believe.

C’est face à Cécile Rap-Veber de la Sacem et Olivier Nusse d’Universal Music France qu’est enfin abordé «l’éléphant dans la pièce» : comment envisager le juste partage des valeurs ? La Sacem remet là l’église au milieu du village, en rappelant la nécessité de construire un «écosystème plus équitable et plus transparent» et la «mère de toutes les batailles», celle des droits d’auteur. Une «exception culturelle française» – encore une – saluée un peu plus tard par Emmanuel Macron à l’Elysée.

Ce sommet intervient en effet à un moment charnière, où l’industrie musicale est confrontée à la révolution de l’intelligence artificielle, dont l’impact est au cœur des débats. «Comme beaucoup d’autres industries, l’essor de l’IA générative a le potentiel de transformer considérablement l’industrie de la musique. Elle accélère et réduit le coût de la création et de la production des contenus», observe Lisa Yang. L’analyste rappelle que le principal défi réside dans la protection des droits d’auteur et une «perte potentielle de revenus pour les créateurs humains».

Sur la scène, Camille et Clément Ducol – oscarisés pour la bande originale du film Emilia Pérez de Jacques Audiard, et vraisemblablement seuls artistes ayant l’honneur de s’exprimer – corroborent en rappelant «l’anxiété» de leurs pairs face aux nouvelles formes de création et de diffusion, à la fois «exaltants» et «inspirants», mais où «les porte-monnaies des artistes sont souvent oubliés». Fin mai, un collectif de près de 450 artistes et acteurs du secteur appelait dans une tribune relayée par Libération à la mise en place d’un plan de sauvegarde face à l’IA.

Le matin même, la plateforme française de streaming Deezer annonçait épingler par une mention à l’attention de ses utilisateurs les albums dont certains titres sont entièrement générés par l’IA – une première mondiale. L’objectif : réduire les risques de fraude, éviter que ces contenus ne profitent de l’algorithme et protéger les ayants-droit. De son côté, le géant américain du streaming Spotify, pionnier de l’utilisation de l’IA en sous-marin et épinglé par plusieurs journalistes sur ce sujet ces dernières années, défend une «cohabitation possible entre musiques issues de différents processus créatifs». «De nombreux artistes veulent utiliser l’IA», assure tout sourire Dustee Jenkins, directrice des affaires publiques de Spotify. «Il s’agira de savoir ce que le consommateur veut écouter» – «Même si l’IA reste incapable de créer une fanbase, de partir en tourner, bref de créer une connexion humaine.»

C’est dans les jardins de l’Elysée qu’Emmanuel Macron a clôturé la journée, vantant le «rôle clé de la France en tant que partenaire» et appelant à «choisir la France pour la musique». Derrière les mines ravies, la France Music Week laisse un goût contrasté. Avec un budget total de 7 millions d’euros, la semaine et son sommet international ont déployé des moyens inédits pour séduire les géants du secteur, tout en laissant en marge les scènes locales et les acteurs de terrain. Une mise en scène de «l’excellence» française, au moment même où le monde culturel subit des coupes budgétaires sans précédent.