« Il y a rarement une seule cause au bégaiement »

En Charente, certains récits dessinent…

« Il y a rarement une seule cause au bégaiement »

En Charente, certains récits dessinent des trajectoires forgées à l’ombre d’un trouble dont certains facteurs sont aujourd’hui clairement identifiés : « la génétique, l’environnement, l’existence de soucis de santé, l’autisme », énonce Véronique Ehlers, membre active de l’association Parole bégaiement en Charente. « Ça fait partie des troubles du neuro développement », appuie Christine Tournier.

Véronique Ehlers (à g.) a vécu une carrière d’enseignante en dissimulant le plus clair du temps son bégaiement. Ici aux côtés de Christine Tournier, orthophoniste.

Véronique Ehlers (à g.) a vécu une carrière d’enseignante en dissimulant le plus clair du temps son bégaiement. Ici aux côtés de Christine Tournier, orthophoniste.

Renaud Joubert

Véronique Ehlers est venue sur le tard aux séances d’orthophonie. « J’avais 48 ans. J’étais en burn-out, j’avais développé une phobie sociale. Mon bégaiement me bouffait la vie », raconte celle qui a souvent « mis un masque en public », déployant face à ses élèves d’énormes efforts pour atteindre la fluidité. « Quand je redevenais moi-même, je bégayais », sourit-elle derrière ses grandes lunettes. Elle croise alors la route de Christine Tournier qui va l’accompagner « pendant un an ». « Et là, au fil des séances, il y a eu un poids énorme en moins sur mes épaules. J’ai commencé à ne plus me sentir coupable », raconte la quinquagénaire. C’est d’ailleurs « bien là l’ambition des séances de travail », estime Christine Tournier. « Faire en sorte de réduire l’impact qu’a le bégaiement dans la vie des patients », abonde l’orthophoniste qui rappelle qu’aujourd’hui « pour 80 % des enfants, le trouble finit par s’estomper ». Mais dans certains cas, il persiste.

Un traumatisme dans l’enfance ?

À Saint-Sornin, c’est l’histoire que livre le maire, Michael Canit, qui comme François Bayrou, a fait carrière dans la politique. À 50 ans, l’élu au Département et président de Charente Eaux a toujours été taiseux sur le sujet. « C’est la première fois que j’en parle », pose-t-il dans son bureau peuplé de coupures de presse, de dessins d’enfants et autres cartes du territoire.

D’après le récit parental, son bégaiement serait dû à un trauma. À l’âge de « 3 ou 4 ans », on suspecte une méningite. « À l’hôpital, j’ai subi une ponction lombaire. Mes parents m’entendaient hurler à l’autre bout du couloir », retrace-t-il de ce qui aurait pu être un point de bascule. « Moi je n’en ai aucun souvenir. » Christine Tournier nuance l’évocation de ces événements datés. « Il y a rarement une seule cause au bégaiement. »

« Michael Kael »

Pour le reste, Michaël Canit évoque « des instituteurs bienveillants ». Une maîtresse « qui me faisait chanter en classe pour que je puisse aligner deux mots ». Il y a aussi l’orthophoniste, le théâtre que « l’on m’encourage à pratiquer ». Les moqueries aussi, un peu. Plus tard, au collège, au lycée, il est « Michael Kael », référence à des Grolandais qu’il vénère.

À Saint-Michel, Gaylord Parinet, commerçant de 33 ans, revient sur « un côté bagarreur » qu’il développe à l’école. Sans doute l’expression hasardeuse « d’une colère, de choses à prouver » dont son bégaiement a été le terreau. Aujourd’hui à la tête de la brocante La Caverne du dénicheur, le trentenaire ne fait pas d’angélisme sur le sujet : « Bien sûr, ça a été dur », confie celui qui a enchaîné les séances d’orthophonie, avec le psychologue et « les stages collectifs ». Lui qui aime le monde de la nuit, « ça devient compliqué en soirée quand tu te trouves face à quelqu’un qui ne te laisse pas de marbre. »

« Je préfère souvent fermer ma gueule. »

Michael Canit rappelle la concentration énorme et la préparation millimétrée nécessaires à la prise de parole en public. « J’ai tout le temps peur d’ennuyer mon auditoire. Je préfère souvent fermer ma gueule ». Même en conseil municipal, même dans l’hémicycle du Département.

Dans le podcast en ligne de l’association Parole bégaiement, Houssedine, jeune Angoumoisin regrette, lui, l’invisibilisation des personnes bègues. « J’aurais aimé, plus jeune, en entendre à la radio, en voir à la télé ». Là où la société n’offre à voir « que des paroles parfaites et sans accroc ». Outre des films sur le sujet, les réseaux sociaux sont aussi devenus des caisses de résonance. « L’idée dans tout ça, c’est d’en parler de façon positive et nuancée », analyse Christine Tournier. Rejetant ces discours simplistes du « j’ai parlé devant 500 personnes et ma vie a changé ».

Et puis, il y a la méconnaissance. « Face à une personne qui bégaie, le mieux à faire c’est de l’écouter », glisse l’orthophoniste. « Et non, ça ne sert à rien de ‘respirer un grand coup’, ni ‘d’arrêter de stresser’ », clarifie-t-elle.

Sur son trouble, Michaël Canit garde en mémoire un épisode marquant. « Je suis en 4e au collège de Montbron. Nous sommes en 1989, on fête le bi centenaire de la Révolution. Je dois déclamer le Serment du jeu de paume lors d’une représentation. Chez les profs, certains doutent de ma capacité. » Les yeux rougis, il marque un temps : « Et puis, ils ont finalement décidé de me faire confiance. » Le poids du regard sur leurs mots.

Des ressources pour changer le regard
« Jusqu’au début des années 1990, le bégaiement est abordé en France de façon très psychanalytique », explique Christine Tournier, orthophoniste. « On partait systématiquement de l’état émotionnel, de la santé mentale des gens, ce qui est désormais tout à fait remis en cause ». Aujourd’hui, l’association Parole bégaiement milite pour la valorisation des personnes bègues. Des podcasts fleurissent : « bègues in » de Louis Lawson, « Ça prendra le temps que ça prend » de Michel Montreuil (Radio Canada), « Noir et bègue » de Mike Muya ou encore « je je je suis un podcast ».