Son bleu nocturne, étoilé de touches asiatiques et d’or, insuffle une élégance rêveuse à un appartement contemporain d’une tour milanaise. Le décorateur Daniele Daminelli nous ouvre les portes de ce lieu atypique, où l’extérieur se confond souvent avec l’intérieur.
Dans les hauteurs de la Torre Solaria, plus haut bâtiment résidentiel d’Italie, situé dans le quartier de Porta Nuova, nouveau centre d’affaires de la capitale lombarde, le jour rayonne à travers d’amples baies vitrées ; il baigne des terrasses conçues comme de véritables salons extérieurs. C’est pourtant d’un bleu nuit, sombre, profond et glamour, à l’ambiance nocturne, que l’architecte d’intérieur et décorateur Daniele Daminelli habille les murs de cet appartement, « pied-à-terre d’un businessman qui n’y réside principalement que le soir. Comme le bâtiment est entièrement vitré, je souhaitais que la couleur du ciel au crépus cule interagisse avec celle de cet intérieur, en se fondant dans une relation transparente et sans frontières. »
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Lieu de repos, mais également espace de réception pour ses amis, cet appartement insolite et feutré se pare de faux airs de club privé, à mi-chemin entre suite et bar d’hôtel. « Vivre dans ce type de gratte-ciel d’un nouveau genre apporte de nombreuses commodités, et c’est vraiment agréable, assure-t-il. La vie y est verticale : vous pouvez passer de la salle de sport au restaurant par l’ascenseur, en vous arrêtant chez vous pour prendre une douche, tout en consultant vos mails en cours de route. Mais la modernité n’est pas tout ! Je m’efforce toujours d’apporter une âme à mes projets. » Cela passe ici d’abord par l’impact d’un papier peint panoramique Misha Wallcoverings, orné de cerisiers japonais en fleurs. « Ce parti pris décoratif contraste avec le minimalisme du bâtiment. Nous voulions incorporer quelque chose d’oriental, pas nécessairement lié à la géographie du sujet, mais plutôt au romantisme de ce type d’ornement. » La fantaisie des lieux découle également d’un télescopage stylistique de mobilier. Des lampadaires palmes dorés, typiquement années 1970, se mêlent dans le salon à des plafonniers 1950 conçus par Angelo Lelli, ou encore à des appliques 1960 d’Ignazio Gardella. Sans oublier un sofa, des fauteuils et une table de la collection néovintage Riviera éditée par Studio 2046, l’agence de Daniele Daminelli.
Un luminaire vintage d’Angelo Lelli.
Nathalie Krag/Living Inside
Les murs du salon sont habillés d’un papier peint panoramique Misha Wallpaper. Au plafond, des luminaires vintage d’Angelo Lelli.
Contraste or et bleu du couloir.
Nathalie Krag/Living Inside
Studio 2046, un nom quelque peu insolite pour un cabinet d’architecture d’intérieur… Mais le décorateur italien affectionne le cinéma asiatique, celui du réalisateur hongkongais Wong Kar-wai, et tout particulièrement son film 2046 – d’où le nom de son studio fondé en 2017… À coups de voix off mélancoliques, musiques lancinantes, couleurs saturées et mises en scène abstraites, tout en flash-back, ses longs métrages se jouent de toute temporalité. Les réalisations de Daniele Daminelli se parent, elles aussi, d’un glamour sensuel, onirique et teinté de nostalgie. Après ses études à l’Istituto Europeo di Design, le décorateur passe huit ans chez Dimore Studio, agence fondée, en 2003, par l’Américain Britt Moran et l’Italien Emiliano Salci. Ce duo de décorateurs stars milanais, excellant à apporter la patine du vécu aux espaces qu’il réinterprète, s’est fait connaître grâce à ses décors intemporels, mêlant pièces vintage de grands noms du design italiens.
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LIEU D’EXPÉRIMENTATION
Tête de lit en stratifié effet laiton, armoire portes recouvertes d’un tissu Jim Thompson. Au mur, une photo de l’artiste Elena Ovecina.
Nathalie Krag/Living Inside
Sofa et fauteuils du décorateur, tapissés en soie florale et en velours Rubelli. Table à manger avec structure en métal noir et plateau en marbre noir Marquina encadré de laiton.
Nathalie Krag/Living Inside
Daniele Daminelli s’inscrit dans les pas de ses maîtres
Nathalie Krag/Living Inside
Daniele Daminelli s’inscrit dans les pas de ses maîtres. « Britt et Emiliano furent comme une famille pour moi. Travailler avec eux m’a permis d’entrevoir un monde sophistiqué qui existe souvent, même dans les environnements les plus simples et les plus populaires, offrant une inspiration sans fin. » Depuis sa base créative de Treviglio, paisible commune de la province de Bergame, en Lombardie, le maestro planche sur un projet résidentiel dans la ville de Scicli, en Sicile, comme sur une résidence privée à Milan, ou au stand d’une galerie dans le cadre de la foire d’art Miart. « Je vis ici avec ma famille. Treviglio est une toute petite ville, mais intéressante à plus d’un égard. Mon studio est situé dans un bâtiment du XVIIe siècle entièrement décoré de fresques des frères Galliari, célèbres décorateurs de la période baroque. Dans les années 1700, notre atelier était déjà un lieu d’expérimentation ; d’une certaine manière, il l’est redevenu pour nos besoins. Notre espace d’exposition nous permet d’expérimenter notre approche de l’environnement domestique. Je crois que les petites villes ont un rythme de vie qui favorise la réflexion et la méditation, ce qui me semble être des conditions importantes pour la qualité de notre travail. »
Daniele Daminelli a ainsi exposé dans son espace les œuvres photographiques de l’artiste milanaise Elena Ovecina, spécialiste des portraits spontanés de jeunes acteurs, actrices et mannequins, aux allures rêveuses, comme perdus dans leurs pensées. Sortes de créatures muettes, nostalgiques et absentes, à l’étrangeté préraphaélite. « Elena Ovecina plonge dans ses souvenirs d’enfance, à l’écoute de ses émotions, se nourrit de son observation de la vie quotidienne et de son goût pour le cinéma. J’aime la sensibilité et la délicatesse avec laquelle elle aborde des sujets d’actualité, dans une approche picturale de type caravagesque, la lumière de ses images et sa sensibilité à la couleur. Elle m’évoque des choses anciennes. C’est donc tout naturellement que nous avons placé certains de ses tirages dans l’appartement ; ils répondent parfaitement aux tonalités fortes de l’espace. » Mais d’où lui vient cette obsession des intérieurs aux couleurs saturées ? « Je suis depuis toujours fasciné par les clairs-obscurs, captivé par la peinture de Michelangelo Merisi – plus connu sous le nom de Caravage. Je m’efforce d’interpréter son travail sur la lumière afin de façonner des atmosphères et des émotions. »