Le printemps est enfin là, pour le plus grand bonheur des amateurs de promenades et de pique-niques en pleine nature. Mais comme chaque année, cela signe aussi le retour de quelques indésirables dont on se passerait bien, à commencer par ces satanés moustiques. Et des chercheurs américains viennent d’identifier un mécanisme qui pourrait expliquer leur propension à ruiner nos barbecues.

Une équipe de l’Université de Princeton s’est ainsi intéressée en particulier à une espèce baptisée Aedes aegypti. C’est une petite bête particulièrement problématique puisqu’elle peut transporter tout un cocktail de pathogènes comme le paludisme, l’arbovirus Zika, la dengue ou la fièvre jaune. Et il se trouve qu’en quelques décennies, cette espèce de moustique en particulier a évolué pour cibler une seule espèce en quasi-exclusivité : nous !

Du point de vue des biologistes, c’est une transition très intéressante. Cela suggère en effet que pour survivre en dépendant d’une seule espèce, ils ont dû développer des stratégies de ciblage incroyablement précises que les chercheurs ont tenté de comprendre. Leur objectif final : déterminer précisément les mécanismes qui permettent aux moustiques de repérer les humains.

“Nous avons plus ou moins plongé dans le cerveau des moustiques pour leur demander : qu’est-ce que vous sentez ? Qu’est-ce qui active vos neurones, qu’est-ce qui s’illumine différemment dans votre cerveau quand vous sentez l’odeur d’un humain?”, résume Carolyn McBride, professeure de biologie évolutive, écologie et neurosciences à l’Université de Princeton. “

Une chasse aux trésors à base d’odeurs

Pour y parvenir, les chercheurs ont développé une approche très visuelle. Ils ont produit une souche génétiquement modifiée de moustique dont les structures nerveuses s’illuminent sélectivement lorsqu’elles sont activées. Ils ont ensuite mis ces moustiques en contact avec des odeurs animales, y compris humaines, pour tenter d’y voir plus clair dans ce mécanisme à l’aide d’un système d’imagerie spécialement conçu pour l’occasion.

Le problème, c’est qu’il existe autant d’odeurs humaines que d’individus. Et pour cause : cette odeur provient d’un cocktail très complexe de dizaines de composés organiques. Les chercheurs suspectaient donc que les moustiques réagissaient à une combinaison bien particulière. Mais comment la trouver ?

Sans la moindre piste initiale, ils n’ont eu d’autre choix que de procéder de façon empirique. Ils ont commencé par collecter des odeurs de rats, de cochons d’Inde, de cailles, de moutons et de chiens. Mais pour les humains, c’était plus compliqué; récolter une odeur humaine “pure” est moins évident qu’il n’y paraît. En effet, la majorité d’entre nous se sert régulièrement des produits d’hygiène parfumés. Même les vêtements peuvent considérablement altérer cette odeur.

Quelques volontaires ont donc dû donner de leur personne. “Nous leur avons demandé de ne pas se doucher pendant plusieurs jours, de se déshabiller, puis de se coucher dans un grand sac en téflon”, s’amuse Jessica Zung, membre de l’équipe de recherche. Ils ont ensuite dû développer un système qui leur a permis d’extraire et d’isoler ces odeurs.

Ces travaux pourraient permettre de développer des répulsifs bien plus efficaces et moins gênants que les fameuses spirales à brûler et autres sprays à la citronnelle. © Ronald Langeveld

Un processus étonnamment simple

Restait encore à déterminer précisément quels composés sont susceptibles de faire réagir les moustiques. Les chercheurs ont donc passé de longs mois à soumettre les moustiques à des tas de combinaisons des différents composés identifiés lors de la collecte. Ils ont ensuite croisé les résultats pour déterminer les marqueurs les plus efficaces.

Les chercheurs s’attendaient à découvrir un système de pistage très sophistiqué. Mais le processus qu’ils ont identifié les a surpris par sa simplicité, puisqu’il n’est apparemment basé que sur deux composés organiques bien précis : l’undecanal et le décanal, un aldéhyde que l’on trouve aussi dans le sarrasin, l’huile essentielle de coriandre… ou le célèbre Chanel N°5 ! A bon entendeur…

L’autre point qui a surpris les chercheurs, c’est la réaction provoquée par ces composés au niveau du système nerveux. Le “cerveau” des moustiques est une structure composée d’environ 60 sous-structures baptisées glomérules. Les chercheurs s’attendaient à ce que la majorité de ces glomérules soient impliqués dans la chasse aux humains, puisqu’il s’agit d’une activité vitale pour ces moustiques; il n’y en a en fait que… deux.

“Quand j’ai vu cette activité cérébrale pour la première fois, je n’y croyais pas”, explique Zhilei Zhao, une doctorante qui a joué un rôle central dans cette étude. “Il n’y avait que deux glomérules impliqués, ce qui est en contradiction avec toutes nos attentes. C’est incroyable que ce système soit aussi simple”, s’étonne-t-elle.

Des répulsifs basés sur ces travaux pourraient réduire la propagation des pathogènes véhiculés par ces moustiques. On peut notamment citer le Plasmodium à l’origine de la malaria. © Frevert et. al.

La porte ouverte à des solutions très concrètes

Cette découverte va potentiellement avoir des conséquences considérables, dont certaines très concrètes. Car ces travaux ont été menés sur des moustiques connus pour être des vecteurs de maladies très problématiques. Maintenant que les chercheurs ont trouvé les composés chimiques qui les attirent le plus, cela ouvre la porte à tout un tas de contre-mesures pour lutter contre ce fléau de santé publique. Il suffirait par exemple de s’en servir pour les attirer dans un piège mortel.

On peut aussi imaginer des répulsifs qui bloqueraient spécifiquement ce signal, empêchant ainsi les moustiques de repérer les humains à l’odeur. C’est une solution qui est encore plus intéressante. Car même s’ils sont pénibles, les moustiques restent des acteurs de premier plan de nombreux écosystèmes.

Par exemple, de nombreux oiseaux ou araignées dépendent directement des moustiques, car ils représentent une part conséquente de leur alimentation. Dans l’idéal, il vaut donc mieux tenter de les éloigner plutôt que de les éradiquer, car cela pourrait signer le début d’une réaction en chaîne catastrophique pour certaines niches écologiques.

À terme, il sera aussi très intéressant d’étendre ces travaux à d’autres espèces. Cela permettra dans un premier temps de voir si le mécanisme est réservé à ces chasseurs d’humains spécialisés, ou s’il est au contraire universel chez tous les moustiques. Le cas échéant, il serait alors possible de développer une solution simple, inoffensive et respectueuse de l’écosystème pour éviter de servir de buffet ambulant. Une bonne nouvelle pour les amateurs de pêche et de pique-niques… mais surtout pour toutes les populations des zones tropicales dont la vie peut changer du tout au tout à cause d’une simple piqûre de moustique.

Le texte de l’étude est disponible ici.

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