Des transports publics modernes, performants et pas chers. Alors que la fréquentation explose, tous les usagers en rêvent. Mais investir dans les mobilités coûte cher aux collectivités dont les finances sont déjà saignées. En avril, une étude de l’Agence France Locale et de l’Institut national des études territoriales soulignait ainsi que la décarbonation des transports mettait les collectivités locales face à « un mur de dépenses ». Et le modèle de financement actuel ne permet pas de les couvrir. En France, ce modèle repose sur la participation des pouvoirs publics et des collectivités, des usagers mais aussi des entreprises.
Publics comme privés, tous les employeurs doivent en effet s’acquitter du versement mobilité, anciennement versement transport. D’abord appliquée en région parisienne, cette cotisation patronale a depuis été étendue aux métropoles puis à toutes les villes ou intercommunalités de plus de 10.000 habitants, chacune étant libre d’en fixer le taux. Depuis sa promulgation en février, la loi de finances 2025 permet désormais à toutes les régions de taxer les entreprises de plus de onze salariés à hauteur de 0,15 % de leur masse salariale pour le reverser ensuite aux autorités organisatrices de mobilité.
« Un énième coup de matraque fiscale »
Un nouvel impôt en somme qui « vient rétablir un juste équilibre entre les régions qui investissaient sans recettes fiscales propres et les intercommunalités qui bénéficiaient déjà du versement mobilité » et « dote les régions d’une nouvelle possibilité de financement, déjà existante pour l’Ile-de-France », selon Carole Delga, présidente de l’association d’élus Régions de France, qui a porté l’idée de ce « versement mobilité régional et rural » auprès du gouvernement.
Mais parmi les présidents de région, cette taxe divise et a ravivé le clivage droite-gauche. Xavier Bertrand, président LR des Hauts-de-France, avait été le premier à dégainer en indiquant qu’il n’appliquerait pas ce nouvel impôt qui aurait pu rapporter 70 à 80 millions d’euros à sa région. « Je ne suis pas là pour faire les poches des entreprises et pour leur mettre la tête sous l’eau car l’État le fait déjà bien assez », considère-t-il. Même son de cloche chez sa collègue Christelle Morançais (Pays-de-la-Loire) qui refuse également cette manne. « Un énième coup de matraque fiscale contre nos entreprises, contre l’emploi, contre la compétitivité », selon elle.
Certaines régions l’appliqueront, d’autres non
Si Hervé Morin et Fabrice Pannekoucke, présidents des régions Normandie et Auvergne-Rhône-Alpes, ont également dit non, Renaud Muselier, président Renaissance de Paca, a pour sa part décidé de l’appliquer dans sa région, provoquant la colère des acteurs économiques locaux. Car, sans trop de surprise, cette nouvelle taxe passe mal auprès du Medef qui rappelle que « les employeurs privés ont déjà payé en 2023 plus de 9,3 milliards d’euros de versement mobilité ». Et d’ajouter que « le développement des transports en commun ne doit pas se faire au détriment de la compétitivité de nos entreprises ».
Même dans certaines régions dirigées par la gauche, tout le monde ne saute pas de joie à l’idée de prélever encore les entreprises. Comme en Bretagne où l’instauration du versement mobilité a été adoptée mercredi soir au Conseil régional. Même si ce nouvel impôt va lui rapporter 40 millions d’euros, le président Loïg Chesnais-Girard juge ce nouvel outil fiscal « imparfait » et plaide pour « une remise à plat globale du financement des mobilités en France ».
Les entreprises estiment qu’elles contribuent déjà assez
Avec parmi les nouvelles sources de financement possibles « une taxe de séjour additionnelle » ou « une fiscalité sur les recettes issues du marché européen du carbone ». Mais « sans autre choix pour le moment », le président de la région Bretagne appliquera donc cette taxe à partir du 1er janvier 2026 avec un taux de 0,15 % pour les entreprises situées dans les zones les plus richement dotées en transports et de 0,08 % pour les autres.
Ce qui rend furieux Hervé Kermarrec, président du Medef Bretagne, qui s’insurge, comme presque toutes les organisations patronales bretonnes, contre « cet impôt de plus ». « On participe déjà à hauteur de 50 à 70 % des budgets de transport collectif des intercommunalités alors que seuls 4 % des trajets réalisés en transports en commun sont des trajets domicile-travail-domicile, détaille-t-il. Et on nous demande de contribuer encore plus alors même que la conjoncture économique est tendue. C’est complètement aberrant et injuste, d’autant plus que cela va créer une distorsion de concurrence entre nos entreprises bretonnes et celles des régions voisines où ce prélèvement ne sera pas appliqué. »
« S’intéresser aussi à ce que paye l’usager »
A la tête du cabinet de conseil L’Explorateur de mobilités, Julien de Labaca n’est pas surpris par les réactions épidermiques que suscite ce nouveau versement mobilité en région. « Cela a toujours été un sujet de discorde, certaines entreprises pas ou peu desservies par les transports refusant de payer autant que celles situées dans des zones plus denses », souligne l’expert. Mais selon lui, là n’est pas le sujet quant à l’épineuse question du financement des transports publics.
« Dans cette équation, le versement mobilité est l’une des variables mais pas la seule, estime-t-il. Il y a aussi la participation des collectivités mais aussi celle des usagers. Et c’est sur ce troisième levier qu’on pourrait avancer de manière plus intelligente. Mais en France, on a toujours refusé de mettre le nez dans ce que paye l’usager alors que certains exemples à l’étranger montrent qu’on peut enclencher un cercle vertueux avec plus de recettes et donc plus d’investissements. »