Après 5 ans de mandat, la majorité écologiste strasbourgeoise a décidé de publier un « Panorama de 5 ans d’actions ». L’occasion pour les élu(e)s de retourner tracter sur les marchés pour se confronter aux habitant(e)s, mais aussi de dresser un premier état des lieux de leur exercice du pouvoir, polémiques et alliances compliquées incluses. Pour ce faire, rencontre avec Benjamin Soulet et Floriane Varieras, co-président(e)s du groupe au conseil municipal.

C’est l’heure des comptes : 47 chiffres pour 5 ans de mandat. Dans leur « Panorama de 5 ans d’actions écologistes, solidaires et citoyennes », brochure éditée avec les moyens du groupe municipal, le groupe Strasbourg Écologiste Solidaire et Citoyenne détaille une partie des mesures que la municipalité a mises en place depuis son arrivée au pouvoir en 2020.

Pêle-mêle, on y retrouve 5 500 arbres plantés, 132 000 m2 de surface déminéralisée, 64 cours d’école végétalisées, 50 km de réseau de chaleur, 3 grands parcs, 2 900 arceaux à vélo, 18 distributeurs de protections menstruelles gratuites, 14 abris pour chats errants, 36 % de dioxyde d’azote de moins dans l’air ou 100% du pain distribué dans les cantines qui est bio et local.

livret écolo mesures Exemple du livret. © Nicolas Kaspar / Pokaa

Plus qu’une addition de chiffres et de statistiques, c’est surtout un moyen pour Benjamin Soulet et Floriane Varieras de rendre visible aux habitant(e)s l’action de la municipalité pendant 5 ans, celle-ci n’ayant pas brillé par sa communication durant le mandat.

L’occasion aussi de tirer un premier bilan, non seulement des mesures prises, mais également de l’apprentissage du pouvoir pour des élu(e)s en majorité novices, sur une mandature pas avare en rebondissements et polémiques.

benjamin soulet floriane varieras © Cécile Scherer / Document remis

Une action « centrée sur le quotidien et l’équité territoriale »

Pendant son mandant, la municipalité s’est davantage concentrée sur le quotidien, selon Floriane Varieras, adjointe à la Ville inclusive. Végétalisation des cours d’école, refonte de la tarification solidaire, prix de la cantine ou des déplacements du quotidien : le but a été de faire en sorte « que tous les habitants et habitantes se sentent concerné(e)s par ce qui se passe dans la ville, et que les actions menées le soient à leur bénéfice ».

Pour Benjamin Soulet, adjoint à l’équité territoriale, la satisfaction se trouve dans la victoire d’une bataille culturelle : « L’équité territoriale, c’est un des mots qui est le plus employé maintenant. » Mais au-delà du simple champ lexical, c’est toute une façon de faire que la municipalité a essayé de mettre en place une fois au pouvoir. Car il rappelle que, entre 2004 et 2019, seulement 4,3 millions d’euros avaient été investis à l’Elsau, contre plus de 140 millions dans le quartier Robertsau-Wacken. Ainsi : « L’idée était de réparer, de réorienter les investissements vers plein de territoires qui avaient été un peu beaucoup trop sous-dotés. »

investissement quartiers © PPI de la Ville de Strasbourg / Document remis

On a maintenant cette question de mettre plus là où il y avait moins comme prisme de toutes nos politiques publiques.

Benjamin Soulet, co-président du groupe Strasbourg écologiste, solidaire et citoyenne

Une approche transversale confirmée par Floriane Varieras : « On a essayé de faire plus là où il y avait moins : pour les cours d’école végétalisées, quand on est arrivé, on avait dit, on fait le plus de cours d’école possibles [en réalité ils ont dit 100%, ndlr]. À la fin, ce sera 70% et on a priorisé les écoles en QPV et îlots de chaleur. Ça montre une grille de lecture un peu différente et qui, maintenant, est entrée dans les habitudes de tous les services de la Ville. »

Enfin, souvent critiqué par l’opposition pour son manque de démocratie locale, le groupe écologiste répond par les mots de Benjamin Soulet : « L’opposition veut donner l’impression que c’est très descendant comme façon de prendre les décisions, mais non. Les assemblées de quartier sont plus ouvertes que les conseils de quartier que j’ai connus à l’époque. Moi je trouve qu’elle est très vivante cette démocratie locale. » Il donne pour exemple le futur tiers-lieu au Neuhof dans l’ancien hôpital militaire Lyautey, où depuis 2 ans, la Ville travaille à sa conception avec 5 habitant(e)s du quartier.


