Le backlash. Ce concept nous vient tout droit des États-Unis, quand, dans les années 1990, la journaliste et essayiste Susan Faludi décrivait les vents contraires dont étaient victimes les mouvements féministes. Voilà qu’il fait florès depuis plusieurs mois, cette fois-ci au sein des mouvements écologistes. Que ce soit contre les femmes, les minorités ou les droits des travailleurs, droite et extrême droite versent, comme toujours, dans l’escalade réactionnaire. Leur nouvelle proie : la transition écologique.

Alors que l’urgence climatique devrait au contraire appeler à accélérer les efforts, ils sont parvenus à instiller dans l’opinion publique l’idée que nous serions allés trop loin pour sauver l’habitabilité de la planète et qu’il faudrait donc faire marche arrière. Ce discours fallacieux a été catalysé par le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, en janvier. Cinq mois après le début de son second mandat, le leader nationaliste a déconstruit méthodiquement la politique climatique états-unienne : coupes budgétaires draconiennes et licenciements parmi la communauté savante, retrait derechef de l’Accord de Paris de 2015 et des négociations multilatérales sur le climat, mais surtout relance du charbon et boom des forages pétrogaziers. Dernière trouvaille de l’administration trumpiste : l’ouverture à l’exploitation de 23 millions d’hectares de forêts encore intactes et protégées depuis un demi-siècle.

En sus de leurs impacts dévastateurs sur les émissions de gaz à effet de serre – les États-Unis sont le deuxième émetteur mondial derrière la Chine –, ces décisions s’assoient sur la science et galvanisent les climatosceptiques. Sur ce point, « la radicalité de Trump est difficilement entendable en Europe », estime Théodore Tallent, doctorant au Centre d’études européennes et de politique comparée de Sciences Po. Mais il craint que « les discours anti-science » finissent à terme par se propager.

« Cela fait cinq ou six ans déjà que l’extrême droite européenne fait petit à petit sa mue anti-climat, car ça marche d’un point de vue électoral, et cela, Trump l’a compris avant eux », considère Emiliano Grossman, chercheur et professeur associé à Sciences Po. Les droites dites « modérées » s’engouffrent à leur manière dans la brèche, en relativisant l’urgence climatique. En réalité, « si Trump a accéléré la délégitimation des discours écolo, ce phénomène est apparu il y a déjà environ deux ans avec la montée des discours sur la simplification administrative et sur la dérégulation dans le bloc central européen », rappelle Théodore Tallent.

Arrivée à la tête de la Commission européenne en 2019, Ursula von der Leyen avait, dans la lignée de l’Accord de Paris 2015 et des manifestations sur le climat, promu un plan européen de décarbonation certes imparfait, mais ambitieux. Le « pacte vert », comme on l’appelle, était alors soutenu y compris dans les rangs du Parti populaire européen (PPE), dont la présidente est issue. Réélue pour un second mandat l’an dernier, elle a, depuis, tourné casaque. L’UE a retardé d’un an une réglementation destinée à éradiquer la déforestation sur l’ensemble des chaînes d’approvisionnement. Les constructeurs automobiles ont obtenu deux années de plus pour respecter les objectifs de pollution. Les ONG environnementales sont menacées de voir leurs financements gelés. Et cette semaine, une loi anti-greenwashing a carrément été enterrée, sous la pression de la droite et de l’extrême droite.

Le pacte vert saboté

L’heure est à la dérégulation tous azimuts, au nom de la sacro-sainte compétitivité. Le pacte vert reposait essentiellement sur deux directives : la CSRD, sur le reporting de durabilité ESG (standards environnementaux, sociaux et de gouvernance) et la C3SD, sur le devoir de vigilance des entreprises. La Commission européenne avait prévu de reporter leur application d’un an, soit à partir de 2028. Mais lundi, le Conseil européen est allé encore plus loin. Les Vingt-Sept sont parvenus à fixer les grandes lignes de la directive Omnibus, censée réduire la portée des deux précitées.

S’agissant de la C3SD, les seuils des sociétés concernées ont été relevés à 5 000 salariés (contre 1 000 auparavant) et à 1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires net (450 au départ). La vigilance sera cantonnée aux seuls fournisseurs directs et, surtout, la responsabilité civile de l’entité ne pourra plus être mise en cause. Même sabotage pour la CSRD, circonscrit aux entreprises de plus de 1 000 salariés générant 450 millions d’euros de chiffre d’affaires ; 85 % des sociétés sortent ainsi de son champ d’application.

L’UE a pour ambition d’atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050, avec une baisse des émissions de CO2 de 55 % en 2030 par rapport à 1990, et de 90 % dès 2040. Alors que se tient ce jeudi le sommet des chefs d’État et de gouvernement à Bruxelles, Emmanuel Macron veut mettre le sujet sur la table… Au risque de semer la zizanie. « On garde l’objectif (de 2050), mais on est pragmatique sur les trajectoires », a rapporté un proche du président de la République au Monde.

Tandis que plusieurs États membres – tels que la Hongrie de Viktor Orbán, biberonnée à la doctrine anti-climat de Trump – s’en remettent à la COP30 de Belém (Brésil) en novembre, d’autres, comme l’Espagne ou le Danemark veulent garder le cap ambitieux de 2040. Un objectif que la France accueille avec réserve, soucieuse de préserver son mix énergétique. Côté allemand, la coalition menée par le chancelier Friedrich Merz, récemment élu, plaide, comme la France, pour une décarbonation accompagnée de flexibilité.

Derrière l’enjeu de la compétitivité se cache surtout celui de la défense européenne, propulsé par la guerre en Ukraine. Là aussi, Trump mène la danse : lors du sommet de l’Otan qui s’est déroulé les 24 et 25 juin à La Haye, le président états-unien a réussi à soumettre les membres européens de l’Alliance Atlantique à une hausse historique de leurs dépenses militaires à hauteur de 5 % de leur PIB. « L’écologie est traitée en silo. Dès lors qu’elle est concurrencée par les questions de réarmement, elle passe à la trappe », constate Théodore Tallent. Mais celui qui est également chercheur affilié au centre de recherches de l’Université de Cambridge soutient une tout autre approche : « Il faut être l’idiot utile de Trump et de Poutine pour ne pas comprendre que la transition écologique nous rend justement indépendants d’eux. »

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