CRITIQUE – Olivier Rajchman, l’un des meilleurs spécialistes du cinéma mondial, dissèque dans un essai réjouissant la réalisation de plusieurs chefs-d’œuvre.
Les gens vont au cinéma. En sortant de la salle, ils se disent qu’ils ont aimé ce qu’ils viennent de voir, ou le contraire. Ce qu’ils ignorent, c’est le travail en amont, surtout lorsque les réalisateurs sont des génies. Faire un film, particulièrement quand il est bon, reste un travail titanesque. Olivier Rajchman est une encyclopédie vivante du 7e art. Dans son livre L’Aventure des films, il ne donne pas dans la critique, mais se réserve le droit de livrer ses propres analyses, très fines. Surtout, il raconte ce que le grand public ignore : comment tout s’est passé pour aboutir à un long-métrage inoubliable. Car sur les 20 films dont il parle dans son ouvrage, on compte 19 chefs-d’œuvre (l’inclusion de Barbie n’était pas indispensable).
Michael Caine et Laurence Olivier, duo génial du film mythique de Mankiewicz, « Le Limier ».
Palomar Pictures / COLLECTION CHRISTOPHEL
Rajchman a tout lu, il a également réalisé de nombreuses interviews. Son ouvrage est un plaisir de lecture qu’on peut dévorer dans le désordre en choisissant ses favoris. On apprend par exemple que dans Le Limier, œuvre magistrale de Mankiewicz, Michael Caine était tétanisé à l’idée de jouer face à sir Laurence Olivier, légende du cinéma britannique. Alors qu’Olivier avait du mal à trouver comment interpréter son rôle et dire ses répliques correctement (le film est un duo en huis clos entièrement dialogué). Mankiewicz, lui, avait de telles douleurs qu’il s’est trouvé obligé de diriger en fauteuil roulant. Et finalement sort en 1972 cette perfection absolue, son dernier film.
Sergio Leone, lui, était, contrairement à ce que l’on pourrait penser, un fanatique des westerns de John Ford. Mais il a changé tous les codes. L’ouverture d’Il était une fois dans l’Ouest est un modèle : uniquement des bruits d’ambiance mis en avant, et des gros plans. Pas un mot avant plus de dix minutes. Eastwood ayant refusé le premier rôle, il a échoué à Bronson, un choix parfait. Comme pour sa Trilogie du dollar, Leone travaille en collaboration étroite avec Morricone, qui signe au moins trois thèmes géniaux. La musique est jouée très fort pendant les scènes pour que les acteurs s’en inspirent. Tout fonctionne à merveille, Henry Fonda et Claudia Cardinale (Carlo Ponti souhaitait pourtant que Leone embauche sa femme Sophia Loren) sont impeccables, le résultat est resté gravé dans tous les esprits…
Sergio Leone dirige Claudia Cardinale pour « Il était une fois dans l’Ouest ».
Collection Christophel
Et Sautet rencontre Romy Schneider
En France, à la fin des années 1960, Claude Sautet, après trois échecs qui l’ont blessé, se lance dans l’adaptation du roman de Paul Guimard, Les Choses de la vie. Il ne croit pas en Romy Schneider, puis la rencontre et en tombe amoureux. Ils auraient eu une brève liaison avant le début du tournage. Jean-Loup Dabadie est scénariste et dialoguiste, le génie Philippe Sarde signe la partition. La scène de l’accident de voiture nécessite une dizaine de caméras et presque autant de jours de tournage. Piccoli est formidable, le film relance Sautet, c’est un triomphe justifié…
Michel Piccoli et Romy Schneider dans « Les Choses de la vie », l’un des chefs-d’œuvre de Sautet.
Fida Cinematografica / Lira Film / Collection Christophel
Impossible ici de détailler les chapitres dédiés à 2001 : l’odyssée de l’espace (pour une fois, on comprend l’histoire), Le Dernier Métro, Taxi Driver – le récit de Rajchman est passionnant et montre le perfectionnisme de Scorsese –, Citizen Kane, Chinatown, Les Dents de la mer, Certains l’aiment chaud (Wilder avait proposé l’un des deux rôles de travestis à Frank Sinatra, qui a évidemment refusé), Les Lumières de la ville et beaucoup d’autres.
Robert De Niro et Martin Scorsese sur le tournage de « Taxi Driver ».
Columbia Pictures – Bill-Phillip / Collection Christophel
L’Aventure des films est un livre à lire, mais aussi à offrir à tous les fans de cinéma. On n’y trouve aucun intellectualisme pénible, on y apprend beaucoup de choses. Vite, une suite.
L’Aventure des films, d’Olivier Rajchman, Perrin, 442 p., 25 €.
sdp