Face à la pression des constructeurs automobiles, la Commission européenne vient de dévoiler une proposition qui pourrait redistribuer les cartes dans la course à l’électrification du parc automobile européen. En allongeant le délai pour respecter les objectifs d’émissions de CO2 jusqu’en 2027, Bruxelles fait un geste pour l’industrie mais s’attire les foudres des défenseurs de l’environnement. Cette décision intervient à un moment clé où les ventes de voitures électriques commençaient justement à s’accélérer.
Un assouplissement controversé des objectifs d’émissions
La Commission européenne a finalement cédé aux pressions de l’industrie automobile en proposant une nouvelle approche pour évaluer les émissions de CO2. Plutôt qu’une évaluation annuelle avec des objectifs stricts à atteindre dès 2025, les constructeurs pourront désormais bénéficier d’une moyenne calculée sur la période 2025-2027. Cette flexibilité leur permet de reporter leurs efforts de réduction d’émissions, sans risquer d’amendes immédiates.
Cette décision fait suite à un intense lobbying mené par plusieurs acteurs de l’automobile, soutenus notamment par trois ministres français qui plaidaient pour un “lissage” des objectifs. Stéphane Séjourné, commissaire européen à la stratégie industrielle, s’était déjà prononcé contre des mesures qu’il jugeait trop punitives pour les constructeurs européens.
Comment fonctionne le nouveau système d’évaluation
Le mécanisme proposé modifie profondément la façon dont les émissions seront comptabilisées :
- Aucune sanction ne sera appliquée en fin d’année 2025 ou 2026
- L’évaluation se fera sur la moyenne d’émissions sur trois ans (2025-2027)
- Les constructeurs pourront continuer à former des alliances pour mutualiser leurs émissions
Ce système offre une souplesse considérable aux marques qui peinent à électrifier rapidement leur gamme. Concrètement, un constructeur pourrait dépasser ses objectifs en 2025, puis compenser par de meilleures performances en 2026 ou 2027, sans jamais subir de pénalités financières.
Les critiques des ONG : un frein à l’électrification
Cette proposition a immédiatement suscité l’indignation d’organisations comme Transport & Environment (T&E). Selon cette ONG, la Commission fait fausse route en ignorant les progrès récents du marché électrique, qui a connu une hausse de 28% en Europe sur les deux premiers mois de 2025. Pour Julia Poliscanova, responsable de l’électromobilité chez T&E, “c’est une erreur de changer les règles au milieu du jeu”, arguant que cette décision va “nuire à l’adoption des véhicules électriques” au profit des motorisations thermiques.
L’International Council on Clean Transportation (ICCT) partage cette analyse et souligne un effet pervers : en laissant aux constructeurs la possibilité de ne compenser qu’en 2027, l’Europe risque d’encourager la vente de davantage de véhicules thermiques dans l’immédiat, avec des conséquences environnementales durables.
L’impact environnemental à long terme
Les conséquences de ce report pourraient être significatives. L’ICCT estime que cette flexibilité entraînera un excès notable d’émissions de CO2 dans les prochaines années. Le problème ne se limite pas à quelques mois de retard : chaque voiture thermique supplémentaire vendue aujourd’hui restera en circulation pendant environ 250 000 kilomètres avant d’être remplacée.
Un processus d’adoption encore en cours
Il convient de préciser que cette proposition n’est pas encore définitive. Pour entrer en vigueur, elle devra obtenir l’approbation du Parlement européen et du Conseil de l’Union européenne. Ce processus législatif pourrait encore modifier certains aspects du texte, même si l’orientation générale semble désormais tracée.
Les prochaines semaines seront décisives pour déterminer si cette flexibilité sera maintenue telle quelle ou si des compromis seront trouvés pour limiter son impact sur la transition vers la mobilité électrique. Les constructeurs, qui ont obtenu ce qu’ils réclamaient, devront maintenant prouver que ce délai supplémentaire ne freinera pas leurs efforts d’électrification à moyen terme.
Ce débat illustre parfaitement la tension permanente entre impératifs économiques et environnementaux dans la politique européenne. Si la transition vers une mobilité plus propre semble inéluctable avec l’objectif de fin des moteurs thermiques en 2035, le chemin pour y parvenir pourrait être plus sinueux que prévu initialement.
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