Fournir les données les plus fiables possibles aux prévisionnistes de Météo France. C’est la mission des bouées ancrées et dérivantes qui parsèment les océans. Stockés, montés et révisés au Centre de météorologie marine de Brest, ces outils fournissent des mesures directes et continues en mer, qui permettent de mieux anticiper les phénomènes extrêmes, amplifiés par le changement climatique.

Stations météo, satellites, radars… et bouées. Pour les prévisionnistes de Météo France et pour les météorologistes du monde entier, les sources d’informations sont multiples. Ils analysent en continu les données d’observation issues de ces instruments, et les confrontent aux modèles de prévisions qui simulent l’évolution de l’atmosphère, à partir de millions de données et d’équations physiques complexes. 

« Le gros avantage des bouées par rapport aux autres dispositifs, c’est qu’elles fournissent des données in situ, directes et continues, qui permettent notamment de valider ou de corriger les mesures des satellites », indique à Mer et Marine Christophe Guillerm, directeur du Centre de météorologie marine de Brest. C’est là que sont entreposées, préparées et réparées les bouées déployées par Météo France, des plus grandes (7.50 mètres de hauteur) aux plus petites (40 cm de diamètre).

De deux à sept bouées ancrées en Méditerranée

A l’approche de l’été, les plus massives sont l’objet de toutes les attentions, surtout les bouées destinées à la mer Méditerranée. Au cœur de l’été 2022, en Corse, un orage extrêmement violent accompagné de vents à plus de 200 km/h avait provoqué le décès de cinq personnes et fait une vingtaine de blessés. Il avait alors été reproché à Météo France de ne pas avoir donné l’alerte suffisamment tôt et d’avoir mal anticipé sa violence. L’organisme avait reconnu que « l’intensité tout à fait exceptionnelle de l’évènement » n’avait pas pu être prévue, « du fait du manque d’observations en mer ».

 

Christophe Guillerm, directeur du Centre de météorologie marine de Météo France à Brest.

 

A l’époque, seules deux bouées ancrées étaient déployées en Méditerranée. Des bouées capables de mesurer la pression atmosphérique, la température de l’air, le taux d’humidité, la force du vent, la houle, la température et la conductivité de l’eau, et de transmettre ces données par satellite toutes les heures. Après le tragique événement corse, « Météo France a décidé de déployer cinq bouées supplémentaires pour mieux anticiper ces phénomènes extrêmes », dans l’une des régions du monde les plus exposées au changement climatique, qui amplifie ces phénomènes. A terme, dix bouées seront ancrées en Méditerranée, dans le golfe de Gascogne et aux Antilles, et trois « spare » seront prêtes à les remplacer.

Interventions en mer

Cette augmentation du nombre de bouées s’est accompagnée d’un changement de modèle : « Le principal inconvénient des bouées historiques, c’est qu’elles doivent être ramenées à terre pour effectuer le moindre changement de capteur », souligne Christophe Guillerm. Dans le nouveau modèle, en plastique rotomoulé et recyclable, fabriqué dans le Lot-et-Garonne par l’entreprise Mobilis, « il n’y a plus rien dans le corps de la bouée : batterie, électronique et capteurs sont centralisés dans la superstructure. Nous pouvons désormais intervenir élément par élément, en mer, après avoir transféré la bouée sur le pont d’un navire pour plus de sécurité ». 

 

Bouée ancrée d’ancienne génération.

 

Pour l’assemblage des bouées déployées en Méditerranée, « la superstructure est reçue et montée à Brest, où nous intégrons tous les capteurs et l’électronique, tandis que les flotteurs et la quille sont livrés aux Phares et Balises à Marseille ». L’ensemble est assemblé sur place, et le baliseur Provence se charge du déploiement. D’un poids de 3.25 tonnes pour 7.50 m de hauteur et 3.60 de diamètre pour le flotteur, chaque structure est accrochée au fond par une ligne de mouillage en polypropylène et polyamide, d’une longueur maximale de 6000 mètres. 

