« La seule règle en matière de création artistique est qu’il n’y a pas de règles », soutenait Helen Frankenthaler (1928-2011). La peintre américaine, célébrée pour ses abstractions poétiques et joyeuses, est à l’affiche au Guggenheim de Bilbao jusqu’au 28 septembre. 

L’exposition « Helen Frankenthaler. Peindre sans règles » du Guggenheim de Bilbao s’ouvre sur une immense toile de 1953, Mur ouvert, vibrante de lumière et de couleurs. Un paysage abstrait dans lequel flottent de larges aplats de couleurs vives, des jaunes, des bleus, et des roses, qui rappellent ceux des tableaux peints par Bonnard au Cannet. En 1953, Helen Frankenthaler a 25 ans, et vient de trouver son style. Depuis le printemps 1950, elle partage la vie de l’influent critique d’art Clement Greenberg qui l’introduit dans le cercle des grandes figures de l’Expressionnisme abstrait, les Willem de Kooning, Barnet Newman, Jackson Pollock, David Smith et Lee Krasner.

À la rencontre de l’Expressionnisme abstrait

En 1951, elle est la benjamine d’une exposition qui réunit, à New York sur la 9e rue, une soixantaine d’artistes dont ces grands noms de la peinture américaine. Un an auparavant, à la fin de l’année 1950, elle visite une exposition monographique de Jackson Pollock, à la Betty Parsons gallery, qui la remue profondément. « C’était un peu comme si je me retrouvais soudain dans un pays étranger dont je ne parlais pas la langue. Je sentais cependant que je devais vivre dans ce pays et en apprendre la langue » racontera-t-elle plus tard.

Vue de l’exposition « Helen Frankenthaler. Peindre sans règles » ©FMGB Guggenheim Bilbao /Photo: Erika Ede

Vue de l’exposition « Helen Frankenthaler. Peindre sans règles » au Guggenheim Bilbao. Photo : © FMGB Guggenheim Bilbao / Erika Ede

Le « soak-stain » : une technique singulière

Elle ne tarde pas à se familiariser avec cette langue, tout en y apportant sa propre touche, dès 1952, avec sa « soak-stain » technique, traduction émotionnelle et abstraite de ses sentiments. Elle dilue ses huiles avec de l’essence de térébenthine pour obtenir une consistance fluide et transparente. Et verse ensuite ses couleurs directement sur une toile en coton non préparée, permettant ainsi aux pigments de la pénétrer. Le résultat ? Des surfaces fluides sur lesquelles des formes semblent flotter, des œuvres éthérées, aériennes et gracieuses, éloignées des turbulences hectiques des peintures de Pollock.

Frankenthaler dans son studio de la Troisième Avenue avec Alassio (1960, œuvre en cours), New York, 1960 Archives de la Helen Frankenthaler Foundation, New York. Photographie de Walter Silver. Photo : © The New York Public Library / Art Resource, New York. Matériel graphique © 2025 Helen Frankenthaler Foundation, Inc./Artists Rights Society (ARS), New York / VEGAP

Walter Silver, Helen Frankenthaler dans son studio de la Troisième Avenue avec Alassio (1960, œuvre en cours), New York, 1960, Archives de la Helen Frankenthaler Foundation, New York. Photo : © The New York Public Library / Art Resource, New York. Matériel graphique © 2025 Helen Frankenthaler Foundation, Inc./Artists Rights Society (ARS), New York / VEGAP

Cette même année, elle réalise Mountains and sea, un de ses chefs-d’œuvre (malheureusement absent de l’exposition de Bilbao) qui influencera toute une génération d’artistes. Morris Louis et Kenneth Noland notamment que Greenberg leur montrera en avril 1953. C’est Helen Franketnhaler qui contribuera aussi au développement du mouvement du « Color field painting » dont les œuvres sont caractérisées par de grandes étendues de couleurs vives, modulées par des effets de matière, créant des plans ininterrompus et dans lesquels toute figuration est exclue. En 1958, trois ans après la fin de sa relation avec Greenberg, elle épouse le peintre Robert Motherwell dont elle partagera la vie pendant treize ans.

