Par
Jean-Marc Aubert
Publié le
24 juin 2025 à 10h30
; mis à jour le 24 juin 2025 à 12h29
Un vaste trafic de drogue international entre la France -Marseille, Bordeaux, Saint-Etienne, Lille, Lyon, la région parisienne, Amiens, Bourges, Besançon, Annemasse- l’Espagne, l’Italie, le Luxembourg, l’Allemagne, le Danemark et les Pays-Bas, démantelé fin 2022-début 2023 était organisé depuis l’Hérault, à Montpellier, Mèze, Mauguio, Saint-Jean-de-Védas, Lattes et Béziers par des narcotrafiquants. Ils ont été jugés les 12, 13 et 14 mai 2025 devant le tribunal correctionnel de Montpellier et condamnés à quatre, cinq et à sept ans de prison et à de fortes amendes allant de 10 000€ à 40 000€, l’un d’eux ayant été relaxé; deux complices absents au procès et en cavale sont visés par un mandat d’arrêt.
Un jugement frappé d’appel par le parquet de Montpellier, avec donc un deuxième procès dans les mois qui viennent et qui sera également placé sous haute surveillance, comme en mai dernier au tribunal judiciaire et aux abords. Certains qui sont soupçonnés d’avoir du sang sur leurs mains vont être traduits prochainement devant la cour d’assises de l’Hérault pour le meurtre en bande organisé commis le 3 janvier 2023 vers 8h, à proximité de l’hôtel de ville de Montpellier, d’Othman Tafraouti âgé de 36 ans, un repris de justice qui régnait sur le narcotrafic à Cavaillon, dans le Vaucluse, sur fond de fusillades mortelles dans une cité abritant des points de deal.
Une équipe structurée qui voulait étendre son territoire en ciblant des points de deal juteux dans un quartier de Montpellier, ce qui générait des tensions, jusqu’à la mort par balles du trentenaire vauclusien par deux frères originaires d’Alès âgés de 22 et 25 ans, mis en examen. Lors de ces trois jours d’audience, un des avocats de la défense, Me Marc Gallix a insisté dans sa plaidoirie en qualifiant la plupart des prévenus de « simples mules et non des narcotrafiquants », demandant la clémence des juges.
Un renseignement anonyme
Métropolitain révèle comment l’antenne montpelliéraine de l’Office anti-stupéfiants -Ofast- a pu remonter jusqu’aux trafiquants soupçonnés d’importer des quantités très élevées de cannabis -résine et herbe- et de cocaïne, au terme de cinq mois d’investigations. L’enquête a débuté le 7 juin 2022 grâce à un renseignement anonyme : un indic faisait état de nombreux convois d’acheminement sur Montpellier de diverses drogues en grosses quantités lors de chaque voyage entre l’Espagne, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas et l’Allemagne et précisait qu’une des têtes du réseau possédait une Peugeot 5008. Les policiers identifiaient les deux frères vingtenaires demeurant dans le quartier de la Chamberte, à Montpellier, dès lors écoutés grâce à l’interception de leur téléphonie et plaçaient une balise sous ce véhicule, permettant de faire des liens avec sept autres voitures, une flotte appartenant à deux concessions automobiles avec locations de véhicules, à Montpellier et à Mauguio gérées par trois frères, dont les deux impliqués dans ce trafic international.
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Les enquêteurs ont établi que ces frères venaient épisodiquement le soir ou plus tard dans la nuit après la fermeture de la grille du parc automobile, avec ce constat : des véhicules changeaient d’emplacement ou ils n’étaient plus là le lendemain. Les deux mis en examen ont expliqué leur présence hors horaires d’ouverture de ces garages par le fait qu’ils étaient chargés de la gestion administrative et comptable.
« Ça sent le chocolat »
Des membres de cette organisation très structurée ont été aperçus en train de charger des marchandises entre trois véhicules stationnés dans un des parcs automobiles des deux concessions, lors de planques et de surveillances discrètes, comme dans la nuit du 22 au 23 novembre 2022. Des agissements filmés par la vidéo et immortalisés par des photos lors des surveillances diurnes et nocturnes et des conversations enregistrés dans les véhicules dotés d’une balise pour tracer les déplacements, désignant du cannabis et sonorisés par les enquêteurs, où il était question notamment de « beuh » et de shit. Un des échanges dans une voiture sonorisée par les enquêteurs, l’un des narcotrafiquants déclarait, presque en se trahissant que, « ça sent le chocolat », alors qu’avec deux des complices, il se rendait en Suisse, pays du chocolat bien entendu. Outre la « beuh », le shit ou autre termes, le chocolat désigne le haschisch.