Polémiques politiques, temps d’adaptation, façon de gouverner : un mandat pour apprendre

Au-delà de l’état des lieux des actions menées, il est tout aussi, voire plus intéressant, de revenir sur l’apprentissage politique de la gestion d’une collectivité durant ces 5 dernières années. À l’arrivée au pouvoir de Jeanne Barseghian, beaucoup d’élu(e)s étaient novices et ont donc dû apprendre « les rouages, les calendriers, comment tu peux pousser un projet, comment travailler à son acceptabilité et avec les services ».

Un apprentissage à la rude qui a demandé un temps d’adaptation, pas aidé par le contexte du Covid, ni par une opposition prête à faire fructifier chaque erreur des écologistes. Une donnée pas forcément anticipée par le groupe : « On a été très accueillant avec notre opposition. On leur a donné beaucoup plus de moyens qu’avant, et je pense qu’on a sous-estimé l’utilisation qu’ils en feraient. » [Ils ont notamment donné plus de moyens d’expression, ce qui se ressent dans les textes additionnels en fin de conseil municipal, ndlr].

opposition municipale Une opposition de plus en plus unie. © Nicolas Kaspar / Pokaa

On cherchait beaucoup de consensus et à les faire venir avec nous, et en fait eux n’étaient pas remis de leur défaite, et on a sous-estimé le jeu de politique politicienne.

Floriane Varieras, co-présidente du groupe Strasbourg écologiste, solidaire et citoyenne

En 2021, dans un contexte national peu clément envers les municipalités écologistes qui avaient pris le pouvoir dans plusieurs grandes villes, chaque erreur a été scrutée et amplifiée. À Strasbourg, on pense au capharnaüm sur la mosquée Eyyûb Sultan en mars 2021 ou la définition de l’antisémitisme en mai 2021. Des polémiques qui ont renforcé la solidarité du groupe écologiste, mais qui ont marqué : « Nous, on est arrivé avec notre projet en se disant que c’est l’intérêt général des habitants qui primerait sur le reste, et en fait, il y a eu pas mal de manigances quand même. On était moins méfiants, maintenant on fait plus attention. »

On peut néanmoins relever que, depuis, la municipalité s’est retrouvée empêtrée dans un nombre de polémiques assez impressionnant, entre la rue Mélanie, l’extinction de la cathédrale, le pont tournant de la Petite France, les produits autorisés au marché de Noël, la Foire Saint-Jean… Mais pour Benjamin Soulet, l’important est de rester positif : « Je crois qu’on a prouvé qu’il n’y a pas besoin d’avoir forcément une culture historique d’un parti depuis 20 ans et quatre mandats derrière pour mener une politique publique. »


« On était assez soulagé que cela prenne fin » : un an et demi d’alliance compliquée avec le PS

En plus de devoir apprendre à gérer politiquement une opposition de droite et du centre, le groupe écologiste a également traversé quelques turbulences avec son allié socialiste. Avec qui, jusqu’à la rupture, les relations ont été très compliquées depuis le ralliement express à la suite du second tour des municipales.

Alors que les listes étaient déjà construites dans l’entre-deux-tours pour préparer le ralliement de Catherine Trautmann à Jeanne Barseghian, finalement rien ne s’était fait.


On voulait faire confiance, mais à chaque fois on se prenait un taquet. Il y avait toujours quelqu’un qui faisait une sortie cinglante contre la maire en conseil municipal, donc c’était quand même un peu douloureux cette alliance.

Floriane Varieras, co-présidente du groupe Strasbourg écologiste, solidaire et citoyenne

Une décision de ne pas faire l’union qui n’a pas été simple à prendre : « Le soir même on avait fait une visio, on était tous avec une tête de dix pieds de long, puisque si on était droit dans nos baskets on prenait le risque de perdre, surtout que Vetter et Fontanel avaient fait l’alliance. » Finalement, après la victoire, ils ont souhaité à nouveau faire l’union de la gauche, sachant également que le groupe écologiste est constitué d’élu(e)s de Place Publique, de Génération.s. Sauf que les socialistes ont toujours voulu marquer leur différence avec les écologistes, sur de nombreux sujets.

Une pratique peu goûtée : « Ce n’était jamais très agréable les échanges avec eux. Les sorties dans la presse en disant qu’ils étaient dans la majorité un coup sur deux, c’est pas possible. Aucun maire aurait accepté ce genre de sortie, donc on était assez soulagés que ça prenne fin. » Un partenariat qui s’est terminé en décembre 2021, avec la destitution de Céline Geissmann. Benjamin Soulet conclut : « Ça n’a jamais réellement été des alliés. » Cela promet pour 2026.


