Seuls quatre clubs, le Stade français, le Stade bordelais, le Stade toulousain (à deux reprises) et Lourdes ont réussi à fbrandir le Bouclier de Brennus trois fois de suite. Retour sur ces triplés magnifiques.

Si Toulouse l’emporte samedi soir face à Bordeaux. Le club sera sacré pour la troisième fois consécutive après 2023 (contre La Rochelle) et 2024 (contre l’UBB déjà). Nous avons décidé de faire revivre les précédents triplés de l’histoire, même si certains furent des quadruplés.

Le Stade Français 1893-94-95

Ce triplé nous renvoie aux origines de notre championnat quand il ne concernait que quatre ou cinq clubs. Les équipes parisiennes étaient reines et le Stade français réussit l’exploit de jouer toutes les finales de 1892 à 1899 (mais en 1897 et 1898, le championnat se joua en poule unique). Au cœur de cette série, il réussit un triplé en 1893-94-95 en jouant les deux premières finales à Bécon-lès-Bruyères, et la troisième à Courbevoie. Si le premier adversaire existe toujours, le Racing, les deux autres n’existent plus, Inter-Nos et Olympique.

Le capitaine du Stade Français s’appelait Louis Dedet, il jouait troisième ou deuxième ligne et mesurait 1m77 pour 73 kilos. Son parcours dit quelque chose du profil des joueurs de l’époque : il était licencié de lettres et agrégé de philosophie. Ces joueurs du Stade Français étaient tous des lycéens ou des étudiants des beaux quartiers, promis à des parcours brillants. Il y avait des noms à rallonge comme Garcet de Vauresmont ou Bourcier Saint-Chaffray, on trouvait aussi un Da Silva Pranhos Delio Branco, d’origine brésilienne. Louis Dedet fut aussi le capitaine de la première équipe française à vaincre une équipe anglaise (Stade Français contre Rosslyn Park en match amical). Il fut même l’arbitre du tout premier test international du XV de France contre les All Blacks en 1906.

Le Stade Bordelais 1904-05-06-07

Bordeaux fut le premier fief provincial du rugby français. Entre 1904 et 1907, le Stade bordelais réussit non seulement un triplé, mais un quadruplé. Il battit à chaque fois le Stade français car le championnat était articulé entre une compétition provinciale et une compétition parisienne. Les Bordelais avaient une petite tradition de haut niveau derrière eux avec une forte influence britannique. Les joueurs appartenaient pour la plupart à une élite urbaine, un style sans doute BCBG comme tout le rugby de l’époque.

Il est difficile de décrire la physionomie des rencontres. On sait que la finale 1904 fut très dure, qualifiée de « combat d’apaches ». Celle de 1907 qui se jouait dans la banlieue de Bordeaux, au stade Sainte-Germaine attira la bagatelle de 12 000 personnes, foule énorme pour l’époque. Pour l’anecdote, il y avait un Laporte qui joua les quatre finales pour les Bordelais. Il ne s’appelait pas Bernard, mais Pascal, il travaillait pour une compagnie maritime anglaise. Il était déjà là en 1899 ce qui lui permit de revendiquer cinq Brennus, tout comme Marc Giacardy, qui pouvait jouer talonneur, pilier, deuxième ligne, troisième ligne ou demi d’ouverture. Dans la vie, il exerçait la profession de journaliste avant de mourir à la guerre de 14-18. En 1906, les Bordelais alignaient un deuxième ligne de 42 ans, Carlos Deltour. Doyen des champions français.

