Publié le
27 juin 2025 à 7h34
C’était le successeur naturel, le grandissime et unique favori de la primaire du PS pour les Municipales 2026. Premier adjoint de la maire de Paris entre 2018 et 2024, après avoir été successivement chargé, en tant qu’adjoint, des ressources humaines, des services publics, de la modernisation de l’administration, du budget et de la transformation des politiques publiques entre 2014 et 2018, Emmanuel Grégoire était, selon Anne Hidalgo, en 2020, le « candidat parfait » pour lui succéder. Mais depuis la présidentielle de 2022, la tableau a radicalement changé.
Au point que la maire sortante a révélé, dans un entretien au Monde, datant du 26 novembre dernier, qu’elle appuierait finalement la candidature du sénateur Rémi Féraud. Pire, celle-ci a creusé le fossé qui les sépare en déclarant, le 13 mars, à Public Sénat, qu’elle ne soutiendrait pas l’ancien chef de cabinet du Premier ministre Jean-Marc Ayrault, même s’il venait à remporter les élections internes. Celui-ci assure à actu Paris ne pas y « croire une seule minute » et assume son statut, quitte à parfois donner l’impression que la primaire est remportée d’avance.
actu Paris : En septembre 2020, dans Paris Match, la maire dit : “Emmanuel Grégoire serait un candidat parfait pour me succéder”. Aujourd’hui, elle affirme qu’elle ne vous soutiendra pas si vous remportez la primaire, que s’est-il passé ?
Emmanuel Grégoire : J’ai travaillé avec elle avec un immense plaisir. Elle m’a accompagné dans cette aventure pendant des années. Elle a changé d’avis. Dont acte. Je suis un candidat libre, peut-être n’a-t-elle pas goûté ma liberté ? C’est comme ça.
actu Paris : Vous avez dit que vos différences avec Anne Hidalgo avaient longtemps été une force, pouvez-vous développer ce point.
E.G : C’était la maire, elle impulsait la vision, les stratégies, les grands enjeux. Moi, je m’occupais de la mise en œuvre. Notre duo a, je crois, très bien fonctionné pendant de très longues années. On est différent, nous n’avons pas les mêmes caractères et je pense que je lui était utile. Pendant longtemps, elle m’a demandé mon avis et j’ai le sentiment qu’il lui importait. Le jour où ça n’est plus le cas, c’est là que ça commence à ne plus fonctionner.
Elle m’a préparé à la rudesse du combat qui m’attend face à Rachida Dati
actu Paris : C’est un revirement qui peut être confusant pour l’électorat.
E.G : Ça n’est pas la première fois qu’Anne se fâche avec des gens. Le cas typique c’est avec Bertrand Delanoë. Mon histoire avec Anne ressemble à celle d’Anne et Bertrand. Ils s’entendent bien et un jour ça s’arrête. Le pourquoi du comment, c’est difficile, en réalité, à déterminer. Disons que je ne suis pas une exception.
actu Paris : Celui-ci tombe mal.
E.G : Je ne crois pas que ça soit un risque. D’abord, parce que c’est une nouvelle élection, une page qui se tourne. Je pense que les Parisiennes et les Parisiens ne sont pas insensibles à l’idée que, ce qui prétendent à la fonction démontrent leur capacité à résister dans l’adversité, leur liberté et, d’une certaine manière, Anne m’a beaucoup aidé à cela (sourire).
actu Paris : C’est à dire ?
E.G : Elle m’a proposé l’épreuve du feu. Ça a été rugueux la façon dont elle m’a traité ces derniers mois, mais je considère que ça m’a beaucoup formé. Elle m’a notamment préparé à la rudesse du combat qui m’attend face à Rachida Dati. Elle m’a rendu un grand service.
actu Paris : Dans un sondage réalisé par l’institut Elabe et publié le 21 juin, Rachida Dati est largement en tête au premier tour avec 28% à 34% des intentions de vote, tandis qu’à gauche David Belliard (EELV) vous dépasse et que LFI (Sophia Chikirou) vous talonne. Comment l’analysez-vous ?
E.G : Il est plutôt favorable à la gauche ce sondage (avec un total d’environ 50 %). Rachida Dati, on le sait, a une force dans sa capacité de rassemblement, mais avec l’absence de réserve pour un deuxième tour. Nous, la gauche, nous avons globalement des forces, mais nous avons une faiblesse : nous sommes encore très fracturé.
