Jamais autant de grandes fortunes n’avaient quitté leur pays d’origine, apprend-on dans le rapport «Henley Private Wealth Migration Report 2025». Parmi les destinations privilégiées figurent les Émirats arabes unis, les États-Unis ou encore l’Italie.
Un nombre inédit de millionnaires s’apprêtent à faire leurs valises dans le monde : selon le rapport «Henley Private Wealth Migration Report 2025», 142.000 personnes disposant d’un patrimoine net supérieur à un million de dollars devraient quitter leur pays pour s’établir ailleurs cette année. Derrière ce phénomène discret mais massif se joue une redéfinition des pôles d’attraction mondiaux, marquée par le déclin de plusieurs puissances européennes et l’ascension rapide de juridictions plus accueillantes fiscalement, notamment au Moyen-Orient et au sud de l’Europe.
Le Royaume-Uni subit la plus lourde perte nette, avec 16.500 millionnaires en moins attendus en 2025. Il s’agit également du plus haut niveau observé depuis que ces flux sont analysés par le cabinet de conseil en migration internationale Henley & Partners et le cabinet d’intelligence patrimoniale New World Wealth, soit depuis une décennie. Longtemps considéré comme une terre d’accueil pour les grandes fortunes, Londres paie aujourd’hui la fin des régimes fiscaux privilégiés pour les non-résidents, le durcissement des droits de succession et un climat d’instabilité post-Brexit, souvent désigné sous le terme de «Wexit» (pour «wealth exit», soit la fuite des fortunés).
«Le Royaume-Uni est aujourd’hui dans une situation unique : il perd sur les deux fronts, en n’attirant plus les investisseurs étrangers tout en ne retenant plus ses propres millionnaires», estime Stuart Wakeling, associé chez Henley & Partners. Selon lui, l’absence de stratégie migratoire claire depuis la suppression du visa «Tier 1 Investor» en 2022, combinée à une pression fiscale croissante, alimente cette fuite silencieuse.
L’essor de nouveaux havres pour les millionnaires
«Le Royaume-Uni a vu son nombre de millionnaires chuter de 9% depuis 2014, tandis que les États-Unis enregistraient une hausse de 78% sur la même période», observe Trevor Williams, ancien chef économiste de Lloyds Bank. Il ajoute : «L’Amérique attire toujours les capitaux et les talents, alors que le Royaume-Uni n’a pas su concrétiser les promesses de flexibilité post-Brexit.» La fiscalité britannique, devenue moins lisible, aggrave la situation. «La suppression du statut de non-domicilié, la taxation rétroactive de certains fonds ou encore l’application d’une TVA de 15% sur les frais de scolarité privés donnent l’impression que le pays devient de moins en moins accueillant», note Peter Farrigno, directeur des services fiscaux chez Henley & Partners.
Le phénomène dépasse largement les frontières britanniques. Pour la première fois, les poids lourds de l’Union européenne enregistrent aussi des soldes négatifs : France (-800), Espagne (-500), Allemagne (-400). En cause : un environnement jugé fiscalement dissuasif et une compétition accrue entre États.
À l’inverse, certains pays enregistrent des afflux massifs de personnes fortunées. Les Émirats arabes unis s’imposent en tête des destinations mondiales, avec un gain net de 9800 millionnaires cette année, devant les États-Unis (+7500), l’Italie (+3600), la Suisse (+3000), le Portugal (+1400) et la Grèce (+1200). Des pays qui misent sur des régimes fiscaux incitatifs et des conditions de résidence simplifiées. «Il ne s’agit pas seulement d’impôts. Ce mouvement reflète une recherche accrue de stabilité, de liberté économique et de perspectives d’investissement à long terme», résume Juerg Steffen, président-directeur général de Henley & Partners.
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La Thaïlande nouveau refuge en Asie du sud-est
En Asie, le tableau est contrasté : la Chine (-7800), l’Inde (-3500) et la Russie (-1500) continuent de voir partir leurs riches, mais moins qu’auparavant. Le développement de hubs comme Shenzhen ou Hangzhou en Chine participe à retenir une part croissante des fortunes locales. La Corée du Sud voit, au contraire, s’accélérer les départs (-2400), dans un contexte d’instabilité économique et politique.
Certaines destinations traditionnelles, comme Singapour (+1600), l’Australie (+1000), le Canada (+1000) ou la Nouvelle-Zélande (+150), semblent perdre de leur attrait auprès des entrepreneurs fortunés, avec leurs gains nets les plus faibles jamais enregistrés. Dans ce contexte, la Thaïlande (+450) s’impose comme un nouveau refuge en Asie du sud-est. Bangkok se positionne de plus en plus comme une rivale de Singapour, en attirant les millionnaires venus de Chine, du Vietnam ou de Corée du Sud. Le rapport met en avant l’attractivité des écoles internationales, le développement des services financiers et l’essor de l’immobilier haut de gamme dans la capitale thaïlandaise.
D’autres pays enregistrent une progression rapide : le Monténégro affiche la plus forte croissance mondiale de millionnaires résidents en dix ans (+124%), grâce à son programme de citoyenneté par investissement et sa fiscalité allégée. Suivent Malte (+87%) et la Lettonie (+70%). L’Arabie saoudite (+2400) tire également son épingle du jeu, portée par le retour de ses ressortissants et les transformations de Riyad et Djeddah.
En Amérique latine, les flux restent principalement sortants : le Brésil (-1200) et la Colombie (-150) alimentent l’exode vers la Floride, le Portugal ou les Caraïbes. Le Costa Rica (+350) fait figure d’exception, avec une image de stabilité et un cadre de vie attractif. «Les marchés qui enregistrent la plus forte croissance sont soit des destinations privilégiées de millionnaires, soit des hubs technologiques émergents. C’est une dynamique structurelle», conclut Andrew Amoils, responsable de la recherche chez New World Wealth.