Les mis en examen ont assuré que les sacs et les cartons chargés dans ces véhicules contenaient en fait du tabac à chicha et des cartouches de cigarettes pour des livraisons aux acheteurs. Les policiers ont également saisi des gants en latex, des morceaux de corde et des sacs en toile de jute, des cartes SIM, des sacoches
Pour le juge d’instruction, une des deux concessions automobiles servait de stockage des stupéfiants, ensuite livrés via notamment un go-fast, avec un véhicule ouvrant la route pour éventuellement débusquer des contrôles de police, de gendarmerie ou des douanes. Le décryptage des conversations téléphoniques lors des écoutes a révélé que celui qui était dans la voiture ouvreuse prévenait ses comparses du go-fast par « ok » ou « c’est propre », lorsque des péages se profilaient, lors des convois. Selon l’instruction, confirmée lors des trois jours d’audiences en mai dernier, ces narcotrafiquants effectuaient des importations importantes de cocaïne et de cannabis au moins cinq jours par semaine, essentiellement de nuit sur de longs trajets le plus souvent et avec des arrêts très courts à bord de véhicules volés et maquillés, et non avec ceux des concessions automobiles de Montpellier et de Mauguio, des Skoda Karoq, des Citroën DS3 et Jumper, des Audi S3, des Peugeot 308, des Renault Kangoo et une voiture Berlingo.
17kg de coke dans une voiture randonnée à la hâte
D’ailleurs, des membres du réseau ont abandonné à la hâte une voiture avec 17kg de cocaïne à la frontière franco-espagnole du Perthus, dans les Pyrénées-Orientales en prenant la fuite dans les bois, après un contrôle de douaniers non détecté. Des voitures de l’organisation recélaient 113 kg d’herbe de cannabis et 23kg de cocaïne pure dans 96 sacs avec des paquets de drogue thermosoudés. Cette voiture était dotées de caches aménagées sophistiquées. Et l’ADN d’un des narcotrafiquants a été isolé lors des prélèvements par la police technique et scientifique. Lors de la vague d’interpellations, un des suspects a tenté d’échapper aux policiers qui voulaient le menotter devant une résidence à Montpellier. Il avait pu être maîtrisé et conduit en garde à vue.
Pistolet mitrailleur dans la chambre d’un bébé
Les perquisitions réalisées aux domiciles des narcotrafiquants présumés se sont avérées fructueuses. Ainsi, dans la chambre du nouveau-né de l’un d’eux, les policiers ont mis la main sur un pistolet mitrailleur avec un chargeur vide et muni d’un silencieux, cinq cartouches de calibre 7.65 Browning, 59 cartouches de calibre 38 Spécial et un révolver Astra dissimulés dans des gants de toilettes, deux montres Rolex s’avérant être des contrefaçons, de la cocaïne, des vêtements et des chaussures de marque de luxe, des téléphones portables, du numéraire, des photographies de stupéfiants, des noms de code pour les clients, dont un alias ZZ, des notes laissant penser à de la comptabilité, des balances de précision utilisées pour peser la drogue, des conversations confirmant des voyages qui, en réalité étaient de présumés convois d’importation de drogue au Maroc et dans d’autres pays, comme par exemple le 18 août 2022 entre Montpellier et le Danemark.
Les narcotrafiquants faisaient aussi dans la résine et l’herbe de cannabis (©DIPN)Armes à feu, munitions, cagoules
Des armes à feu, des munitions, près de 5 000€ en billets, des brouilleurs d’ondes, des sacoches de marque Luis Vuitton, des trousseaux de clés, des cagoules, trois diagnostiqueurs de panne de voiture ont également été saisis et placés sous scellés judiciaires pour les besoins de l’instruction. Le juge d’instruction s’est intéressé au train de vie de ces mis en examen, comme relaté lors du procès de mai et a notamment découvert que que l’un d’eux, proche des têtes du réseau avait acquis un jet-ski neuf de 20 500€, alors qu’il perçoit le RSA. Il a expliqué ce train de vie par le fruit de son travail non déclaré.
Les analyses des produits illégaux confisqués lors des perquisitions ont démontré la présence de canniprene, une molécule connue pour être présente dans le cannabis thaïlandais. Les poudres blanches de cocaïne possédaient un taux élevé les rendant dangereuses en cas d’utilisation par les toxicomanes, si elles étaient consommées sans coupage. Lors du premier procès, il manquait dans le box des prévenus un des principaux narcotrafiquants de ce réseau et pour cause : ce père de famille domicilié à Gigean a curieusement échappé au coup de filet et serait en cavale au Maroc, après un bref séjour en Espagne. Condamné par défaut à trois ans de prison, il fait l’objet d’un mandat d’arrêt européen, tout comme un des mis en examen, qui a également pris la poudre d’escampette. Condamné en son absence à cinq ans de prison, il est recherché pour ce vaste trafic de drogue, mais également pour sa participation présumée à l’assassinat du dealer vauclusien dans sa voiture arrêtée à un feu rouge, près de la mairie de Montpellier, en janvier 2023.
Brigade des fugitifs sur les dents
Seront-ils arrêtés pour être rejugés en correctionnelle d’ici le deuxième procès devant la cour d’appel de Montpellier ? La brigade des fugitifs de la police judiciaire est sur les dents et mène une traque quotidienne avec l’aide des autorités européennes pour les localiser. Une belle affaire réussie à Montpellier évoquée alors qu’éclatent des soupçons visant deux commissaires et des policiers de leurs collègues de l’Ofast de Marseille suspectés d’avoir détourné une livraison de 400kg de cocaïne et qui se trouvent en garde à vue. Une sale affaire qui éclabousse de nouveau la police nationale.
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