À l’entame de la saison estivale, le membre fondateur de la station SNSM (Société nationale de sauvetage en mer) de l’ouest-Var et aujourd’hui président, 1.200 interventions au compteur, fait quelques rappels et revient sur cette aventure humaine, avec ses hauts et ses creux.
Votre histoire est liée à celle de la station SNSM de Bandol. Et elle dure… Depuis quand?
J’en suis l’un des membres fondateurs, c’était en 1981. On dirait que c’était hier. Le docteur Suquet (qui fut maire de Bandol) en était le président.
Qu’est-ce qui a motivé la création de la station?
On est dans les années post-Tabarly, on assiste au boom de la plaisance, le port de Bandol vient d’être construit, avec ses 1.700 anneaux… Il y a un véritable afflux. Il existait alors deux stations qui géraient le secteur de Bandol: celles de La Ciotat et de Toulon. À l’époque, les bateaux ne dépassaient pas les 9 nœuds et il fallait parfois compter 1h30à 2h aux sauveteurs pour arriver sur zone. Et après quelques gros incidents à Bandol, comme des bateaux en feu, des accidents de plongée (qui se démocratisait aussi), le siège national de la SNSM et le préfet maritime ont souhaité créer une station à Bandol. Et de par mes connaissances, travaillant aux Affaires maritimes, ça coulait de source que je vienne aider.
À 66 ans, vous venez d’être renouvelé à la présidence pour six ans… Vous partez encore en intervention?
Exceptionnellement seulement. Je suis la cinquième roue de la charrette désormais: j’ai quatre super capitaines de bateau, trente-cinq sauveteurs au total… Je pars seulement si l’un d’eux à un empêchement.
Vous estimez à combien le nombre de sauvetages que vous avez effectués?
J’ai été patron titulaire de 1989 à 2003. J’ai dû faire 1.200 interventions en tout, je dirais…
Qu’est-ce que vous retiendrez de cet engagement au long cours?
C’est le collectif avant tout. Tout seul, on ne fait rien. Sans l’équipage, à la mer on n’est bon à rien. Et ça, quelle que soit la qualité du capitaine. Il a toujours besoin de ses mécaniciens, de ses nageurs, de ses plongeurs, d’un chef de pont… Ce qui m’a plu avant tout, c’est cet esprit d’équipe. C’est comme au rugby: tu peux être le meilleur des ouvreurs, si tu n’as que des truffes autour, tu ne fais rien! J’ai aussi été entraîneur de foot, je me suis occupé d’associations… mais je n’ai jamais rien ressenti de plus fort que durant mes interventions.
C’est de l’adrénaline pure?
Quand la sirène retentissait (aujourd’hui c’est un bip sur le téléphone), quand l’alerte du Cross Med t’annonce qu’il y a des gens à la mer, que tu vois le temps de m… et que tu sais que tu vas y aller… Oui, c’est de l’adrénaline. C’est aussi de la fierté après la réussite d’une mission! Cette satisfaction réelle du devoir accompli. Quand tu sais que, sans toi, des gens n’auraient peut-être pas survécu. Et il y a aussi des moments très durs. Quand tu fais face à la détresse des familles de victimes, et pire encore quand il s’agit d’enfants ou des gens que tu connais… Quand ce qui devait être du plaisir se transforme en catastrophe, c’est dur.
D’où quelques messages utiles, avant l’été particulièrement?
Aujourd’hui, dans le monde de la plaisance et du loisir nautique, on voit beaucoup de gens inexpérimentés. Ce n’est pas de l’inconscience, mais de la méconnaissance, qui peut avoir de graves conséquences. Alors, informez-vous, formez-vous, faites du compagnonnage, apprenez la météo, entretenez votre bateau… Et puis, bien sûr, sachez donner l’alerte (VHF 16 ou appel au 196). Un permis ne fait pas tout. La Méditerranée n’est pas un lac. Une brise marine qui se lève, avec des vagues de deux petits mètres, pour nous ce n’est rien, mais dans un mouille-cul, c’est vite la panique!
La SNSM, on le sait, fonctionne bénévolement. C’est compliqué?
Au niveau national, oui. Mais la station de Bandol tient bon, grâce à des partenaires et mécènes fidèles, même si on doit toujours faire la quête pour fonctionner correctement, payer le carburant, les équipements… Et l’appel aux dons reste difficile, même du côté des plaisanciers eux-mêmes. Sur les 5.000 propriétaires de bateaux de notre zone d’intervention, qui va des Lecques jusqu’aux Embiez, seulement 700 donnent. Notre station tient surtout aussi grâce aux sauveteurs eux-mêmes, que nous formons. Quand on appareille, on a un équipage complet, avec des compétences multiples, fort de véritables qualifications professionnelles. On a des entraînements permanents… Mais le plus important, c’est la mentalité.
C’est-à-dire?
C’est du grand bénévolat, c’est être disponible pour les autres, sans compter son temps. C’est, parfois, mettre sa vie en péril en voulant sauver celle des autres. Dans le monde d’aujourd’hui, individualiste, où tout se monnaye, avoir encore des gens comme ça, c’est un trésor pour la SNSM… Et pour l’État, qui ne nous finance qu’à hauteur de 25% de nos investissements et qui délègue tout le sauvetage en mer à une association agréée. Mais c’est ainsi.
L’île des Embiez, à Six-Fours. Photo archives Var-Matin.
Ça reste entre nous : coups de cœur et petits secrets
Où emmenez-vous quelqu’un qui vient chez nous pour la première fois?
Sur l’île des Embiez. On fait le tour, à pied ou en petit train, et on finit là-haut, par la tombe de Paul Ricard. La SNSM a d’ailleurs de très bons rapports avec la famille Ricard. C’est un partenaire historique. Et elle nous permet de faire nos formations chez eux. Quand les collègues d’autres régions viennent, ils sont jaloux !
Avec une baguette magique, que changeriez-vous dans la région?
Il n’y a rien à changer dans notre belle région, alors je dirais : que davantage de gens comprennent l’importance d’aider la SNSM pour continuer notre noble mission.
Qu’est-ce qui vous manque quand vous n’êtes pas dans la région ?
Facile. La mer.
Et si vous deviez vivre ailleurs, ce serait où?
L’Italie. J’ai des origines. D’ailleurs, je parle bien italien. Quand j’étais enfant, on a gardé mon arrière-grand-mère avec nous à la maison, et elle ne parlait pas un mot de français. Et puis, avec ma femme (Floriane, qui tient le traiteur « Bienvenue en Italie » à Bandol), on a fait tout le tour du pays pour rencontrer les petits producteurs. Parler avec eux, goûter, les voir élever, les voir produire… Là-bas, je me sens chez moi.
Qu’est-ce qui vous met de bonne humeur le matin?
Venir à la station et voir ce beau collectif.
Et de mauvaise humeur?
La méchanceté gratuite et les casse-couilles.
Bio express
1959
Naissance à La Ciotat
1979
Service militaire
1980
Entre aux Affaires maritimes, où il restera jusqu’à la retraite en 2022, en tant que chef de l’unité littoral
1981
Création de la station SNSM de Bandol
1989
Prend le commandement des équipages de la station
2001
Prend la suite de Xavier Suquet à la présidence de la station
2025
Est renouvelé à la présidence de la station pour un mandat de six ans, « le dernier », dit-il.