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Le ministère russe des Affaires étrangères a condamné les frappes aériennes américaines sur les installations nucléaires iraniennes, les qualifiant de « violation flagrante du droit international, de la Charte des Nations unies et des résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU ».
Moscou dénonce une « décision irresponsable de soumettre le territoire d’un État souverain à des frappes de missiles et de bombes, quels que soient les arguments avancés ».
« Il est particulièrement alarmant que les frappes aient été menées par un pays qui est un membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies », indique le communiqué de la diplomatie russe.
La Russie, elle-même membre permanent du Conseil de sécurité, mène depuis plus de trois ans une guerre d’agression contre l’Ukraine voisine, bombardant les villes ukrainiennes et attaquant les troupes ukrainiennes sur une ligne de front de plus de 1 000 kilomètres.
Le Kremlin est-il prêt à défendre l’Iran ?
Lors du forum de Saint-Pétersbourg, avant l’intervention de Washington, Vladimir Poutine a déclaré que l’Iran n’avait pas demandé d’aide depuis le début de la campagne aérienne israélienne.
Le président russe a ajouté que le traité de partenariat global entre Moscou et Téhéran ne contenait aucun article relatif à la sphère militaire, ce qui est ironique compte tenu de la production par la Russie de drones Shahed-136 (alias Geranium-2) développés par l’Iran.
La télévision d’État russe décortique le traité conclu avec Téhéran, en mettant en avant, captures d’écran du site du Kremlin à l’appui, l’idée selon laquelle « en cas d’agression de l’une des parties, l’autre partie ne fournira aucune assistance militaire ou autre à l’agresseur ».
Dans une interview accordée à Euronews, Nikita Smagin, orientaliste et auteur du livre « L’Iran pour tous. Les paradoxes de la vie dans une autocratie sous sanctions« , analyse les enjeux pour le Kremlin.
Selon lui, Moscou a déjà souligné qu’elle n’était pas engagée dans une alliance militaire avec Téhéran et qu’elle n’était pas obligée de lui porter assistance.
« Il est logique de s’attendre à ce que la Russie n’interfère pas dans ce qui se passe, car elle ne veut pas risquer, pour le bien de l’Iran, d’aggraver la situation avec Israël et les États-Unis », dit l’expert.
Smagin note que le fait que Téhéran n’ait pas encore demandé à Moscou d’intervenir militairement n’est pas surprenant. « La République islamique s’est construite dès le départ sur les idées de souveraineté », explique-t-il, ajoutant que l’une des idées maîtresses de 1979 était de mettre fin à l’ingérence de puissances étrangères, principalement des États-Unis et de la Grande-Bretagne, dans les affaires intérieures de l’Iran.
« En ce sens, l’Iran ne s’est jamais tourné vers la Russie pour obtenir de l’aide et ne le fait pas aujourd’hui parce qu’il a peur de perdre une partie de sa souveraineté, de céder une partie de sa souveraineté à la Russie, comme ce fut le cas avec Bachar al-Assad », ajoute Smagin.
Mais la situation pourrait changer.
« Ne serait-ce que parce que Poutine a attiré l’attention sur le fait qu’il ne veut même pas penser à l’assassinat, à la destruction de Khamenei, il est évident que ces questions le perturbent quelque peu », estime l’expert.
« Le sort des dirigeants autoritaires préoccupe la Russie »
L’administration Trump a déclaré dimanche que son attaque contre trois installations nucléaires iraniennes ne visait pas à renverser le gouvernement en place.
Selon Donald Trump, les États-Unis savent »exactement » où « se cache » l’ayatollah Ali Khamenei. Il a ajouté que le dirigeant iranien est »une cible facile, mais ils ne le tueront pas, du moins pas encore ».
Si le régime de la République islamique tombe ou si l’on en vient à détruire physiquement l’ayatollah, comment le Kremlin réagira-t-il ? Qu’est-ce que cela signifierait pour les autorités russes ?
« En général, nous constatons que les morts dans les processus révolutionnaires, la destruction de chefs d’États autoritaires en général, préoccupent la Russie. Nous nous souvenons de la réaction de Poutine à l’assassinat de Kadhafi », note Nikita Smagin.
« Les rebelles y opéraient principalement, mais non sans l’aide de forces étrangères, dont les services de renseignement britanniques et les Émirats. Il n’en reste pas moins que tout cela a eu l’air d’un sérieux « coup de semonce » pour Poutine. Et, apparemment, c’est l’une des raisons pour lesquelles ce dernier a entamé un changement de position sur la scène internationale », précise-t-il.
Selon l’analyste, si la république islamique s’effondre, Ali Khamenei pourrait bien se voir accorder l’asile en Russie. « C’est déjà une pratique établie. Je pense que ce n’est pas exclu. Mais si Khamenei est éliminé, cela ne réjouira pas le Kremlin. Ils pensent que tuer des dirigeants est une ligne rouge, qu’Israël a d’ailleurs déjà franchie. Il a déjà éliminé des dirigeants du Hezbollah, par exemple », précise-t-il.
« Un coup de pouce pour les finances publiques russes »
La nouvelle crise au Moyen-Orient pourrait porter atteinte à l’influence de la Russie dans la région, mais cette escalade soudaine a apporté au Kremlin quelques bonnes nouvelles. Ainsi, lors du sommet du G7 au Canada, il a été décidé de ne pas abaisser le plafond de prix du pétrole russe afin de ne pas déstabiliser davantage le marché.
Depuis la fin de l’année 2022, l’un des leviers de pression sur Moscou a été l’établissement de plafond de prix pour le pétrole russe à 60 dollars le baril. Trois ans après le début de l’invasion massive de l’Ukraine par la Russie, l’UE a proposé fixer ce seuil à 45 dollars le baril, sans résultat.
