Chaque nuit, ce sont des dizaines de missiles balistiques qui sont tirés depuis l’Iran vers Israël. En Ukraine, les Russes attaquent désormais avec « énormément de vecteurs, drones et missiles de croisière, tirés dans une période relativement courte ». A l’occasion du Salon du Bourget qui s’est achevé dimanche, 20 Minutes a rencontré un expert des missiles et systèmes anti-missiles de l’industriel MBDA, leader européen des missiles, qui décrypte les différents types d’engins utilisés au Moyen-Orient et sur le front ukrainien, deux régions où l’on est loin d’utiliser les mêmes armements.

Le missile balistique

Un missile balistique est un missile propulsé par un moteur qui l’envoie à très haute altitude, parfois jusque dans l’atmosphère, même si la majeure partie de sa trajectoire s’effectue en dehors de l’atmosphère. Une fois le moteur éteint, l’engin suit une courbe parabolique sous l’effet de son élan et de la gravité.

Il existe différents types de missiles balistiques : à courte portée (SRBM, moins de 1.000 km), à moyenne portée (MRBM, entre 1.000 et 3.000 km), à portée intermédiaire (IRBM, de 3.000 à 5.500 km) et les missiles intercontinentaux (ICBM, plus de 5.500 km). « Les IRBM et ICBM sont toutefois classés à part, car dédiés à l’emport de charges nucléaires, et la dissuasion est une autre dialectique que le conventionnel », relève l’expert de MBDA. Même si « on a vu avec le missile Orechnik que les Russes peuvent aussi utiliser ce type de missile, sans charge nucléaire, ajoute-t-il. Ils se sont servis de l’Ukraine comme un centre d’essai, pour voir si leur missile arrivait bien sur sa cible, tout en mettant au passage un petit coup de pression ».

Les missiles balistiques peuvent être par ailleurs « relativement simples, comme ceux utilisés par l’Iran, ou à capacité de manœuvre comme l’Iskander ou le Kinjal russes » pointe encore l’expert de MBDA. Si ces deux derniers représentent de fait des menaces redoutables, MBDA estime que le missile Aster 30 B1NT (Nouvelle Technologie), qui équipera le futur système de défense sol­-air franco­-italien SAMP/T NG, « aura un réel potentiel d’interception » contre celles-ci, notamment grâce « à sa capacité de détection à 360 degrés ». « Mais uniquement après la pénétration de ce type d’engins dans l’atmosphère, où leur vitesse redescend alors entre Mach 2,5 et Mach 4 », précise l’expert MBDA.

Le missile de croisière

Un missile de croisière est conçu pour voler à basse altitude pour éviter les défenses adverses et les radars. Il est propulsé du début à la fin de sa trajectoire, et évolue soit à vitesse subsonique, soit à vitesse supersonique (jusqu’à Mach 3, soit environ 1.000 mètres/seconde), et il est guidé pour frapper avec une grande précision.

Ils sont beaucoup plus maniables et plus légers que les missiles balistiques, ainsi que moins détectables et moins prévisibles. « Les Russes sont les maîtres en la matière depuis des décennies », assure l’expert de MBDA.

Le missile de croisière hypersonique

Les missiles hypersoniques se définissent comme des engins réalisant la majeure partie de leur trajectoire dans l’atmosphère, à des vitesses comprises pour le moment entre Mach 5 (6.100 km/h) et Mach 8 (9.800 km/h), et à des portées comprises entre 500 et 1.000 km. Elles sont atteignables à des altitudes comprises entre 20 et 35 km, ce qui permet à l’engin de manœuvrer sur l’ensemble de la trajectoire. Pour être qualifié d’hypersonique, le missile doit donc allier une vitesse hypersonique à des trajectoires complexes, notamment des virages, capables de mettre à mal les systèmes d’interception adverses.

C’est là où il y a souvent de la confusion autour de ce terme. « Un missile balistique est par définition hypersonique, puisqu’il va dépasser à un moment dans sa trajectoire, dans la haute atmosphère, les Mach 5, avant de ralentir en entrant dans l’atmosphère », explique notre expert. Mais il n’est pas pour autant véritablement hypersonique, puisqu’il n’est pas ou peu manœuvrable.

Les seuls véritables missiles hypersoniques, existant ou en cours de développement, seraient donc uniquement des missiles de croisière hypersonique (HCM), en particulier « le Zircon russe, qui serait capable de voler à des vitesses de l’ordre de Mach 7. » On peut y ajouter le BrahMos-II (Inde/Russie) ou encore le programme HAWC/HACM (Etats-Unis), en cours de développement.

