Par
Lisa Rodrigues
Publié le
24 juin 2025 à 18h02
Dans moins d’un an, Éric Piolle rendra son écharpe de maire de Grenoble. En 2014, il est le premier écologiste à rafler une préfecture lors des municipales. Il est, aujourd’hui, le seul de son parti à avoir tenu deux mandats en tant que maire d’une grande ville.
Il a accepté de répondre pendant plus d’une heure aux questions d’actu Grenoble sur les derniers dossiers qu’il compte mener à bien d’ici mars 2026. Logement, sécurité, transports, culture, travaux… Éric Piolle dresse un premier bilan de ses années passées à la mairie de Grenoble. L’écologiste revient sur ses réussites, ses échecs et son plus grand regret.
L’objectif de 30% de logements sociaux
Actu : La Ville a atteint les 25% de logements sociaux. Est-ce que vous allez poursuivre les efforts en la matière ?
Éric Piolle : Oui, nous voulons continuer. Avec la délibération votée il y a deux ans, dans chaque quartier, nous forçons la construction de logement social. Il faut continuer à construire, à réhabiliter, parfois faire passer du parc privé dans le parc public.
L’autre gros enjeu, c’est la mobilisation des logements vacants. Grenoble, ce n’est pas loin de 2% des logements vides depuis plus de deux ans, pour des raisons variées. Nous avons voté le test de la réquisition. Ce n’est pas l’appropriation d’un bien privé : c’est contre un loyer.
Et l’objectif de 30% de logements sociaux, c’est d’ici 2030 ?
E.P. : Nous verrons quelle sera la trajectoire. Il faut des moyens financiers et des politiques qui orientent. La Ville de Grenoble, même si ça n’est plus de sa compétence, continue de financer la construction de logements sociaux.
Et concernant le permis de construire ?
E.P. : Les premiers retours étaient assez positifs. Le but est d’accompagner les propriétaires. Mais ça ne change pas une des inégalités majeures en France qui est que la moitié du parc locatif est détenue par 3,5% des ménages. Il y a évidemment à faire à l’échelle nationale pour lutter contre cette inégalité de patrimoine.
Sécurité : « Il faut poser les vrais débats »
La lutte contre le trafic de drogue est l’une des priorités du ministère de l’Intérieur. Grenoble fait partie des villes les plus touchées. En tant que maire, quels sont vos recours contre ce type de criminalité ?
E.P. : On s’inscrit dans le continuum de sécurité : la Ville coopère avec la police nationale et la justice, sur une politique qui est de la responsabilité du gouvernement. Le problème, c’est que la loi en France est la plus répressive d’Europe et n’a absolument pas de résultat, puisque la consommation de drogue a fortement augmenté.
À Grenoble, la violence s’est déplacée depuis 15-20 ans dans le milieu de la drogue. Avec ces dernières années une évolution inquiétante : un rajeunissement très fort de la délinquance.
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« À Grenoble, la violence s’est déplacée depuis 15-20 ans dans le milieu de la drogue », décrit Éric Piolle, maire écologiste de la ville. (©Anthony Soudani / actu Lyon)
On entend parler presque une fois par semaine de fusillades ou de coups de feu à Grenoble…
E.P. : Il ne faut pas s’emballer. Ça fait 6-7 mois qu’il n’y a pas eu de fusillade à Saint-Bruno, par exemple. Il y a un décalage à Grenoble entre la réalité des faits par rapport à d’autres villes, et l’exposition médiatique.
Pour le commun des mortels, quand on se promène dans la rue à Grenoble, il n’y a pas de risque. Mais les fusillades se font maintenant en journée et parfois dans des lieux fréquentés, ce qui n’était pas le cas il y a 10 ans.
Que faites-vous pour ces jeunes qui basculent dans le trafic de drogue ?
E.P. : Le jeune de 15 ans qui a été abattu il y a 10 mois à Hoche était suivi par les services pénitentiaires de la jeunesse. Nous avons eu du vandalisme dans les écoles fait par des jeunes qui étaient également suivis. C’est ça qui est inquiétant.
Il faut poser les vrais débats sur la table : est-ce que cette loi ultra-répressive, cette mobilisation de tous les moyens de sécurité et cette saturation de notre système de justice pour la question du trafic, marche ? De mon point de vue, ça ne marche pas.