L’enjeu de la campagne sera de faire en sorte qu’émerge un grand leadership, avec une équation assez simple : démontrer que si on veut que Paris reste à gauche, c’est autour de ma candidature que ça se joue.
Je suis le plus crédible
actu Paris : Si vous ne remportez pas la primaire interne, vous rallierez le camp de Rémi Féraud ou de Marion Waller ?
E.G : Évidemment que oui. Je suis fidèle à ma famille, à d’où je viens, à tous ceux à qui je dois quelque chose. Si je gagne, je serais le garant du rassemblement et il n’y aura personne exclu de ce rassemblement, ni liste noire, ni vindicte, ni vengeance. De la même façon, si je perds, celui ou celle qui gagnera aura mon soutien absolu, sans ambiguïté et immédiatement.
actu Paris : Quel était, selon vous, l’enjeu de cette primaire ?
E.G : C’était un enjeu de démonstration, de crédibilité, de préparation et de solidité médiatique. On a énormément travaillé sur le projet mais, en réalité, on va tout mettre au pot commun le 30 juin. La question centrale est donc : quel est, parmi les trois candidats, celui qui est le mieux armé pour aller affronter la seule bataille qui compte, à savoir celle contre Rachida Dati.
Je pense avoir des arguments très solides à faire valoir en terme d’expérience, de crédibilité, d’habitude de confrontation avec Rachida Dati… Que ce soit dans mon passé de premier adjoint, ou depuis que je suis député. Avec Rachida, on s’entraîne toutes les semaines. Le sondage de ce week-end a aussi montré ça, je suis identifié comme le mieux préparé et le plus crédible pour mener cette bataille. Il faut que mes petits camarades en soient convaincus et votent en ce sens.
actu Paris : À la question de savoir ce qui différencie vos trois candidatures pour la primaire, Marion Waller nous a dit être « la plus progressiste », Rémi Féraud nous a répondu être le « plus à même de rassembler », notamment parce qu’il est soutenu par la maire et les élus d’arrondissement. Et vous, quelle est votre singularité, votre atout sur cette primaire ?
E.G : Je suis le plus crédible. « Progressiste », je ne sais pas exactement ce que ça veut dire. J’éviterais de rentrer dans une analyse du degré de progressisme des uns et des autres, je ne suis pas sûr que ça soit très éclairant.
Quant à la capacité de rassemblement, on peut faire du name dropping de soutiens, mais j’ai des soutiens de toutes les sensibilités, à la fois Jean-Marc Ayrault, Lionel Jospin, Bertrand Delanoë… Du point de vue du grand public, celui qui a la plus grande capacité de rassemblement, c’est moi. Pour une raison très simple : Rémi, depuis l’automne dernier, n’a pas eu de soutien en plus.
Ce qu’il sous-entend, c’est que l’hostilité d’Anne Hidalgo est un handicap pour moi. Que je le traînerai après le 30 juin. Je ne peux pas le croire une seule minute. D’abord parce qu’une page se tourne et ensuite parce qu’Anne Hidalgo soutiendra le gagnant. On peut le faire avec plus ou moins de passion, mais elle soutiendra le ou la gagnante.
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actu Paris : Pour l’instant, elle dit le contraire.
E.G : Elle l’a dit une fois, à la radio. Elle sait très bien que nous avons besoin de ce soutien comme elle a besoin du nôtre. La logique politique s’imposera. En démocratie, on accepte le verdict, a fortiori quand c’est celui indiqué par le cœur de notre appareil de militants et de soutiens. Ça ne m’inquiète pas.
actu Paris : Si vous deviez en choisir qu’un, quel chantier majeur ressortiriez-vous des deux mandats qui viennent de s’écouler ?
E.G : Le plus symbolique de tous, c’est sans doute les Jeux olympiques. C’est celui qui nous a tenu, qui a été une ligne directrice extrêmement forte pendant dix ans de mandat. Ces JO nous ont permis d’accélérer un certain nombre de dossiers de transformation qui auraient pris plus de temps s’il n’y avait pas eu ce levier spectaculaire.
actu Paris : Désormais, quels sont les grands enjeux des prochaines années ?