Les hybrides, ces cas particuliers

Il existe néanmoins des cas particulier – sur lesquels il y a débat sur le caractère hypersonique ou pas –, à commencer par le Kinjal russe. Il s’agit d’un missile aéro-balistique, c’est-à-dire un missile balistique tiré depuis un avion, et qui pourrait adopter après son largage une trajectoire quasi-balistique, c’est-à-dire une trajectoire essentiellement en atmosphère, lui permettant de conserver une capacité de manœuvre sur la majeure partie de sa course.

On peut aussi citer le missile iranien Fattah-1, dont on entend beaucoup parler depuis plusieurs jours. Sa vitesse maximum avant d’atteindre sa cible serait comprise entre Mach 13 et Mach 15. Sa trajectoire plus tendue que celle des missiles balistiques, grâce à un petit moteur situé sur l’ogive, le rendrait par ailleurs moins détectable que ces derniers. Enfin, il est doté de légères capacités manoeuvrantes, ce qui le rend moin prévisible. Si cela en fait indéniablement une arme redoutable, cela reste toutefois insuffisant pour le qualifier d’hypersonique, estime le spécialiste Etienne Marcuz, qui parle d’un modèle « hybride ».

Le Véhicule hypersonique planeur

Un véhicule hypersonique planeur est un engin lancé dans l’espace au moyen d’un véhicule propulseur (par exemple une fusée-sonde), et qui évolue en planant et en rebondissant sur les couches de la très haute atmosphère (entre 25 et 60 km), ce qui lui permet de changer de direction, sur des centaines voire des milliers de kilomètres, avant de rentrer dans l’atmosphère pour atteindre sa cible. S’il peut évoluer à des vitesses allant jusqu’à Mach 20, sa principale caractéristique est que sa trajectoire est imprévisible, et détectable tardivement par radar.

« C’est quelque chose de relativement nouveau, et aucun n’a été tiré en opération, à notre connaissance », explique l’expert de MBDA. La Russie a développé un projet nommé Avangard, et la France travaille au développement de cette technologie, avec un démonstrateur nommé V-Max, porté par ArianeGroup. Mais c’est « la Chine qui serait la plus avancée, avec le DM-17, développé pour tenir à distance des côtes chinoises les porte-avions américains ». Ces nouveaux engins s’avèrent « extrêmement difficiles à intercepter, car on ne sait pas vers quelle cible ils vont aller ».

Quelles utilisations de ces armes dans les conflits en Ukraine et au Moyen-Orient ?

L’expert de MBDA est frappé par l’évolution de l’utilisation de ces missiles par les Russes dans la guerre en Ukraine. « Ils ont commencé leurs opérations en Ukraine en tirant leurs missiles d’une façon relativement simple, basique, c’est-à-dire sans manœuvre, ce qui est pourtant plus facile à intercepter. On s’est aperçu qu’ils ont fait cela pour ne pas révéler à l’Otan toutes les capacités de leurs armements, et ils ont continué comme cela pendant longtemps. Il n’y a que récemment qu’ils ont véritablement commencé à lancer leurs missiles de croisière et balistiques avec leurs capacités manœuvrantes. C’est vrai notamment pour les Iskander et les Kinjal, conçus pour contrer le système de défense américain Patriot. Jusqu’à il y a quelques semaines, les Patriot interceptaient des Iskander régulièrement, mais ils rencontrent beaucoup plus de difficultés désormais. »

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La situation est légèrement différente, dans le conflit qui oppose Iran et Israël. « Ce que l’on voit partir d’Iran vers Israël, ce sont des tirs balistiques, une menace relativement prédictive, insiste-t-il : on sait quand, où, et à quelle vitesse ça va arriver, ce qui facilite grandement les stratégies d’interception, que ce soit en exoatmosphérique [au-dessus de l’atmosphère, entre 80 et 100 km d’altitude] ou dans la partie proche, entre 5 et 10 km. Les interceptions réalisées par Israël se font plutôt dans ce spectre rapproché. Mais pour le moment, les Iraniens n’ont en tout cas pas utilisé de missile hypersonique. »

Pour l’expert, « les menaces iraniennes et les menaces russes » ne sont donc « pas les mêmes, et si les systèmes israéliens ont été développés pour contrer les menaces iraniennes, je ne suis pas certain qu’ils auraient le même niveau d’efficacité face à des menaces russes… »