Par rapport à cette politique répressive, vous avez dit plusieurs fois être pour la légalisation du cannabis. Est-ce une solution ?
E.P. : Je pense que la France est en retard sur la prise en charge de la consommation de drogue. Il faut se dire que cette lutte pour écoper la mer à la petite cuillère dans laquelle on envoie les policiers est très dure. Ils font leur travail du mieux qu’ils peuvent, mais ils voient bien que c’est vain.
Les caméras, « ça ne marche pas »
Il y a aussi la question de l’armement de la police municipale qui revient fréquemment dans le débat…
E.P. : Nos policiers municipaux sont armés avec des bâtons télescopiques, des bombes lacrymogènes, des pistolets à impulsion électrique… La police municipale fait un travail de tranquillité publique, elle est présente au milieu de la population. Il ne faut pas qu’elle arrête ce travail-là pour faire quelque chose qui ne marche pas.
La police nationale, je le redis, a perdu des effectifs depuis Nicolas Sarkozy. Il y a zéro transparence sur la répartition des moyens de police en France. Depuis 2014, je demande des effectifs de police supplémentaires. Les syndicats considèrent qu’il manque environ 120 policiers.
Concernant les caméras, certains disent qu’elles manquent à Grenoble pour retrouver les criminels. Qu’est-ce que vous en pensez ?
E.P. : Ça ne marche pas. Dans l’espace public, on a des caméras et on a même augmenté d’environ 50% leur nombre. Ce sont des débats rhétoriques. Même quand les caméras existent, il n’y a pas d’enquête. Quand il y a des vols dans la rue, il n’y a pas de mobilisation des caméras, même quand les images sont disponibles, parce que les policiers n’ont pas le temps, ils ne traitent que les affaires les plus graves.
Pourtant, les caméras ont aidé les enquêteurs dans des affaires, comme celle du jeune poignardé devant son lycée à Échirolles…
E.P. : Ça aide certaines enquêtes oui. Mais on a eu un meurtre sous l’œil des caméras d’un de nos agents [Lilian Dejean, NDLR] : la personne n’a pas été identifiée par les caméras, elle a laissé sa carte d’identité dans la voiture. Le jeune tué à Hoche, c’était sous l’œil d’une caméra qui était cassée. On a eu l’attaque du fourgon à 10h du matin à un carrefour où il y a des caméras. On dit que les caméras permettent d’élucider des affaires, mais la police judiciaire aussi !
Collectifs opposés aux grands travaux : « C’est une parole politique »
Plusieurs collectifs s’opposent aux grands projets d’aménagement et parlent d’un manque de concertation de votre part. Qu’est-ce que vous avez à leur répondre ?
E.P. : Les critiques sont sur la méthode. C’est plutôt une bonne nouvelle : ça veut dire que les objectifs de fond, qui étaient très conflictuels quand nous sommes arrivés en 2014, ont changé ! Nos opposants politiques ne sont plus en train de dire « il faut laisser la voiture partout ».
Sur la méthode, le dialogue, ce n’est pas suivre la voix des opposants.
Ils ne peuvent pas décider de diriger l’action publique juste parce qu’ils sont vindicatifs. Puis, il ne faut pas se leurrer : nous avons en face M. Carignon qui fait de l’entrisme partout. Ces collectifs revendiquent une parole citoyenne, mais c’est une parole politique.
Ça vous agace ?
E.P. : Ça ne m’agace pas. C’est inacceptable pour le débat public. Alain Carignon a été élu pour la première fois il y a 50 ans, il a eu un rapide passage aux responsabilités dont on connaît la fin. À peine, il a retrouvé ses droits civiques, qu’il a tenté un retour. Ça fait plus de 20 ans qu’il rate tout ce qu’il fait, mais toujours avec les mêmes méthodes. C’est dommage pour Grenoble, parce que ça crée des polémiques. Il instrumentalise et manipule des gens qui peuvent être en colère. Les Grenoblois ne sont pas dupes, mais certains, malheureusement, tombent dans ses griffes.
Selon Éric Piolle, les collectifs opposés aux travaux en centre-ville sont des alliés d’Alain Carignon, candidat LR à la mairie de Grenoble en 2026. (©Julien Sournies / actu Grenoble)
Est-ce que ces travaux vont continuer sur la fin de votre mandat ?
