C’était l’opération anti-drogue qui devait faire entrer l’Ofast (Office anti-stupéfiants) de Marseille dans la légende. L’idée : suivre l’entrée en France de près de 400 kilos de cocaïne en provenance de Colombie. Puis espérer faire tomber un grand narcotrafiquant à la tête d’un quartier phocéen générant jusqu’à 1,3 million d’euros mensuel de vente de stupéfiants.
Las, l’opération a viré au fiasco. La drogue s’est volatilisée, aucune interpellation n’a été réalisée, et l’affaire a révélé les méthodes douteuses d’enquêteurs, entre arrangements avec le code de procédure pénale et soupçons de corruption. Pire : toute la hiérarchie de ce service d’élite est désormais éclaboussée, faisant craindre un scandale policier de grande ampleur.
Selon nos informations, les deux patrons de l’antenne de l’Ofast de Marseille ont été placés en garde à vue dans les locaux de la Division nationale des enquêtes (DNE) de l’IGPN. Ces hauts gradés sont entendus dans le cadre de l’information judiciaire, pilotée par la Junalco, ouverte notamment pour « importation et trafic de stupéfiants en bande organisée », « faux en écriture publique » et « atteinte à la vie privée ». Dans cette affaire sans précédent, deux indicateurs et trois enquêteurs de l’Ofast Marseille ont déjà été mis en examen, dont deux placés en détention provisoire. Seul le capitaine, le chef de groupe, a été laissé sous contrôle judiciaire.
Le fiasco de l’opération Trident
À l’origine, une opération prometteuse baptisée « Trident ». L’Ofast Marseille reçoit en 2023 un tuyau de l’un de leurs indicateurs, corroboré par la DEA, l’agence anti-drogue américaine. Deux conteneurs contenant près de 200 kilos de cocaïne dissimulés dans des cargaisons de bananes doivent débarquer au port de Marseille en provenance de Carthagène (Colombie). Avec l’accord des magistrats, une « livraison surveillée » une technique d’enquête policière visant à laisser entrer de la drogue sur le territoire français pour identifier les trafiquants et démanteler le réseau d’importation, est mise en place.
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Mais pour des raisons énigmatiques, l’opération tourne à la débâcle. Les informations transmises à la justice sont erronées : le chargement contient 400 kilos, le double de ce qui était annoncé. Ensuite, personne ne vient récupérer la marchandise. Les enquêteurs vont se fourvoyer en sollicitant leurs indicateurs dans l’espoir d’écouler les 400 kilos auprès d’autres réseaux. Des dealers viennent se servir en petites quantités, mais aucun narcotrafiquant d’ampleur n’est identifié. Lors de la perquisition, il ne reste plus qu’un kilo de cocaïne.
De graves dissensions
Comment expliquer un tel fiasco ? Les fonctionnaires ont-ils perdu le fil ? Ou cette opération recèle-t-elle des mobiles moins avouables ? Des soupçons de corruption sont apparus, avec le témoignage d’un serrurier de l’Ofast. Début 2024, une enquête judiciaire est ouverte.
Après les mises en examen de trois fonctionnaires, les policiers de l’IGPN veulent maintenant savoir si la hiérarchie de l’Ofast Marseille avait connaissance de la tournure inquiétante de l’opération Trident. Plusieurs enquêteurs ont assuré avoir agi avec l’aval de leurs chefs. L’enquête révèle de graves dissensions au sein de l’antenne marseillaise et avec l’échelon central de l’Ofast de Nanterre. Signe de l’ambiance exécrable, l’un des commissaires placés en garde à vue avait rédigé un rapport faisant état de ses soupçons de corruption.