 

Bouée ancrée de nouvelle génération.

 

 

La superstructure, dans laquelle il est possible de tenir debout et dont on peut faire le tour, contient les capteurs qui mesurent la pression atmosphérique, le vent, la température de l’air et l’humidité, ainsi que les antennes GPS, Bluetooth et Iridium. « Par défaut, elles transmettent leurs données toutes les heures, mais il est possible de passer en mode turbo pour envoyer des données spécifiques toutes les 6 minutes afin d’améliorer la prévision ». Des panneaux solaires alimentent la batterie, qui alimente le système. Celui-ci peut fonctionner durant trois mois sans soleil. Ces nouvelles bouées, à 350.000 euros l’unité, sont prévues pour durer 20 ans. 

 

Intérieur de la superstructure.

 Les bouées dérivantes déployées par des navires d’opportunité

Beaucoup moins impressionnantes mais tout aussi utiles, les bouées dérivantes de Météo France, d’une durée de vie moyenne de deux ans, pèsent 22 kg pour un diamètre de 40 cm et sont conçues en plastique. « 50 à 80 sont déployées chaque année, pour en avoir en permanence 150 en mer. Elles passent d’abord par ici, puis nous les envoyons, à travers le monde, sur des bateaux d’opportunité, Météo France ne disposant pas de navire ». 

CMA CGM, Grain de Sail, la Marine nationale et les skippers en Imoca engagés dans le Vendée Globe larguent régulièrement des bouées pour le compte de Météo France, et les particuliers peuvent aussi participer, « pour peu qu’ils déploient une bouée dans une zone qui nous intéresse ». Dans tous les cas, « nous donnons une position où nous aimerions que la bouée soit lancée en mer, en toute sécurité. L’équipage la jette à l’eau et nous envoie ensuite un message nous précisant la position. Nous activons ensuite la transmission de la donnée, par le réseau satellitaire Iridium, et nous la recevons toutes les heures ».

Ces bouées SVP-B (pour baromètre) permettent de mesurer la température de l’eau de mer, de calibrer les satellites qui mesurent la température de surface de la mer et de fournir des données de pression, qui ne peut être mesurée que in situ. Indispensable pour l’évaluation d’une dépression, elle est « hyper importante pour les modèles ». La transmission de la position des bouées permet en outre de déduire les courants. Dotées d’une ancre flottante de 50 mètres, elles suivent la colonne d’eau, indépendamment du vent.

Prototypes écoresponsables

Pour répondre aux besoins croissants de la prévision météorologique et climatique, Météo France participe au programme E-Surfmar dans le cadre du réseau européen Eumetnet. A Brest, l’équipe du Centre de météorologie marine travaille sur deux projets de bouées dérivantes plus vertueuses sur le plan écologique (beaucoup sont perdues et se dégradent en mer), en partenariat avec Kinéis, filiale de CLS (Collecte Localisation Satellites), spécialiste de la localisation d’objets connectés et de la transmission de données en quasi-temps réel.

 

Prototype de bouée dérivante en bois.

 

Le premier prototype est constitué d’un bois rendu imputrescible par injection d’acide, et pourra à terme contenir les capteurs et antennes classiques d’une bouée dérivante. Ses plans seront accessibles en open source. Le second, développé par la société Kaïros du navigateur Roland Jourdain, est conçu en plastique biosourcé, et fera l’objet d’essais et de tests mécaniques, comme la résistance au largage depuis un avion, durant deux ans. « Notre objectif est de remplacer les anciennes bouées par ces nouveaux modèles », souligne Christophe Guillerm. « Et d’utiliser le Français Kinéis plutôt que l’Américain Iridium pour transmettre les données ».

 

Prototype de bouée dérivante en plastique biosourcé.

 

© Un article de la rédaction de Mer et Marine. Reproduction interdite sans consentement du ou des auteurs.