E.P. : Bien sûr. Les travaux des Chronovélos sur Vercors et Berriat démarrent, les travaux de la place de Metz ont commencé, les travaux dans les rues autour des Halles ont bien avancé, les places aux enfants continuent d’avancer, les végétalisations de cours aussi…
Moins de voitures en ville : « C’est un rééquilibrage »
Lors de vos mandats, le développement du vélo et de la piétonnisation ont été encouragés. Beaucoup disent qu’il est devenu difficile de circuler et de stationner en centre-ville. Est-ce que Grenoble se traîne cette image de ville pas favorable aux voitures ?
E.P. : C’est un rééquilibrage qui se fait. Je rappelle que les parkings en ouvrage continuent pour certains d’être sous-utilisés, donc les gens peuvent se garer. C’est juste que le changement de culture doit arriver maintenant en France.
Quatre collectifs d’habitants et commerçants de Grenoble ont mené une action, mardi 13 mai, pour manifester leur colère envers la Ville, accusée de ne pas les écouter concernant les projets d’aménagement de leurs quartiers. (©Lisa Rodrigues / archives actu Grenoble)
Donc, est-ce que les Grenoblois sont têtus ou est-ce que vous allez un peu trop vite ?
E.P. : Je crois que nous sommes en avance. Évidemment, ce caractère pionnier passe toujours par du débat public. À l’intérieur de la ville, vous pouvez circuler. Sur les accès, j’ai porté les travaux du Rondeau sur l’A480 avec des conditions qui ont été respectées. Sur le contournement, de fait, tout le monde dit que c’est beaucoup moins embouteillé. Il y a aussi une voie de covoiturage, une première en France, sur une autoroute de concession nationale qui, depuis quelques mois, est en service avec de la verbalisation. Les choses avancent.
Est-ce que vous allez, comme vos camarades écologistes de Lyon, faire payer plus cher le stationnement en voirie des grosses voitures type SUV ?
E.P. : C’est déjà le cas dans les parkings en ouvrage. Sur l’espace public, je pense que c’est une piste importante. Il y a des limites chez nous, liées à notre système d’horodateur. En ville, il y a objectivement un grand nombre de désavantages à ces mastodontes. Ça n’est pas une tendance qui est vivable. La volonté politique, on l’a depuis longtemps, mais je ne suis pas sûr qu’on arrivera à faire cela avant la fin du mandat.
Eric Piolle, maire de Grenoble, regrette de ne pas avoir mis en place la gratuité pour tous dans les transports en commun. (©Anthony Soudani / actu Lyon)Pas de gratuité pour tous dans les transports, le « regret » d’Éric Piolle
Les députés ont, en majorité, voté pour la fin des ZFE (Zone à faibles émissions). Est-ce que vous ça vous provoque un sentiment de colère, comme d’autres écologistes ?
E.P. : Atteindre les seuils de l’OMS en termes de pollution de l’air, c’est donner 3,5 mois de vie supplémentaire aux Grenoblois, et c’est une économie de 8 milliards d’euros d’ici 2045. Cet enjeu est majeur. Je pense que le gouvernement est un peu lâche là-dessus. L’accompagnement social n’était pas là.
En ce moment il y a une espèce de populisme sur le sujet. J’ai l’impression que c’est un peu la course à l’échalote pour 2027 à celui qui fera le plus de trash sur l’écologie…
Concernant les transports en commun, vous avez obtenu la gratuité des transports pour les plus précaires. Est-ce qu’il faut aller plus loin, aller vers la gratuité pour tous ?
E.P. : On me demande toujours quels sont mes regrets : c’en est un. Dans le premier mandat, nous visions la gratuité pour les 18-25 ans. Nous n’avons pas réussi, faute d’accord politique. Pour le deuxième mandat, on a voulu faire la gratuité le week-end. Nous n’avons pas réussi à l’obtenir, alors que ça l’est dans d’autres villes aujourd’hui. Nous prenons du retard là-dessus et c’est frustrant. On l’a fait pour 30% des Grenoblois, mais ça devrait se faire à l’échelle du SMMAG. C’est donc un regret, mais le combat continuera pour ceux qui me succéderont.
Propos recueillis par Lisa Rodrigues et Anthony Soudani
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