Vue de l’exposition « Helen Frankenthaler. Peindre sans règles » © FMGB Guggenheim Bilbao /Photo: Erika Ede

Vue de l’exposition « Helen Frankenthaler. Peindre sans règles » au Guggenheim Bilbao. Photo : © FMGB Guggenheim Bilbao / Erika Ede

Explosions joyeuses de couleurs

Présentée de façon chronologique, l’exposition du Guggenheim réunit une trentaine des toiles abstraites et poétiques d’Helen Frankenthaler, que les commissaires confrontent, en fin de parcours, à quelques peintures et sculptures de ses amis Morris Louis, Mark Rothko, David Smith et Anthony Caro. Les toiles de Frankenthaler des années 1960, rythmées par ses voyages, aux États-Unis et en Europe, aux côtés de Motherwell, sont des explosions joyeuses de couleurs comme Tutti frutti (1966) ou Santorini (1965) qui tire son titre de l’île grecque de la mer Égée.

Vue de l’exposition « Helen Frankenthaler. Peindre sans règles » ©FMGB Guggenheim Bilbao /Photo: Erika Ede

Vue de l’exposition « Helen Frankenthaler. Peindre sans règles » au Guggenheim Bilbao. Photo : ©FMGB Guggenheim Bilbao / Erika Ede

Après son divorce avec Motherwell durant l’été 1971, elle passe ses étés à voyager en Europe (Italie, Autriche, France, Belgique et Angleterre) et parvient à renouveler son art, à se réinventer comme en témoigne Ocean Drive West#1 de 1974 dans laquelle elle s’adonne à une abstraction tonale et atmosphérique. Ses surfaces se font alors plus denses et plus travaillées.

Consécration de l’artiste entre lumière et espace

Dans les années 1980, elle découvre un nouveau sens de l’espace et de la lumière dont rendent compte des œuvres comme Madrid  (1984), ou Cathédrale (1982) au fond rose parsemé d’étoiles filantes rouges, vertes, roses et bleues. Les années 1990 voient l’artiste honorée par de grandes expositions, au Salomon Guggenheim de New York en 1998, puis au Guggenheim de Bilbao notamment.

HelenFrankenthaler, Cassis, 1995, Acrylique sur papier, 154,3 x 198,8 cm © 2025 Helen Frankenthaler Foundation, lnc./Artists Rights Society (ARS), New York/ VEGAP, Photo: Roz Akin, courtesy Helen Frankenthaler Foundatioin, New York

HelenFrankenthaler, Cassis, 1995, Acrylique sur papier, 154,3 x 198,8 cm © 2025 Helen Frankenthaler Foundation, lnc./Artists Rights Society (ARS), New York/ VEGAP, Photo: Roz Akin, courtesy Helen Frankenthaler Foundatioin, New York

Après son mariage, en 1994, avec l’homme d’affaires Stephen DuBrul, elle retrouve un nouvel élan et une joie fantaisiste que reflètent Impulsion solaire et Cassis, toutes deux réalisées en 1995, et un peu plus tard, Exposition au Sud (2002). Constituée d’un immense aplat jaune tournesol, zébré dans sa partie haute d’une petite plage de couleur rouge sang, celle-ci témoigne de la fugacité du temps. L’artiste alterne alors peintures sur toiles et peintures sur papier. À partir de 2004, ses activités artistiques se restreignent en raison de problèmes de santé. L’artiste décède en 2011 à l’âge de 83 ans.

Vue de l’exposition « Helen Frankenthaler. Peindre sans règles » au Guggenheim Bilbao. Photo : ©FMGB Guggenheim Bilbao / Erika Ede

Vue de l’exposition « Helen Frankenthaler. Peindre sans règles » au Guggenheim Bilbao. Photo : ©FMGB Guggenheim Bilbao / Erika Ede

« Helen Frankenthaler. Peindre sans règles »
Guggenheim, Abandoibarra Etorb, 2, Abando, 48009 Bilbao, Bizkaia, Espagne
Du 11 avril au 28 septembre

Helen Frankenthaler: Pintura sin reglas