Toulouse 1922-23-24

C’était l’époque des « Cinq Glorieuses » qui succéda à celle de la Vierge Rouge de 1912. La première vraie période faste du Stade toulousain, couronné trois fois d’affilée en jouant six finales sur sept entre 1921 et 1927. Le rugby commençait à se démocratiser. Toulouse jouait avec des fortes personnalités comme le terrible deuxième ligne Marcel-Frédéric Lubin-Lebrère, qu’on avait cru mort à la guerre de 14-18, le brillant centre passeur François Borde, capitaine à partir de 1923. Adolphe Jauréguy attaquant athlétique et racé amenait aussi de la vitesse à la ligne d’attaque. Le troisième ligne Alex Bioussa apportait aussi sa pierre à l’édifice, avec pas mal de rugosité. En 1922, l’équipe était commandée par un joueur particulier, le demi de mêlée Philippe Struxiano, personnalité assez éclatante, parfois autoritaire comme il cumulait les fonctions d’entraîneur et de joueur. Il prenait des décisions qui ne faisaient pas toujours plaisir parfois au dernier moment, au point d’en venir presque aux mains avec ceux qu’il évinçait. Mais il pouvait faire des passes de 20 mètres, c’était très impressionnant. En 1922, Toulouse battit Bayonne (6-0), rebelote en 1923 (3-0), (première finale à Colombes). Le Stade domina Perpignan en 1924 (3-0) en faisant le choix de jouer à sept avants sans blessure, mais il fallait ajouter un deuxième arrière en couverture. Bioussa quitta le paquet pour prêter main-forte à Saverne. On le voit, l’époque était aux petits scores. Mais l’essai d’Adolphe Jauréguy de 1923 sur une pelouse gorgée d’eau est resté dans toutes les mémoires, une course de 40 mètres avec un crochet somptueux sur l’arrière adverse.

Lourdes : 1956-57-58

Le FC Lourdes fut le grand club de l’après-guerre. Il brandit sept fois le bouclier entre 1945 et 1960 et joua dix finales. Cette équipe a laissé un grand souvenir parce que les médias commençaient à se développer, les images commençaient à circuler, les photos étaient de bonnes qualités. Les récits étaient de plus en plus pointus. Cette équipe pratiquait un rugby offensif avec un culte des combinaisons offensives exécutées au millimètre. L’équipe était menée par un joueur hors norme, Jean Prat, troisième ligne buteur, exigeant avec lui-même et avec les autres. Il s’obligeait à un footing quotidien, presque du professionnalisme aux yeux de ses contemporains. La trilogie 56-57-58 fut le sommet du règne lourdais. La finale de 1956 face à Dax fut longtemps la plus déséquilibrée de l’Histoire (20-0, score écrasant pour l’époque). Celle de 1957 face au Racing (16-13) fut la plus brillante, car le Racing fut un adversaire de qualité. En plus elle fut la première finale à être télévisée. Elle fut riche en péripéties et en offensives. Celle de 1958 gagnée face à Mazamet (25-8) fut symbolique. Elle mettait en scène la rivalité entre Jean Prat et Lucien Mias, son rival. Il avait mené Mazamet à la victoire en Du Manoir face à… Lourdes. Les Lourdais avaient été vexés. Moment très fort conclu par une algarade devenue célèbre.

Toulouse : 1994-95-96-97

Soixante-dix ans après la génération Lubin-Lebrère, le Stade Toulousain entraîné par Guy Novès se voit couronné trois fois de suite. Il fait même mieux avec un quadruplé retentissant. Tour à tour Clermont, Castres, Brive et Bourgoin-Jallieu s’inclinent. Cette série correspond au début du professionnalisme. Elle consacre un club qui est une succursale du XV de France et qui révèle des jeunes talents à la pelle : Jerôme Cazalbou, Thomas Castaignède, Emile Ntamack, Philippe Carbonneau… À l’ouverture, Christophe Deylaud se comporte comme un maestro.

Le club a du savoir-faire et des moyens et Guy Novès développe un esprit de compétition sans faille. Les finales ne sont pas forcément des sommets d’offensive, les Toulousains ne marquent jamais plus d’un essai par match,  mais démontrent une étonnante solidité dans les grands moments. Toulouse est devenu une machine de guerre. A noter que Béziers n’a jamais réussi de triplé malgré ses dix titres en quatorze ans. Les Biterrois ont réussi quatre fois à conserver leur titre mais jamais faire la passe de trois.