Ces dernières années à Atlanta en Géorgie, ville progressiste dans un Etat plutôt conservateur du sud des Etats-Unis, de nombreuses pancartes vertes ont fleuri dans les jardinets et recouvert les porches. Un slogan résolument pro-avortement y est inscrit en lettres blanches « Regulate guns NOT women », soit « réglementez les armes à feux, PAS les femmes », en français. Là-bas, les femmes n’ont plus la possibilité de mettre un terme à leur grossesse au-delà de la sixième semaine depuis une décision prise par la Cour supérieure locale en novembre 2022. Quelques mois plutôt, la Cour suprême des Etats-Unis avait considéré dans un arrêt que le droit à l’avortement n’était pas un droit constitutionnel et donc, que chaque Etat était libre de statuer à sa manière sur le sujet.
Depuis, vingt-deux Etats ont cherché à restreindre l’accès à cette pratique médicale – comme la Géorgie – dont une douzaine qui l’a aboli. A l’échelle du pays, cette décision a eu un effet immédiat : le nombre d’avortements a baissé de 6 % entre 2021 et 2022, l’année du basculement juridique. Mais les années suivantes, l’institut Guttmacher, qui fait autorité en la matière, a recensé un rattrapage et une nouvelle augmentation du nombre d’interruption volontaire de grossesse : + 13 % en 2023, + 1 % en 2024.
Aux Etats-Unis, l’avortement est comptabilisé de deux manières : l’institut Guttmacher fournit un sondage à tous les instituts pratiquant l’avortement aux Etats-Unis et extrapole les résultats à partir des réponses obtenues et les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies, une agence fédérale, remonte chaque année les chiffres que les praticiens leur font remonter sur la base du volontariat. Ces deux comptages restent des estimations, mais celui de l’institut est généralement considéré comme plus proche de la réalité, d’autant que le changement de législation aurait découragé de nombreux médecins à communiquer sur ces chiffres.
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Depuis le début des années 1990, le nombre d’avortements avait baissé substantiellement aux Etats-Unis d’après l’institut, avant de repartir à la hausse entre 2017 et 2018. Cette inversion de tendance se poursuit malgré l’interdiction : 1,038 million d’avortements auraient ainsi été réalisés en 2024, soit à peu près autant qu’en 2011. Sur la même période, le nombre de naissance a baissé de 8 % aux Etats-Unis.
Même dans certains Etats particulièrement stricts, à l’image de l’Alabama, l’Arkansas ou la Louisiane qui ont tous les trois banni complètement l’IVG, le nombre de procédures mensuelles à la fin 2024 avait retrouvé son niveau d’avril 2022. Pour la Société de planification familiale, une ONG internationale qui défend le droit à l’avortement, ce « retour à la normale » a été possible grâce à la téléconsultation.
D’après la Société de planification familiale, le nombre d’IVG par téléconsultation a explosé en deux ans.
© / Mathias Penguilly / L’Express
L’association rapporte en effet que le nombre d’avortements réalisés en téléconsultation a été multiplié par quatre entre le deuxième semestre 2022 et le deuxième semestre 2024. En proportion, moins d’un avortement sur dix était réalisé à distance à la fin 2022, contre près d’un sur quatre aujourd’hui. Concrètement, dans les Etats où il est toujours possible d’obtenir une pilule abortive sur ordonnance – ceux où l’avortement est possible jusqu’à six semaines de grossesse par exemple – les médecins n’ont qu’à envoyer une prescription. Dans ceux où la pratique est abolie, ils doivent font alors parvenir le médicament directement par voie postale. Les femmes des Etats sudistes sont alors laissées seules face à l’interruption de leur grossesse.
Bataille juridique
L’existence de recours dans les Etats les plus conservateurs est saluée par les associations. Est-ce à dire cependant que la décision de la Cour suprême n’a pas eu d’effet sur l’accès des Américaines à l’IVG ? Absolument pas, au contraire. Le nombre de praticiens et de cliniques a chuté et certaines femmes se déplacent aujourd’hui dans un autre Etat pour se faire accompagner en personne. Si l’arrêt Roe vs Wade n’avait pas été annulé, le nombre de femmes ayant eu recours à l’avortement aurait peut-être été plus important encore.
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Désormais, une intense bataille juridique entre Etats commence. En février dernier, l’Etat du Texas a attaqué une docteur new-yorkaise pour avoir fourni des pilules abortives à des patientes texanes et lui demander d’arrêter sa pratique. La plainte a été jugée irrecevable par un administrateur de l’Etat de New York où une loi a été récemment adoptée pour protéger les médecins qui pratiqueraient ce type d’IVG à distance. Quelques jours plus tard, une seconde plainte contre la même professionnelle a été déposée en Louisiane, demandant cette fois une arrestation pure et simple. Là encore, l’Etat de New York a refusé d’accéder à la demande de l’Etat sudiste, mais la médecin risque une arrestation si jamais elle se rend à la Nouvelle-Orléans par exemple.
Derrière les statistiques, les catastrophes individuelles se multiplient. En Géorgie, de nombreux Américains se sont indignés après la naissance prématurée d’un enfant à l’hôpital universitaire d’Emory à Atlanta. Du fait de la législation en vigueur dans l’Etat, sa mère a été maintenue artificiellement en vie contre les souhaits de sa famille. Elle était en état de mort cérébrale depuis plus de trois mois. Quelques heures après la naissance de l’enfant par césarienne, la mère a été débranchée.