Les terrasses de Mériadeck qui séparent les piétons des flux de circulation, n’attirent pas les Bordelais. Zoom sur les raisons de ce flop avec l’urbaniste de renom Patrick Baggio.

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Les terrasses de Mériadeck sont une curiosité architecturale à Bordeaux.
Les terrasses de Mériadeck sont une curiosité architecturale à Bordeaux. (©Wikimedia commons)

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Anaelle Montagne

Publié le

12 avr. 2025 à 9h49

50 ans après la construction des terrasses de Mériadeck à Bordeaux, le constat est sans appel. L’esplanade surélevée et les tours à l’architecture audacieuse n’attirent pas les habitants. Le concept était pourtant alléchant : séparer les voitures, au sol, des piétons, sur les terrasses. L’architecte urbaniste Patrick Baggio, ancien président de l’Ordre régional des architectes, nous explique pourquoi Mériadeck est resté en marge des zones empruntées par les Bordelais. 

« Ces quartiers n’ont marché nulle part »

Dans les années 1960, les bulldozers envahissent le quartier malfamé de Mériadeck. Le maire Jacques Chaban-Delmas veut construire à la place une « petite Défense ». Pour y arriver, tout doit disparaître. Adieu, brocanteurs, ferrailleurs, prostituées, artisans et ouvriers. Trente hectares de vie sont rasés.

Pourquoi choisir un urbanisme si brutal ? « D’habitude, on a plutôt tendance à restructurer et construire autour de l’existant », explique Patrick Baggio, également fondateur d’A26 architecture. « Mais là, le concept du projet ne le permettait pas, il fallait partir de zéro. »

Les architectes Jean Royer et Jean Willerval s’inspirent de l’urbanisme de dalle. Une dizaine d’autres villes en France ont opté pour ce concept, comme Montpellier avec le Polygone, ou Toulouse avec le Mirail. Séparer les piétons des voitures, « c’est une idée géniale », sourit Patrick Baggio. « Mais il faut se méfier des idées géniales. Ces quartiers n’ont marché nulle part. »

Comment est construit Mériadeck ?

Mériadeck tel qu’on le connaît aujourd’hui sort de terre dans les années 1970. Cinq terrasses s’étendent sur des milliers de mètres carrés. Elles sont reliées entre elles par des passerelles, qui surplombent les axes routiers et la ligne A du tramway.

Au départ, le but est de créer une liaison vers Gambetta, mais elle ne verra jamais le jour. « Il y avait un bâtiment du 18ème siècle sur la zone et ils ne voulaient pas le démolir », explique Patrick Baggio. 

45 tours à l’architecture brutaliste sont érigées. 37 sont consacrées à des bureaux et accueillent chaque jour quelque 16 500 employés. À côté, 2 500 habitants occupent les autres immeubles. Ils profitent de l’esplanade Charles de Gaulle et du centre commercial. 

« Ça ne peut pas marcher »

Sur les terrasses, il y a bien les promeneurs, les danseurs et les sportifs. Mais « de manière globale, les gens ne se sont pas approprié cette zone », observe l’ancien président de l’Ordre régional des architectes.

Didier Jeanjean, adjoint au maire en charge de l’urbanisme, confirme : « Cet environnement très minéral, avec des grands immeubles et sans verdure, n’invite pas à la promenade. Ce sont des lieux peu fréquentés, essentiellement pour les traverser. On a l’impression d’être dans un No man’s land. »

Pour Patrick Baggio, les architectes ont été « trop utopistes » en imposant une séparation voitures-piétons : « C’est une erreur de penser que la société fonctionne naturellement comme ça. »

Imposer aux piétons de trouver les entrées, d’emprunter des escaliers, de faire des détours pour accéder à l’espace public, « ça ne peut pas marcher ». Ce qui fonctionne, « c’est la ville du quart d’heure », c’est à dire lorsque tous les services de proximité sont à une distance d’un quart d’heure à pied ou à vélo. Et Mériadeck ne permet pas ça. 

Mériadeck, c’est une île dans la ville. Ce n’est pas pratique et il n’y a pas grand chose à y faire. Cette dalle est contreproductive.

Patrick Baggio

Autre erreur ? Le concept n’a pas laissé de place à l’adaptation. En bref, la dalle a été construite pour un usage précis : les habitants se garent en bas, montent et se promènent, font leurs courses, sur les terrasses. Mais cette logique n’a pas pris, les commerces se font rares et du coup, « on ne sait plus quoi faire de tout cet espace ».

D’autant qu’à l’époque, on n’avait pas anticipé l’usage massif du vélo. « Et le manque d’adaptabilité inhérent au concept empêche d’intégrer ces pratiques nouvelles. »

Que faire de Mériadeck ?

Initialement, les entrées majeures des bâtiments et des centres commerciaux se trouvaient sur la dalle. « Mais les gens n’entrent pas depuis là-haut, souligne l’urbaniste. Alors les bâtiments ont peu à peu créé des entrées principales au sol. » Récemment, de nouveaux commerces ont aussi ouvert au pied de la dalle, à défaut de s’installer en haut. 

Un aveu d’échec ? « Je ne sais pas, répond Patrick Baggio, mais pour moi c’est une bonne idée. » Il insiste, il est temps de repenser Mériadeck. L’idée n’est pas de détruire la dalle, comme l’agence de Patrick Baggio a fini par faire aux Aubiers avec la dalle Aquitanis. « Non, ici il faut réhabiliter cette dalle, la remettre en valeur, réfléchir à de nouvelles liaisons avec la ville. »

L’avenir de Mériadeck

La mairie travaille sur cette réhabilitation. « On doit rendre cet espace plus agréable et donc, ne pas se contenter de rénover le minéral », souligne Didier Jeanjean. Il faut y amener de la végétation, des cheminements éclairés, des espaces pour se reposer. Du mobilier urbain a déjà été installé et l’esplanade Charles de Gaulle est en plein travaux. « Ça deviendra un parc fréquenté comme le Jardin public », insiste l’élu.

Le reste de la dalle pose un peu plus de difficultés, à cause de la domanialité. En clair, la responsabilité de l’entretien des terrasses est divisée entre la Mairie, Bordeaux Métropole et les propriétaires privés et publics.

« C’est là qu’arrive le deuxième chapitre du travail que l’on fait sur Mériadeck », explique Didier Jeanjean. L’aménageur sélectionné pour le projet, Bordeaux Métropole Aménagement, planche en ce moment sur le sujet. « On essaie de comprendre qui est responsable de quelle zone, pour savoir qui paie quoi », résume l’élu.

Une délibération est prévue au prochain conseil municipal. Elle devrait permettre d’entamer le travail sur la future rénovation de la terrasse Koenig.

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