ENTRETIEN – Pour le spécialiste Wassim Nasr, l’attentat-suicide imputé à Daesh qui a fait 27 morts dans un quartier chrétien de Damas, rappelle la capacité de nuisance des cellules djihadistes restées en Syrie, qui cherchent à décrédibiliser les autorités syriennes.
Un attentat-suicide a fait au moins 27 morts et une cinquantaine de blessés dans l’église Mar Elias du quartier chrétien de Damas en Syrie ce dimanche 22 juin 2025. Selon un ministre syrien, l’auteur de l’attentat appartenait au groupe État islamique.
Wassim Nasr est journaliste à France 24 et spécialiste des forces djihadistes, auteur de L’État islamique, le fait accompli (Plon, 2016).
LE FIGARO. – Vous étiez à Damas depuis quelques heures dimanche quand l’attentat contre l’église Mar Elias est survenu. Que sait-on à ce stade ? Le gouvernement syrien affirme que l’État islamique est derrière l’attaque, mais il n’y a pas eu de revendication…
WASSIM NASR. – Les informations sont encore confuses. Certains témoins parlent de deux attaquants, l’un qui aurait tiré et l’autre se serait fait exploser. Les autorités, et c’est la version la plus probable, parlent d’un kamikaze qui a tiré sur les fidèles avant d’activer se ceinture explosive. Que l’Etat islamique n’ait pas encore fait de revendication ne prouve rien. Il arrive qu’ils fassent des attentats, kamikazes ou autres, sans les revendiquer, comme en 2024, lorsqu’ils ont tué l’un des cofondateurs du Front Al-Nosra, ex-HTS, sans jamais communiquer dessus.
Mais le mode opératoire laisse entendre qu’il s’agit bien d’eux. Les témoins ont entendu des propos anti-chrétiens, puis des tirs, avant l’activation d’une ceinture explosive. Il n’y a pas d’autre groupe que l’EI qui commette ce genre d’attentat. Hormis la possibilité d’une velléité personnelle : il n’est pas à exclure qu’un radicalisé – comme il y en a beaucoup en Syrie – ait agi en son nom propre vu la facilité avec laquelle ont peut se procurer une arme et une ceinture explosive.
Depuis 2019, Daesh ne contrôle plus aucun territoire en Irak, ni en Syrie, mais n’a pour autant pas disparu. Que sait-on de ses activités ?
Les combattants de l’EI sont restés très présents notamment dans le désert de la Badiya, une immense surface qui s’étale de Homs et des grandes villes jusqu’à la frontière irakienne et à l’Euphrate au Nord. Dans cette zone, les djihadistes ont continué de vivre dans une certaine liberté. Pas parce que Bachar-el-Assad le leur permettait – certes ce n’était pas sa priorité – mais l’aviation russe et l’armée syrienne à l’époque n’avaient pas la capacité de tout contrôler. Après la chute du régime en décembre dernier, les Américains et les Français ont lancé des frappes aériennes pour empêcher toute capacité de regroupement de ces forces.
Mais elles restent actives de manière ponctuelle. Dans l’Est syrien, l’État islamique a déjà revendiqué deux attaques contre les forces régulières (l’une contre un convoi gouvernemental à Tulul al‑Safa en avril, faisant quatre morts dont un civil en décembre, l’autre en mai contre des combattants de l’Armée libre syrienne, faisant un mort et trois blessés, NDLR). Il y a eu aussi des cellules démantelées un peu partout, jusqu’à Alep et Damas. En janvier, les services de renseignement syriens ont annoncé avoir déjoué un attentat à la bombe planifié à l’intérieur du mausolée chiite de Sayyida Zeinab.
Un rapport de l’ONU en février comptait environ 300 hommes dans la Badiya, est-ce sous-estimé ?
Ce chiffre semble juste mais il n’inclut pas les djihadistes au nord de l’Euphrate, combattus par les Forces démocratiques syriennes (FDS) dominées par les kurdes du YPG. La Syrie post-Assad n’a pas changé, les FDS continuent à être ciblées par l’État islamique avec la même cadence. Puis ces mêmes FDS ont procédé à des libérations concertées de plusieurs vagues de combattants et familles syriennes de l’EI qui étaient entassés dans les camps. Parmi eux, certains retrouvent une activité contre les nouvelles autorités de Damas.
L’EI avait vu le jour en 2014 à l’aune du délitement de l’État irakien et du chaos de la guerre civile en Syrie. La chute du régime et l’instabilité politique qui en a découlé ont-elles profité aux djihadistes ?
Non, au contraire ! Ce qu’ils cherchent par ces attentats ciblés contre des communautés minoritaires, en l’occurrence les chrétiens, c’est décrédibiliser les autorités. Ils savent qu’en s’attaquant à des lieux de culte, l’impact psychologique sur les Syriens va être important. Le symbole est fort car depuis 1860, c’est la première tuerie de masse des chrétiens à Damas. À l’heure des levées de sanction et des premiers transferts Swift en Syrie, cela veut démontrer que les autorités ne sont pas à même de protéger leur population. Leur stratégie est un peu la même en Afghanistan. Puisqu’ils sont incapables de reprendre le pouvoir à Kaboul, les djihadistes harcèlent les talibans et perpètrent des attaques en série, comme en décembre avec l’attaque kamikaze qui a tué un ministre, ou en mai 2024 à Bamiyan, ville touristique du centre, où trois touristes espagnols ont perdu la vie.
Les chrétiens sont-ils particulièrement en danger face à ces attentats ?
Depuis la chute d’Assad, les chrétiens sont les seuls, parmi les minorités, à s’être vraiment rapprochés du nouveau pouvoir. Ils n’ont pas vraiment profité de l’ancien régime et veulent juste vivre tranquilles sous le nouveau. Tout ce qu’ils veulent c’est la paix. Ils ont donné de bons gages pour cela. Les chrétiens sont aussi la seule communauté qui n’a pas d’armes. Les Druzes ont des factions armées, les Alaouites peuvent reprendre les armes, mais les chrétiens sont complètement dépendants de la protection des nouvelles autorités. Or, il y a de nombreux radicaux en Syrie pour qui ces gages envers les chrétiens sont déjà trop. Dans ses communiqués de revendication des attaques contre les forces armées syriennes, l’EI accuse les autorités d’être mécréantes. Ils ont qualifié Ahmed al-Charaa lui-même d’apostat, parce que le chef du HTS a reçu les responsables chrétiens et leur laisse une liberté de culte, que ce soit à Alep, à Homs, dans les grandes villes. Il a aussi été reçu à l’Élysée et a serré la main de Donald Trump. Après l’attentat de ce dimanche, la ministre des Affaires sociales, elle-même chrétienne, s’est rendue sur les lieux. le gouvernement a déployé des forces devant les lieux de culte chrétiens, comme lors des fêtes de Noël et de Pâques. Ce n’est jamais suffisant, bien sûr. Mais tout cela est déjà trop pour certains radicaux.
Faut-il craindre une résurgence du groupe État islamique dans la région ?
Pas une résurgence, mais une confirmation de leur capacité de nuisance. Car ils ne tiennent pas de ville, les attentats se comptent encore sur les doigts d’une main, et la fréquence des attaques dans leur secteur d’activité principal dans le Nord-Est n’a ni baissé ni augmenté.