E.G : Le premier, c’est le défi du pouvoir d’achat et la protection du modèle social parisien, du contrat social parisien. Comment protège-t-on Paris des errances du marché, de la spéculation, du surtourisme ? C’est vraiment un fil rouge, parce qu’il pèse tous les jours, sur l’accès au logement ou lorsque l’on achète à manger. Comment fait-on pour que cette ville reste un endroit dans lequel on permet à chacun de s’y épanouir.
Le deuxième enjeu fondamental, c’est l’enjeu climatique et environnemental, qui se place à deux niveaux. Comment garde-t-on cette ville agréable avec l’urgence climatique ? Mais également, comment reste-t-on une capitale attractive et dynamique, avec une exigence environnementale la plus poussée possible ?
Le député Emmanuel Grégoire, lundi 23 juin 2025, à Paris (11e). (©AD / actu Paris)
Le troisième, enfin, c’est la question du dynamisme économique de Paris. Pour que Paris reste à la fois une grande capitale de l’innovation, de la création de valeur, de la création d’emplois, et qu’elle ne soit pas confisquée par quelques-uns, qu’il y ait un modèle de développement économique partagé. C’est une thématique qui a trait à toute la stratégie d’aménagement urbain, à la mobilité, à l’aménagement de l’espace public, la végétalisation, la question de la défense des services publics, la question de la protection des plus fragiles, etc.
Ma vision, c’est celle d’un Grand Paris polycentrique
actu Paris : Quel regard portez-vous sur le déploiement du Grand Paris Express, qui va coïncider avec le prochain mandat.
E.G : Cela va être une révolution des mobilités au profit de la petite couronne et de la grande couronne, qui peut soulager Paris de ses déplacements pendulaires. Notamment pour les trajets de banlieue à banlieue, aujourd’hui sans autre vraie alternative à la voiture et au périphérique.
actu Paris : Cela conditionne votre projet pour Paris ?
E.G : Ça ne le conditionne pas, mais ça va être un facteur énorme. Le Grand Paris Express, par définition, ne concerne pas Paris, car le seul tronçon qui concerne Paris c’est la ligne 14 et elle est déjà prolongée. C’est un sujet de cohérence métropolitaine qui va venir aider la petite et la grande couronne et, peut-être, soulager un peu plus Paris des circulations automobiles contraintes.
C’est un acte majeur de métropolisation du Grand Paris, qui doit aider à sortir un peu de cette organisation métropolitaine en étoile, où tout part de Paris. Cela colle totalement à ma vision du Grand Paris, qui est celle d’un Grand Paris polycentrique, dans lequel Paris ne peut pas être le seul point d’attractivité. On a besoin d’en créer d’autres. Cela soulagera la métropole de ses défauts structurels, à savoir que tous les emplois sont concentrés à un endroit alors que l’habitat provoque de l’étalement urbain.
actu Paris : Marion Waller dit vouloir repenser la politique à une autre échelle, vous partagez sa vision ?
E.G : Je dis exactement la même chose, mais depuis beaucoup plus longtemps. C’est pour ça que le mouvement s’appelle Paris en Grand et je l’ai créé il y a trois ans. Je suis président de groupe à la Métropole du Grand Paris depuis très longtemps, je porte la métropole, avec des propositions précises sur comment faire, etc. Je considère que l’acte 2 du Grand Paris doit être engagé lors du prochain mandat. C’est un point commun chez Marion et moi, quasiment absent de chez Rémi, pour le coup.
En matière d’urbanisme, de mobilités, d’enseignement supérieur, de santé… La bonne échelle, ça n’est pas Paris intra-muros, c’est évidemment un spectre plus large. Pour le prochain mandat, il y a le sujet de la répartition des compétences, d’une simplification du millefeuille administratif et, peut être, plus tard, du mode de scrutin. Comme je le dis dans mon programme, je plaide pour que nous travaillons à la mise en place d’un vrai maire du Grand Paris pour porter tout ça. Mais ça sera l’aboutissement d’un travail de co-construction avec les maires, les EPT (établissement public territorial), les départements, la région, la métropole, la préfecture, etc.
actu Paris : Dans votre programme, vous évoquez également un acte 2 du vélo. Pouvez-vous nous en dire davantage ?
