À quelques jours de la finale tant attendue face à Bordeaux-Bègles, le président du Stade Toulousain Didier Lacroix se confie sur une saison hors normes, marquée par des drames, une hécatombe de blessés, l’affaire Jaminet mais aussi par une solidarité qui a permis au club de maintenir le cap.
« Si on avait six heures devant nous et un divan… ». Didier Lacroix parle d’un ton à la fois grave et lucide. Cette saison restera, quoi qu’il advienne en finale, comme l’une des plus éprouvantes de son mandat de président du Stade Toulousain qui disputera, samedi soir, la finale du Top 14 face à l’Union Bordeaux-Bègles. Deux drames humains ont assombri l’été dernier du club, la disparition de Mehdi Narjissi, puis celle de l’épouse de Joe Tekori. « Des événements tragiques, que personne ne prévoit, et qui laissent une marque indélébile ». Pourtant, pas de fuite en avant. Pas d’excuse non plus. « L’équipe crabos, notamment, ne s’en est pas remise mais on ne s’est jamais réfugiés derrière ces drames », insiste Lacroix, qui confie avoir vu son club changer en profondeur. « Peut-être qu’on ne passera jamais à autre chose, ou que ce sera toujours un peu différent. Cette saison nous a changés à jamais. »
On l’a fait avec amour, avec un grand A
Les blessures ont, elles aussi, rythmé la saison. Dupont, Mauvaka, Capuozzo, pour les plus réputés. Aucun secteur de jeu n’a été épargné. Malgré un effectif géré au cordeau par Ugo Mola avec de nombreux turn overs, les blessures ont été un fléau de la saison toulousaine. Trop nombreuses, trop lourdes. Comment l’expliquer ? « Je suis incapable de pointer un seul paramètre. On avait tout préparé pour l’éviter, et pourtant… », confie le président. « Il nous manque des joueurs mais on continue d’avancer. Et certains vont vivre leur première finale, peut-être leur premier titre » Ajoutez à cela l’affaire Jaminet, et le retentissement médiatique qui s’en suivi, et vous obtenez un cocktail explosif. Pourtant, le Stade Toulousain n’a jamais sombré. « Est-ce que ça nous a soudés ? Je ne sais pas. Ce que je sais, c’est qu’il y avait encore de la joie dans les vestiaires. Et des sourires. Le rugby, c’est aussi ça. »
Dans cette tourmente, c’est l’humain qui a tenu le club. L’union qui a fait la force. « Il fallait une force mentale et collective pour affronter tout ça. On l’a fait avec amour, avec un grand A. Sur ce plan-là, je pense qu’on a été à la hauteur. »
« Le président doit savoir s’effacer »
Le Stade toulousain a -un dernier combat à mener samedi soir, afin de conclure cette saison si particulière par une victoire. « On est encore là. On va tout donner et comme le dit souvent Ugo, on a des putains de mecs. » À la question de savoir si cette saison est la plus difficile de sa présidence, la réponse fuse : « Oui, clairement ». Pour autant, Lacroix refuse que les malheurs du club servent de justification, même en cas d’échec. « On ne se cachera pas derrière. On a relevé des défis, et on va essayer d’en relever un dernier. » Si le Stade Toulousain est souvent vu comme « le club à battre », Didier Lacroix, à fleur de peau parfois, en est le reflet. Il évoque avec émotion les mots de Thomas Ramos, après le quart de finale de Champions Cup contre Toulon : « Il a dit qu’ils voulaient gagner pour moi. Bien sûr que ça m’a touché. Mais ce qui m’importe, c’est qu’ils gagnent pour eux. »
Malgré sa légitimité, Didier Lacroix préfère rester en retrait à l’approche des grands rendez-vous. « Plus l’heure du match approche, moins le président sert à quelque chose. Il faut savoir s’effacer. » S’il intervient dans les grandes orientations du club (« On parle déjà de 2031 avec Ugo et Jérôme »), il laisse le sportif aux mains du staff. Il n’en oublie pas pour autant l’adrénaline du terrain. Présent aux captain runs (entraînements du capitaine, les veilles de match), il sourit en évoquant les matchs de foot improvisés entre jeunes et anciens : « Je crois que j’ai encore une place à prendre l’an prochain. Techniquement, rien ne m’impressionne », lâche-t-il avec un clin d’œil.
Il y a une revanche à prendre, mais sans esprit de revanche
Vient le moment d’aborder la finale à venir, face à Bordeaux-Bègles. Une équipe que ses joueurs avait corrigée l’an dernier, déjà en finale (59-3) mais qui, depuis, a battu trois fois ses Toulousains. Dont une défaite retentissante, lors de la dernière demi-finale de Champions Cup. « Il y a une revanche à prendre, mais sans esprit de revanche. Évidemment qu’on a envie de réinstaller les compteurs au bon niveau mais je pense qu’eux aussi ont l’intention de les maintenir là où ils sont. C’est le jeu ». Le président du Stade ne se voile pas la face : le rapport de force est bien réel.Il évacue toute notion de supériorité. « Ce qu’on va affronter, c’est ce qui se fait de mieux. Et je le dis avec le plus profond respect. Ce n’est pas une formule de style. Ce n’est pas pour leur coller le statut de favori. Ils ont appris depuis la finale de l’an dernier. Et nous aussi. C’est la nature même des grandes équipes. »
Le Brennus, il est chez nous, c’est notre héritage
Si l’adversité est certaine, l’arme principale du Stade Toulousain réside dans sa capacité à transformer les grands rendez-vous en démonstrations de maturité. « Une finale, c’est un match comme un autre sauf que tout va plus vite, que tout se voit davantage. C’est le moment où il faut être plus sobre, plus efficace que jamais. Un homme averti en vaut deux. J’espère qu’on n’en vaut pas deux, mais qu’on en vaut trois » souligne Didier Lacroix. Car Toulouse va disputer sa troisième finale consécutive. « L’expérience, c’est ça. C’est savoir que le bus va peut-être mettre plus de temps, que l’échauffement sera plus bruyant, que chaque détail peut devenir un grain de sable. » Lacroix insiste : « le rôle des dirigeants n’est pas de prendre la lumière. C’est d’anticiper, d’organiser, de fluidifier et d’offrir aux joueurs le meilleur cadre possible, sans fioriture, sans luxe inutile. Juste les conditions pour qu’ils soient les plus performants, comme l’a été Romain Ntamack dans les derniers instants en 2023 face à la Rochelle. » Plus que tout, Lacroix en appelle à l’essence même du jeu. « Ce qu’on veut, c’est sortir notre meilleur rugby. Celui qui nous permettra d’être devant à la dernière minute et de rentrer à la maison avec le Bouclier. Le Brennus, il est chez nous, c’est notre héritage. À nous de continuer à l’honorer. »