Comme tous les trois ans, la famille des aménageurs se réunit et pose sur la table les grands sujets de l’époque. Plus de 1000 personnes sont ainsi attendues les 26 et 27 juin à Lyon pour la 11e édition des Entretiens de l’Aménagement où ils parleront habitat, sobriété foncière, décarbonation… des questions plutôt classiques en somme. Y compris celle de «l’urbanisme féministe» puisque la position des femmes dans la ville revient régulièrement dans le débat, depuis presque une décennie. Plus énigmatique en revanche, le thème «réenchanter» est inscrit au programme… Réenchanter, mais quoi ? Les projets d’urbanisme, et donc les nouveaux quartiers produits par les sociétés d’aménagement ? Et plus généralement, le cadre de vie ?
Doute existentiel
«Non, le sujet n’est pas »réenchanter la ville », mais le métier d’aménageur, corrige Raphaëlle Bernabei, la directrice générale adjointe de la société publique locale (SPL) Marne-au-Bois (Val-de-Marne). Elle, qui a piloté ce groupe de travail avec Adrien Gros, directeur générale de la société d’économie mixte (SEM) Energies renouvelables de La Rochelle (Charente-Maritime) et Vincent Malfere, celui du groupe lyonnais SERL, précise : «nous souhaitions nous interroger sur ce qui aujourd’hui, dans cette période de pleine ébullition, donne sens à notre action, sur ce que sont nos valeurs… Car nous nous retrouvons avec de nouveaux enjeux : le défi climatique, évidemment, mais aussi la crise sociale et la nécessité de recréer du lien. Notre milieu doit aborder des questions qui ne se posaient pas il y a encore quelques années comme, par exemple, l’économie de ressources et donc le recyclage ou le circuit court. Ou encore la nécessité, pour respecter la trajectoire de l’accord de Paris, de conserver 90% des bâtiments existants, qui fait perdre tout sens au modèle de l’étalement urbain… » En plein doute existentiel, l’aménageur entend lui aussi – le mot est lâché – se réinventer.
Ce mouvement d’introspection apparaît indispensable à Eric Bazard qui, jusqu’à l’ouverture des rencontres lyonnaises, préside leur puissance organisatrice, le Club Ville Aménagement. Ce futur-ex patron des Entretiens, passé par de nombreuses villes et autant de projets, observe le désamour dont souffre le secteur : «au début des années 2000, les étudiants en urbanisme rêvaient tous, une fois diplômés, d’être embauchés dans des sociétés comme la Samoa, en charge du projet de l’Ile de Nantes, Lyon Confluence ou encore Euralille. Aujourd’hui, les futurs professionnels nous voient comme des bétonneurs et il est vrai que beaucoup d’aménageurs ont mené des projets d’extensions urbaines. Se poser cette question de l’enchantement, c’est aussi faire en sorte que ces nouvelles générations trouvent leurs marques dans nos métiers.»
«Injonctions contradictoires»
La réflexion est louable mais sans réponses évidentes. Raphaëlle Bernabei et Eric Bazard doivent bien admettre que les aménageurs, mais aussi nombre d’acteurs de la fabrique de la Ville, sont soumis à des «injonctions contradictoires». Comme l’arbitrage entre équilibre du bilan d’opération et choix onéreux mais à impact positif en matière sociale ou environnementale. Ou encore le paradoxe du mode de rémunération des intervenants qui, pour gagner plus, doivent construire plus. Eric Bazard se souvient : « j’avais déjà cette discussion avec [l’architecte, urbaniste et paysagiste, NDLR] Alexandre Chemetoff, il y a 15 ans, quand je travaillais à Saint-Etienne. Lui dont l’une des préoccupations est la mesure me disait : « Eric, ce n’est quand même pas normal, que j’essaye de faire un projet à l’économie mais qu’à l’arrivée, plus j’économise effectivement, moins je suis payé !« »
Pour dépasser le constat et donner aux participants des raisons de se réjouir, les Entretiens seront donc l’occasion de partager de nouvelles pratiques, ou du moins des pistes, en matière de conception, de management ou encore de formation. «Nicolas Détrie, le directeur de Yes We Camp, livrera notamment sa réflexion sur des aménagements progressifs, explique Raphaëlle Bernabei. C’est-à-dire des opérations qui, au lieu – je schématise – de se fonder sur un diagnostic préalable pour établir un projet qui sera livré in fine, s’autorisent à démarrer par une première phase en se laissant la possibilité, par la suite, de rediriger le projet, de le faire bifurquer voire d’en abandonner des pans en cours de route, et de faire, en tout cas, en fonctions des moyens disponibles à temps T.»
Les Entretiens permettront par ailleurs de se pencher sur ce que peut être une culture d’entreprise dans la maîtrise d’ouvrage urbaine. «Nous balayerons le spectre des outils RSE qui peuvent être mobilisés mais surtout, nous voulons avoir les retours d’expérience de sociétés qui ont mis en place des tels moyens, qu’elles nous disent ce que ça a changé dans leurs pratiques, si cela a fonctionné… ou bien si leur démarche a finalement demandé trop d’efforts pour peu d’effets.»
Et puisque le Club Ville Aménagement espère convaincre que s’engager dans ce métier a du sens, et peut être même satisfaisant, Marie Jorio, qui dirige le mastère Aménagement et Maîtrise d’Ouvrage urbaine (Amur) de l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées, détaillera comment a évolué cette formation. L’établissement amène désormais ses élèves à acquérir des compétences en matière d’écologie ou de dialogue citoyen. Pour mieux les préparer aux nouvelles manières de faire la ville. Mais surtout, pour leur donner envie de choisir cette filière.