Régie par un régime juridique moyenâgeux unique en France, la forêt de la Teste-de-Buch suscite l’intérêt croissant du conservatoire du littoral et de la ville. Pour la plus grande inquiétude des propriétaires de cette canopée de pins qui se transmet de génération en génération.
Son régime juridique, hérité du Moyen-Âge, est unique en France. À La Teste-de-Buch ce sont les baillettes et transactions qui régissent toujours la gestion de la forêt usagère. Les propriétaires possèdent les pins, mais ne peuvent pas les exploiter sauf pour en extraire la résine. Les habitants de la commune ont l’autorisation de récupérer gratuitement du bois de chauffage dans la forêt. Frappé par de terribles incendies en juillet 2022, le massif a toutefois dû faire l’objet d’importantes coupes de bois qui ont rapporté près de 9 millions d’euros. Et la question de la préservation de cette forêt séculaire est plus que jamais au cœur des préoccupations. Bilan : l’État et la mairie de la Teste-de-Buch n’hésitent pas à acquérir des parcelles pour peser dans la gestion de ses 3800 hectares de forêts, à ce jour toujours principalement détenus par des propriétaires privés.
«La Teste-de-Buch est une forêt patrimoniale. J’ai des amis qui sont fâchés de se voir dépouillés de terre qui appartenaient à leur famille depuis plusieurs générations. L’État a des logiques de possession différente de celles des propriétaires», pointe François-Xavier Bodin, membre du syndic des propriétaires. Une inquiétude, partagée publiquement lors d’une réunion samedi dernier, notamment provoquée par les préemptions et rachats par l’État de près de 200 hectares autour de la dune du Pilat. Le lieu emblématique de la Gironde, désormais géré par le conservatoire du littoral, fait aussi l’objet d’un dossier de candidature pour être labellisé grand site de France. S’il était obtenu, l’État pourrait alors avoir plus de poids sur les décisions qui concernent la forêt usagère attenante, au nom de l’intérêt public. Contacté, le conservatoire du littoral n’a pas répondu à nos sollicitations à ce sujet.
«Je comprends l’inquiétude des propriétaires. C’est pour cela qu’il faut que la ville de la Teste-de-Buch soit un propriétaire puissant face à l’État», indique l’édile Patrick Davet, qui a porté à 180 le nombre de parcelles détenues par la commune sous son mandat. Cet enfant du pays, très attaché à cette canopée de pins, tient aussi à la préserver d’intérêts militants. «J’ai un œil méfiant sur l’achat d’une parcelle par la Sepanso (une association écologique locale, NDLR). Elle veut déjà sortir l’homme du banc d’Arguin, elle voudra sûrement faire pareil dans notre forêt», analyse l’élu.
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Une logique, en adéquation avec l’état d’esprit des syndics, qui ne calme pas leurs craintes car le conservatoire du littoral et la ville demeurent deux collectivités publiques, qui entretiennent d’excellentes relations. «L’équilibre propriétaires et usagers, qui est solide et durable grâce aux syndics, fonctionnera moins bien si les collectivités publiques votent pour les élire. À elles deux, elles possèdent déjà près de 300 hectares : cela pèse dans un quorum», souligne François-Xavier Bodin. Or 15% de la forêt usagère est possédée par des indivisions très fragmentées, devenues quasiment ingérables, qu’ils seraient donc plus simples de vendre.
L’autre hic selon le président du syndicat des propriétaires ? L’État ne comprendrait pas la philosophie séculaire qui habite la forêt usagère. «Typiquement, la préfecture refuse la reconstruction des cabanes de résiniers (en grande partie détruites par les terribles incendies de juillet 2022, NDLR). Cela dégrade la tradition de s’y retrouver en famille ou entre amis, cela empêche de s’y attacher et de créer des souvenirs. Je n’ai pas envie de voir notre forêt transformée en cabanes tchanquées. Elles ont été préservées, elles font jolies, mais elles ne vivent plus », dénonce-t-il encore. Avant de déclarer : «Alors les prochaines générations risquent de se dire : “C’est quoi cette forêt dans laquelle on ne peut plus rien faire ? Autant la vendre”. Et ce jour-là comme par hasard, la mairie ou l’État seront volontaires pour acheter à moindres frais.» Un jour, qui n’est pas encore arrivé : plus de 80% de la forêt usagère de la Teste-de-Buch appartient encore pour l’heure à des propriétaires privés.