« Un mandat qui n’a pas été facile » mais dont ils n’ont « pas à rougir »

À quelques mois de la fin du mandat, l’heure est donc à l’état des lieux. Pour Floriane Varieras : « Ce n’était pas un mandat facile, car on est dans des périodes assez troubles au national et à l’international. On n’a pas baissé les bras face aux défis et on a amené pas mal de solutions aux problèmes qui pouvaient exister, qui ne sont peut-être pas satisfaisantes sur tout et qui méritent encore d’être amplifiées ou d’être approfondies. Mais, en tout cas, je trouve qu’on a fait ce sur quoi on s’était engagé. »

Pour Benjamin Soulet : « On l’a fait avec une certaine sincérité, sans entrer dans des petites combines politiciennes. Notre projet voulait être un projet de transformation, il a bousculé un peu. C’est vrai que ça aurait été plus facile de faire le stationnement payant au Neudorf dans un deuxième mandat. Mais si on ne l’avait pas fait, qui l’aurait fait ? Donc on est aussi allé vers des choses comme ça qui passent peut-être mal politiquement. On a déroulé ce pour quoi on était là et on s’est pas trop posé de questions. »


Le but c’est que même si on perd, on puisse partir la tête haute… même si je suis convaincue qu’on va gagner.

Floriane Varieras, co-présidente du groupe Strasbourg écologiste, solidaire et citoyenne

Désormais, le but est de mener les derniers projets à bien, pour qu’ils ne puissent plus être remis en question si changement de municipalité il y a en mars prochain. Floriane Varieras évoque le projet de centre d’hébergement de la Montagne Verte et la rénovation de l’annexe de la HEAR, tandis que Benjamin Soulet insiste sur la conciergerie solidaire au Hohberg, le tiers-lieu Lyautey au Neuhof ou encore le distributeur de billets à l’Elsau.

Après 5 ans de mandat, il ressort une certaine fierté pour les co-président(e)s du groupe : « Avec tout le contexte, il y a une fierté d’avoir bien bossé, et puis d’avoir un programme qui était vraiment très orienté à gauche. Pour moi, Strasbourg n’avait jamais été autant à gauche en termes de mesures sociales et mesures écologiques. Voilà en cinq ans, c’est pas mal, même s’il y a des choses qu’on a pas faites. »

benjamin soulet floriane varieras © Cécile Scherer / Document remis

Des choses à (re)faire différemment ?

Si la satisfaction est naturellement de rigueur lorsqu’on fait le bilan, cela n’empêche pas les co-président(e)s d’avoir quelques regrets. Pas de mention du tram Nord ou des remous qui ont agité le groupe avec la démission d’Hervé Polesi, mais d’autres sujets comme le fait de fermer une heure les musées en septembre 2022, ne pas avoir expérimenté le revenu universel, le tram gratuit pour les moins de 25 ans sans ressources ou encore le premier mètre cube d’eau gratuit [deux derniers sujets à mener de concert avec l’Eurométropole, ndlr].

Mais surtout, s’il fallait faire les choses un peu différemment, ce serait en termes de communication. Benjamin Soulet donne un exemple : « Sur l’histoire des animaux liminaires au début du mandat, le plan d’action contre la prolifération des rats a fini par s’appeler comme ça. Et même si c’est techniquement le bon mot, ça a fait tout un truc. Depuis, on a notre petit rat sur les DNA toutes les semaines, un peu comme si les écolos étaient les amis des rats. Il y a une petite musique qu’on aurait pu peut-être s’éviter si on n’avait pas utilisé ce terme. Après, le problème est que chaque truc devient une polémique, donc… »


musée rohan cour extérieure

Il faut qu’on reste idéaliste, mais qu’on arrive à moins se prendre des coups pour le principe.

Floriane Varieras, co-présidente du groupe Strasbourg écologiste, solidaire et citoyenne

Un besoin de communication que ne partage pas entièrement Floriane Varieras : « Le fait de ne pas assez communiquer, ça peut être pris comme une erreur dans le sens où ça permet aussi aux habitants de s’emparer des sujets, mais d’un autre côté, moi, je ne fais pas de la politique pour de la communication. »

L’adjointe précise alors : « Il faut qu’on reste idéaliste, mais qu’on arrive à moins se prendre des coups pour le principe. Ça fait gagner du temps et de l’énergie pour monter les projets ; parce que le temps qu’on met à se défendre d’une polémique, ça invisibilise aussi les autres projets menés en même temps. »

Assurément un axe de travail pour un hypothétique deuxième mandat.

conseil municipal illustration © Nicolas Kaspar / Pokaa