Pourtant, que le début de cette campagne fut hasardeux. L’ancienne cheffe du DDPS et présidente de la Confédération l’année passée a appliqué avec brio l’adage que tout Suisse qui a fait son service militaire connaît: «Courir pour attendre et attendre pour courir». En effet, il est de notoriété publique que le Conseil fédéral a précipité la fin des négociations afin de pouvoir à tout prix annoncer la fin de celles-ci durant la présidence de Viola Amherd encore. Nos négociateurs ont ainsi été soumis à une certaine pression, ceci pour arriver à un résultat bâclé? Ceux qui, comme moi, lisent ces accords avec un regard critique arriveront à cette conclusion.

La clause de sauvegarde migratoire sera inopérante

Après avoir couru, il y a eu le temps de l’attente. Que ce fut long! Six mois pour procéder à la relecture (legal scrubbing) ainsi que pour la traduction. Et puis vint enfin le moment de la délivrance: la publication de ces accords. Mais lors du début de la conférence de presse d’Ignazio Cassis, le site de la Confédération était tout simplement inaccessible. Il fallait aller sur le site de la Commission européenne pour avoir accès aux fameux documents. Certains y verront les prémices de la «soumission à l’Union européenne» : des textes législatifs essentiels à la Suisse doivent être lus auprès de la Commission européenne…

Cela étant, il convient maintenant de parler du fond et non plus de la forme. La première lecture que j’ai pu faire de ces accords confirme mon scepticisme. Cette lecture a fait sortir trois premières faiblesses, sur lesquelles j’ai déjà interpellé le Conseil fédéral. Premièrement, au niveau de la fameuse clause de sauvegarde que le Conseil fédéral n’a cessé de présenter comme étant une réussite. Or, une lecture attentive des accords m’amène à la conclusion que celle-ci sera inopérante, sauf accord du Tribunal arbitral, décision que la Confédération devra respecter conformément à l’engagement pris à l’art. 10 al. 5 du Protocole institutionnel.

Au niveau du secteur agricole, que le Conseil fédéral a systématiquement présenté comme étant préservé, l’intégration du règlement UE 2017/625 sur les «contrôles officiels» à l’art. 3 de la loi fédérale sur les denrées alimentaires et les objets usuels (LDAI) est particulièrement préoccupante. L’agriculture suisse pourrait être soumise aux contrôles agricoles mis en place par ce règlement de 142 pages.

Au niveau de l’accord sur l’électricité, une autre faiblesse découle du fait que les accords prévoient la libéralisation du marché de l’électricité mais maintiennent, pour les gestionnaires de réseau de distribution, une obligation de racheter l’énergie solaire. Cela me semble contradictoire.

Parti socialiste et Economiesuisse: l’alliance de la carpe et du lapin

Finalement, face à la complexité juridique de ces accords, le débat pourrait se résumer à la question suivante: voulons-nous plus d’Europe et moins de Suisse? Le proverbe suivant devrait suffire pour y répondre par la négative: «Quand je me regarde, je me désole, quand je me compare, je me console». En effet, à presque tous points de vue, la Suisse fait mieux que l’UE. Elle n’a ainsi pas besoin d’un nivellement législatif par le bas…

Un autre aspect devient également intéressant: l’alliance qui est en train de se former pour défendre ces accords, digne du mariage de la carpe et du lapin. En effet, si les partisans de ces accords ont été, jusqu’à aujourd’hui, très silencieux, ils commencent à sortir du bois. On perçoit ainsi la gauche historiquement europhile, Parti socialiste en tête, d’un côté, et de l’autre côté, Economiesuisse, défenseuse d’une grande économie d’exportation. Cette alliance d’une gauche qui prône «le dépassement du capitalisme» d’une part et d’autre part, d’Economiesuisse, association faîtière symbolisant le grand capitalisme, est déroutante pour ne pas dire suspecte…