C’est un petit bout de Scandinavie en plein cœur des Yvelines. Seule réalisation du Finlandais Alvar Aalto en France, la maison Louis Carré est un bijou architectural qui se dresse tel un phare du modernisme dans un écrin de verdure depuis la fin des années 1950. Riche marchand d’art, Louis Carré a donné carte blanche à l’architecte rencontré lors de la Biennale de Venise en 1956… à une exception près : ce grand ami de Le Corbusier a horreur des toits plats.

Alvar Aalto dessine donc cette immense bâtisse aux larges baies vitrées ouvrant sur un large terrain en pente. Si les chambres sont relativement petites, les pièces de vie présentent, quant à elles, des volumes importants, afin de permettre à Louis Carré de recevoir ses amis – artistes ou collectionneurs. Des luminaires aux poignées de portes, Aalto conçoit aussi l’intégralité du mobilier, dont les lignes organiques s’intègrent à merveille dans cet espace lumineux et boisé où cohabitent les matériaux nobles. Quant aux murs, ils sont laissés parfaitement blancs pour pouvoir accueillir, au gré des envies du propriétaire, les œuvres issues de sa collection. « C’est une véritable maison-galerie », résume aujourd’hui Asdis Olafsdottir, directrice du lieu qui rouvre ses portes aux visiteurs après sept mois d’importants travaux de rénovation de ses espaces extérieurs.

Maison Louis Carré

Depuis, à la maison Louis Carré, on perpétue le souvenir de l’ancien propriétaire en organisant des expositions d’art moderne et contemporain. Cet été, ce sont les œuvres de la peintre Geneviève Claisse qui, du salon à la chambre, s’invitent sur les murs, donnant l’impression qu’elles ont toujours été accrochées là. Il faut dire que l’abstraction géométrique de l’artiste, comme sa palette aux tons purs, s’intègrent parfaitement dans cette architecture fonctionnelle.

À lire aussi :
La maison Louis Carré : une merveille de l’architecture moderne cachée dans les Yvelines

L’héritière d’Auguste Herbin

Portrait de Geneviève Claisse

Portrait de Geneviève Claisse, 1962

Peu connue du grand public, Geneviève Claisse a pourtant compté parmi les grands noms de l’abstraction de la seconde moitié du XXe siècle. Née en 1935 à Quiévy, non loin de Cambrai, elle s’affirme comme l’héritière des grands coloristes que cette âpre terre du Nord a engendrés tels Henri Matisse et Auguste Herbin, dont elle découvre un jour de 1953 qu’il est son lointain cousin.

Lectrice assidue de la revue L’Art d’aujourd’hui, Geneviève Claisse s’engage alors, en autodidacte, sur la voie de l’abstraction. Le vieux Herbin, bien qu’atteint d’hémiplégie, l’encourage et l’engage comme assistante. Bien plus tard, dans les années 1990, Claisse publiera le catalogue raisonné de son aïeul.

Exposition Geneviève Claisse à la maison Louis Carré à Bazoches-sur-Guyonne

Exposition Geneviève Claisse à la maison Louis Carré à Bazoches-sur-Guyonne

i

« L’abstraction donnait un sens à ma vie, m’apportait un vrai bonheur. Je me suis sentie naître une deuxième fois le jour où j’ai réalisé ma première œuvre », se souviendra l’artiste. Bien vite, les élans lyriques de ses débuts cèdent leur place à une rationalité géométrique qui ne la quittera plus. Son vocabulaire formel s’enrichit de cercles, de triangles et d’autres quadrilatères qui, traités en aplats de couleur, colonisent la surface de la toile sur laquelle ils semblent s’animer. D’une grande rigueur, son œuvre n’en demeure pas moins marquée par une forte sensibilité et une quête d’absolu.

À lire aussi :
L’étonnant alphabet synesthésique d’Auguste Herbin, pionnier oublié de l’art abstrait

Une grande artiste abstraite à redécouvrir

« Geneviève Claisse respire l’esprit de son époque dans ce qu’il a de meilleur. »

Mario Choueiry

Aujourd’hui largement méconnue du grand public (et ce malgré une importante rétrospective présentée en 2015 au musée Matisse du Cateau-Cambrésis), Geneviève Claisse a pourtant fait partie des figures emblématiques de l’abstraction et de l’art cinétique défendues par la galerie Denise René, aux côtés, entre autres, de Victor Vasarely. Exposée à Paris mais aussi à Londres, New York et Copenhague, elle assoit sa stature internationale et réalise en 1967, à l’occasion de l’Exposition universelle de Montréal, le décor du bassin du pavillon français. De même, elle prend la suite de Sonia Delaunay en tant que représentante de la France à l’Association internationale des arts plastiques (UNESCO) de 1986 à 1995.

Exposition Geneviève Claisse à la maison Louis Carré à Bazoches-sur-Guyonne

Exposition Geneviève Claisse à la maison Louis Carré à Bazoches-sur-Guyonne

i

Dès le milieu des années 1960, ses formes géométriques s’échappent de la toile pour se déployer dans l’espace. En témoigne la poignée de sculptures disséminées dans la maison Louis Carré et son paisible jardin. « Elle respire l’esprit de son époque dans ce qu’il a de meilleur », note le commissaire de l’exposition Mario Choueiry (à qui l’ont doit aussi l’éclatante rétrospective consacrée à Auguste Herbin au musée de Montmartre en 2024). La carrière de Geneviève Claisse est par ailleurs marquée par des allers-retours entre le noir et blanc et la couleur.

Exposition Geneviève Claisse à la maison Louis Carré à Bazoches-sur-Guyonne

Exposition Geneviève Claisse à la maison Louis Carré à Bazoches-sur-Guyonne

i

Au cours des années 1970, dans la continuité des suprématistes russes (Malevitch en tête), elle délaisse ses emblématiques cercles et triangles pour se consacrer aux lignes noires qui invitent l’œil du spectateur à un véritable jeu géométrique sur la surface blanche du tableau. Ainsi, toute sa vie, l’artiste n’aura eu de cesse de mener des recherches sur les formes et les couleurs qu’elle réactualise sur la toile. « La couleur est la vie de l’œuvre, elle donne la vie », considérait Geneviève Claisse – une artiste de l’absolu qu’il est grand temps de redécouvrir.

À lire aussi :
Chef-d’œuvre moderniste, la maison-atelier de Jean Lurçat se dévoile à Paris

Du 14 juin 2025 au 21 septembre 2025
Pour visiter la maison et l’exposition, il est nécessaire de réserver par mail. Des visites avec navette depuis Paris le premier samedi de chaque mois d’avril à novembre.

www.maisonlouiscarre.fr