Un papillon printanier a traversé, ce samedi 12 avril, le vélodrome de Roubaix (Nord) baigné de soleil. Un vol fugace mais retransmis sur les écrans du monde entier. Sous les ailes du lépidoptère, au même moment, une championne levait les bras. Pauline Ferrand-Prévot (Visma-Lease a bike) s’est présentée seule dans l’ellipse de béton pour aller décrocher, à 33 ans, une victoire d’anthologie. La première d’une Française dans l’Enfer du Nord féminin et celle qui vient couronner la plus belle édition de l’épreuve depuis sa naissance en 2021. «Je suis très heureuse mais je n’arrive pas à réaliser, a lancé la championne, les yeux bleus brillants et le nez noirci d’un trait de poussière, quelques minutes après avoir franchi la ligne. Peut-être que ce soir je pourrai dire que c’est ma plus belle victoire.»
Il est même possible qu’il faille un peu plus de temps pour réussir à classer l’exploit, tant déborde l’armoire à trophées de Pauline Ferrand-Prévot. La native de Reims est une légende vivante, déroulant un palmarès long comme une journée à se faire rudoyer par les pavés, épaissi dans les différentes disciplines du vélo au féminin. Sur ses manches, les liserés arc-en-ciel rappellent que Pauline Ferrand-Prévot a été championne du monde sur route à 22 ans, en 2014, avant d’aller chercher le même honneur dans les sous-bois du cyclo-cross (un titre en 2015), les chemins blancs du gravel (un titre en 2022) et, surtout, sur les chemins escarpés du VTT (dix titres en solitaire, trois en relais, entre 2015 et 2023). Elle a fini d’exploser aux yeux du très grand public français en décrochant l’or olympique en VTT l’été dernier, sur la colline d’Elancourt (Yvelines), quelques semaines après avoir annoncé son retour à la route pour la saison 2025…
Le Libé des écrivain-es
Cette victoire à Paris-Roubaix a tout de même une saveur supplémentaire. Celle, sinon de la surprise – avec un pedigree pareil on ne se pointe pas en anonyme sur la ligne de départ-, au moins du scénario qui déjoue les pronostics. Car la grande favorite du jour, ce n’était pas elle mais Lotte Kopecky (SD Worx), tenante du titre roubaisien, et qui venait tenter la passe de deux sur les routes nordistes fraîchement auréolée d’une victoire maîtrisée sur le Tour des Flandres, dimanche dernier. La Belge n’a pas ménagé sa peine, exhibant son maillot de championne du monde tout au long de la course, d’abord pour aller chercher la vétérane (38 ans) Ellen Van Dijk (Lidl-Trek) échappée en spécialiste du pavé, puis en vissant à la sortie de Mons-en-Pévèle, l’un des secteurs caillouteux les plus vachards, à près de 50 kilomètres du but.
Las. La Belge n’a jamais réussi à s’isoler, emmenant toujours au moins une coureuse a priori plus rapide, notamment Marianne Vos, la leader de l’équipe de PFP. Et, jamais bien loin, sa coéquipière Lorena Wiebes, la meilleure sprinteuse du monde. Alors que la SD Worx semblait s’être résolue à jouer cette deuxième carte, la Lidl-Trek secouait un nouveau regroupement des vingt meilleures en envoyant une nouvelle coursière à l’avant, Emma Norsgaard. A 25 kilomètres du vélodrome, Pauline Ferrand-Prévot se faisait la malle à son tour dans une légère montée, rattrapait facilement la Danoise avant le secteur de Camphin-en-Pévèle, où elle finissait par la semer. Sur les pavés, la Française dégageait une déconcertante impression de facilité, corps élastique épousant le moindre cahot, vélo dansant comme un feu follet au milieu des cerisiers en fleurs. Elle ne sera plus revue, s’offrant le luxe d’un tour et demi de piste à savourer son titre avant de franchir la ligne. Derrière, l’Italienne Letizia Borghesi (EF Education-Otaly) arrivait à s’extraire du groupe de poursuivantes juste avant le vélodrome pour ravir la deuxième place à Lorena Wiebes, troisième.
«J’ai été malade ces deux derniers jours, j’ai pris des antibiotiques, ce matin je n’étais même pas sûre de participer», assurait pourtant PFP à qui voulait l’entendre (les journalistes avant la course, les journalistes puis la directrice du Tour de France femmes Marion Rousse après la course…). Manifestement, les médicaments ont fait effet. Sa force mentale également, elle qui s’était entourée de deux psychologues pour préparer les Jeux de Paris. «Cela m’a permis de comprendre mes émotions et d’apprendre à les gérer, à me demander jusqu’où peut-on avoir mal pour son sport», expliquait-elle au pied du podium olympique. Cela lui aura encore servi ce samedi, pour revenir sur le groupe des favorites en milieu de course après avoir été jetée au sol, prise dans une chute, car ainsi est fait Paris-Roubaix. Désormais, ses yeux sont tournés vers son «objectif numéro 1 de la saison» : le Tour de France, en juillet prochain. En attendant, il faudra trouver une place pour caser le trophée en forme de pavé géant décroché ce jour. Sans doute à côté de celui de son compagnon Dylan Van Baarle, qui a aussi remporté l’épreuve en 2022.