« Si nous considérons la désintégration de l’Iran dans son ensemble, ou plutôt le changement de régime, parce que la désintégration [du pays] en est une conséquence concomitante, alors, bien sûr, cela menace les intérêts de la Russie à long terme », déclare Nikita Smagin.
« Le Kremlin, bien sûr, espère en tirer profit à court terme : les prix du pétrole augmenteront très sérieusement. Plus la situation se dégrade, plus les prix augmentent et plus l’élaboration du budget [russe] est facilitée – cette année, d’après ce que l’on peut voir, il pourrait y avoir des problèmes », explique l’analyste.
Selon Smagin, la Russie en profitera dans l’immédiat, mais à plus long terme, le changement de régime et »la transformation de l’Iran en un point d’instabilité permanent menacent, bien sûr, la stratégie de la Russie au Moyen-Orient, car beaucoup d’efforts ont été investis dans l’Iran ».
« L’Iran a été un partenaire fiable du Kremlin sur de nombreux fronts », dit-il.
De nombreux projets, stratégiquement importants, devaient passer par l’Iran, par exemple le projet de [corridor de transport] nord-sud, une éventuelle plaque tournante gazière. Bien sûr, tout cela est pour l’avenir, mais en cas [d’effondrement du régime], il n’y aura aucune possibilité de le réaliser. À long terme, ce sera un revers pour la Russie ».
« La coopération militaire entre la Russie et l’Iran a atteint son apogée il y a longtemps »
En plus de trois ans de guerre à grande échelle, la Russie a réussi à « localiser » la production de drones de conception iranienne.
Selon Nikita Smagin, l’importance de l’Iran en tant que fournisseur de drones Shahed-136 appartient au passé. La coopération militaire entre les deux pays a atteint son apogée en 2022. Comme le note l’expert, au début de l’année dernière, jusqu’à 90 % des composants n’étaient pas iraniens. « Seuls les moteurs provenaient d’Iran. Tout le reste a été fabriqué par les Russes », ajoute-t-il.
« Même si la localisation n’est pas à 100 % aujourd’hui, elle en est très proche. Je pense que la Russie trouvera des moyens de remplacer ce matériel, sans compter que les Shahed ne jouent plus un rôle aussi important qu’auparavant. Il y a eu un énorme travail de développement en interne. La Russie a investi dans les drones pendant cette période », explique Smagin.
« De plus, même si nous parlons spécifiquement du Shahed, il n’est plus vraiment iranien. Les drones Geran-1 et Geran-2 ont été largement remaniés, car la version iranienne n’était pas aussi efficace que prévu », note-t-il.
Dans une interview accordée à Kommersant, Ruslan Pukhov, directeur du Centre d’analyse des stratégies et des technologies, décrit les caractéristiques de vol des Shahed comme »primitives » et »permettant de les abattre en masse, même avec des mitrailleuses antiaériennes de 7,62 mm ».
Il évoque également un bruit de moteur de « mobylette », alertant de l’arrivée du drone.
« En Israël, une éventuelle médiation de la Russie est perçu sans antipathie apparente »
Comme l’écrit Hannah Notte, politologue et experte au James Martin Centre for Nonproliferation Studies, « la Russie a toujours été limitée dans son soutien à l’Iran ».
Dans une chronique pour The Atlantico, l’analyste écrit : »L’agenda anti-occidental obsessionnel du Kremlin a rehaussé le profil de la république islamique en tant que partenaire, mais Poutine a d’autres intérêts dans la région – comme une relation de longue date, bien que compliquée, avec Israël et la nécessité de coordonner les prix du pétrole avec l’OPEP – il a donc été attentif aux lignes rouges d’Israël et des États du Golfe en ce qui concerne la coopération avec Téhéran en matière de défense ».
Nikita Smagin estime que dans le conflit actuel entre l’Iran et Israël, la Russie n’est plus un médiateur »incontournable ».
« Lorsque les négociations nucléaires étaient en cours, lorsque Trump essayait de signer un accord nucléaire avec l’Iran, la Russie pouvait se prévaloir d’être un médiateur incontournable », poursuit-il.
« C’était en réalité la seule partie qui avait la capacité technique et était prête à exporter l’uranium excédentaire de l’Iran, avant qu’il ne soit utilisé pour la fabrication d’armes. Aujourd’hui, apparemment, cette question n’est plus à l’ordre du jour ».
Dans le même temps, malgré la détérioration des relations entre Israël et la Russie, premier pays au monde à recevoir officiellement une délégation du Hamas après les attentats du 7 octobre, Tel-Aviv et Jérusalem considèrent le rôle de médiateur de la Russie « sans antipathie manifeste », selon Smagin.
Comme le note l’expert, après 2022 et le début des vagues d’émigration des Russes anti-guerre à l’étranger, »une large couche d’agents d’influence anti-russe est apparue dans l’État juif, c’est-à-dire des personnes qui ont quitté la Russie et ont une attitude très négative à l’égard des autorités russes et sont manifestement l’épine dorsale des sentiments anti-russes en Israël ».
Comme le note Smagin, même après l’invasion à grande échelle de l’Ukraine en 2022 et l’exode des Russes antiguerre qui s’en est suivi, pour tenter d’éviter la mobilisation, un grand nombre de détracteurs de Poutine ont posé leurs valises en Israël.
Selon lui, ces exilés bien intégrés dans la société israélienne , « ne soutiendront pas » la médiation du Kremlin. Mais dans l’ensemble, selon l’expert, »si nous parlons des dirigeants israéliens, ils ne considèrent pas la Russie comme quelque chose d’impossible. Je pense que le Qatar ne soutient pas davantage Israël que la Russie ».