L’enquête sur les méthodes de l’Office antistups (Ofast) de Marseille et la disparition mystérieuse de près de 400 kilos de cocaïne lors d’une opération rentre dans une phase extrêmement sensible. Après trois jours de garde à vue dans les locaux de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) à Paris, les deux chefs de cette unité anti-drogue d’élite ont été présentés à la justice. D’abord la commissaire divisionnaire G., numéro 1 de l’antenne Ofast de Marseille, en charge de la section stupéfiants et proxénétisme.
Selon nos informations, cette haut gradée a été mise en examen mercredi soir à Paris par les juges d’instruction de la Juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée (Junalco) pour « faux en écriture publique par personne dépositaire de l’autorité publique », une infraction criminelle, ainsi que « atteinte à l’intimité de la vie privée par fixation, enregistrement ou transmission de l’image et des paroles d’une personne ». Elle a été placée sous contrôle judiciaire avec notamment l’interdiction d’exercer son métier de policière dans les Bouches-du-Rhône.
Son adjoint, le commissaire de police L., est quant à lui en cours de présentation ce jeudi matin devant les magistrats instructeurs en vue d’une mise en examen. Au cours de sa garde à vue, ce jeune gradé a fait l’objet d’une confrontation avec le patron de la police judiciaire de Marseille en personne, qui chapeaute l’Ofast de Marseille, signe que cette affaire embarrassante ne cesse d’éclabousser toujours plus haut la hiérarchie policière. Ce dernier, un contrôleur général de police, a été entendu pour l’heure en audition libre, à l’IGPN, sans faire l’objet de mesure de garde à vue.
L’avenir de l’antistup à Marseille en question
La mise en cause de deux commissaires responsables de la lutte antidrogue à Marseille risque de créer une déflagration au sein de la police. Elle pose question sur l’avenir de l’antenne Marseille de l’Ofast, submergée par les dossiers de narcotrafic et connue jusqu’à présent pour ses enquêtes de haut vol et ses saisies de drogue phénoménales. Qui va désormais vouloir diriger ce service décapité ?
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L’affaire interroge aussi sur les éventuelles pressions politiques et policières à Marseille, épicentre du narcotrafic, afin de réaliser des « coups » toujours plus ambitieux avec des moyens humains, techniques et juridiques souvent décrits comme faméliques face à des réseaux de criminalité organisée toujours plus puissants, violents et tentaculaires. Et ce, alors que l’Ofast a été créé en 2020 pour faire oublier les dérives de son ancêtre l’Octris, épinglé par le passé pour ses méthodes controversées au nom de la politique du chiffre…
400 kilos de cocaïne disparus, zéro interpellation
Dans ce qui ressemble de plus en plus à un scandale d’ampleur, tout part à l’origine d’une « livraison surveillée », une technique policière encadrée par la justice visant à laisser faire rentrer des chargements de drogue en France afin d’identifier les groupes de narcotrafiquants derrière et faire tomber les têtes de réseaux. Baptisée « Trident », cette opération, mise en place début 2023, visait à attraper Mohamed Djeha, dit « Mimo de la Castellane », l’un des plus grands narcotrafiquants phocéens. Mais le chargement de 400 kilos de cocaïne, en provenance de Colombie jusqu’au port de Marseille, censé ferrer le baron de la drogue, s’est purement évaporé sans qu’aucune interpellation n’ait eu lieu, et alors même qu’il était censé être sous surveillance policière.
Une disparition pour le moins mystérieuse qui signe un fiasco de l’opération mais, plus grave encore, révèle des soupçons de corruption au sein d’un groupe d’enquêteurs de l’Ofast Marseille. Trois d’entre eux ont été mis en examen entre avril et juin dernier, notamment pour « importation de stupéfiants en bande organisée ». Deux ont été placés en détention provisoire.
Les enquêteurs de l’IGPN cherchent maintenant à savoir quel rôle ont joué les deux chefs de l’antenne dans ce fiasco monumental. La hiérarchie a-t-elle su que l’opération Trident tournait à la débâcle ? L’a-t-elle encouragée ?
Caméras clandestines et « Passe-Partout »
Au-delà de cette affaire, la police des polices a mis en évidence de nombreuses dérives au sein de ce service prestigieux avec des méthodes relevant de l’illégalité dont certaines semblent avoir été autorisées voire encouragées par les commissaires : pose de caméras sauvages, d’où l’infraction « d’atteinte à l’intimité à la vie privée » retenue, perquisitions hors cadre de toute procédure judiciaire… Raison pour laquelle le service faisait appel aux services officieux d’un serrurier-homme à tout faire surnommé « Passe Partout ». Et comme si cela ne suffisait pas, ce dernier, consterné par les pratiques en vogue à l’Ofast Marseille, a confié ses doutes quant à la probité de certains fonctionnaires, affirmant avoir vu un enquêteur manipuler un sac de billet à la provenance douteuse.
L’enquête révèle par ailleurs de graves dissensions en interne. Selon Le Monde, l’un des deux commissaires placés en garde à vue, l’adjoint L., avait rédigé un rapport pour faire état de ses suspicions de corruption visant des enquêteurs de son service. Au point d’avoir fait installer des caméras clandestines dans son bureau et d’avoir fouillé, à son initiative, le bureau de l’un des policiers du service en toute discrétion.
Problème : ce rapport aurait été « caviardé » par sa propre hiérarchie, c’est-à-dire expurgé des éléments les plus compromettants. D’où la confrontation à l’IGPN avec le patron en personne de la PJ de Marseille, une mesure inédite, ce dernier étant par ailleurs le mari de la cheffe de l’Ofast Marseille, créant encore plus de confusion.
De façon générale, enquêteurs, officiers et commissaires disent tous avoir opéré dans cette affaire avec l’accord des uns et des autres. En toute logique, les investigations de l’IGPN devraient prochainement s’intéresser à l’éventuelle connaissance des magistrats marseillais, sous l’autorité desquels l’Ofast de Marseille a réalisé l’opération Trident, de ces graves dérives.