E.G : Le vélo, c’est une révolution positive, qui a des écueils comme toutes les révolutions. C’est vraiment une mobilité d’avenir. Elle est économe, sobre, propre et agile. C’est à dire qu’elle peut être partagée, on peut avoir son propre vélo…
Nous devons continuer à faire la promotion de ce mode de transport. En même temps, avec cette révolution, il y a des défauts qui vont avec : l’acculturation aux règles élémentaires du respect. On doit travailler énormément sur le volet humain de la pratique du vélo. en rappelant les règles, en formant et en sanctionnant. J’accompagnerais spectaculairement le développement du vélo à Paris, mais je serais aussi beaucoup plus sévère pour réguler les mésusages.
Je rappelle enfin que l’accidentologie en vélo est nettement plus faible que celle de la voiture. Je ne crois pas qu’on est recensé une seule personne tuée par un vélo à Paris ces cinq dernières années. Des accidents entre piétons et vélos, il peut y en avoir, c’est très désagréable, mais ça ne tue pas. La voiture ça tue.
Les Parisiens se sont enrichis en s’endettant
actu Paris : La dette de la Ville de Paris, c’est un sujet ?
E.G : Une collectivité territoriale ne peut pas s’endetter – c’est illégal – pour du fonctionnement, elle ne peut le faire que pour des investissements. Contrairement à l’État. Il faut donc que les Parisiens comprennent que les 9 milliards de dette, ils ont été intégralement consacré à l’aménagement de l’espace public et surtout à l’achat de la pierre. La dette ce sont tous les logements sociaux qu’on a fait, les équipements qu’on a construit.
Donc, comme nous avons acheté des choses avec, ou construit des choses, ça a une valeur et celle-ci est infiniment plus grande que 9 milliards. Les gens très riches savent très bien qu’on peut s’endetter et s’enrichir en même temps. Aujourd’hui, la Cour des comptes estime le patrimoine de la ville à plus de 20 milliards d’euros. Les Parisiens se sont enrichis en s’endettant. Le sujet c’est plutôt : quelle stratégie financière pour la suite ? La dette, quand on l’augmente, il faut juste s’assurer qu’on est capable de la rembourser et de l’honorer sur la durée. Sur le stock, il n’y a aucun doute.
Après, il y a encore un travail à mener sur la stratégie budgétaire. Ça, il est encore un peu tôt pour le dire, parce que ça dépend de plein de choses : du programme politique, de négociations, notamment avec l’État, sur le projet loi de finances, etc. Donc moi je dis aux Parisiens : soyez très rassurés sur la santé financière de la ville, quant au plan démocratique, il faudra chiffrer le projet et présenter un financement. Cela interviendra sans doute à la fin de l’année 2025, au moment de la campagne électorale.
Les tentes par centaines… Paris n’acceptera pas ça
actu Paris : Votre première mesure, si vous êtes élu maire, est celle d’un plan d’urgence pour les sans-abri. C’est effectivement nécessaire.
E.G : C’est un sujet extrêmement lourd. Ce sont souvent des histoires très tristes, qui rappellent que personne n’est à l’abri de basculer dans ces situations. Parce qu’on n’aurait pas eu la chance d’être éduqué dans des familles qui allaient bien, ou que l’on tombe dans une addiction, ou encore à cause d’une séparation qui nous plonge dans une précarité extrême.
Le caractère insoutenable de ça, c’est qu’une fois que vous dormez dans la rue, la dégradation est très rapide et l’effort nécessaire pour en sortir, chaque jour, plus difficile. On ne peut pas se satisfaire d’avoir des centaines de tentes dans les interstices du périphérique, dans les sous-sols de la ville, etc. Je me refuse à accepter une installation endémique de la très grande précarité, ce que j’appelle la diogénisation de l’espace public.
actu Paris : Est-ce qu’il y a, aujourd’hui, vraiment des solutions pour la Ville de Paris ?
E.G : Je le pense et j’en proposerais. La mobilisation du foncier, des mètres carrés vides, y compris via un partenariat massif avec le secteur privé, en est une. On ne peut pas se satisfaire de la situation. D’un côté la diogénisation, parfois des tentes par centaines… Paris n’acceptera pas ça.
actu Paris : Comment ? J’imagine que c’était aussi une priorité lors des mandats précédents, non ?
E.G : Oui, mais je vais vous dire : au sens légal, ça n’est pas la compétence de la ville. C’est celle de l’État. L’État ne fait rien et bien nous allons le faire à la place de l’État. C’est ça la clé. L’État ne le fais pas, je le ferais à la place de l’État.
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