Quand le rugby est devenu professionnel, imaginiez-vous que son développement atteigne le niveau actuel ?

Ah non, absolument pas. Quand on a commencé, en faisant un match un samedi sur deux en alternance avec le basket, si on m’avait dit que 30 ans plus tard, le championnat de France de rugby s’appellerait le Top 14 et occuperait les deux prime time du samedi et dimanche sur Canal +, précédés de deux émissions en clair… Je pense que j’aurais pris mon interlocuteur pour un fou. À l’époque, il y avait très peu de rugby à la télévision. J’ai 60 ans et, dans ma jeunesse, je ne voyais que le Tournoi des 5 Nations, un ou deux tests internationaux et la finale du championnat. Et 30 ans plus tard, entre le Top 14 et la Pro D2, on a 15 matchs en direct.

Comment expliquer l’explosion médiatique du rugby contrairement au basket ?

Selon moi, le rugby a toujours été historiquement le deuxième sport préféré des Français. Quand l’équipe de France jouait dans les années 50-60 à Colombes, il y avait 50 ou 60 000 spectateurs. Le basket n’a jamais été aussi populaire. Et le rugby est quand même un sport extrêmement télégénique. Enfin, Canal + a révolutionné la couverture du sport, du foot d’abord, et du rugby vite après. Il y avait une mythification des vestiaires, donc on a proposé à l’abonné une expérience innovante en rentrant dans les coulisses des équipes. Ça a sans doute été un des éléments déclencheurs de la popularité d’un sport qui ne demandait qu’à passer à la télé.

En 1998, le Stade Français a été sacré champion de France en étant promu. Dans votre documentaire, Bernard Laporte, entraîneur de l’époque, dit que dans le Top 14 actuel « ça n’existera plus ».

Oui, ça semble très difficile, mais Montpellier, qui a une histoire récente, a été champion (2022), l’Union Bordeaux Bègles a été fondée il y a à peine une quinzaine d’années (2006), et a été championne d’Europe et va disputer la finale (de Top 14). J’ai attendu 30 ans avant de commenter l’Aviron Bayonnais en phase finale du championnat (demi-finaliste cette saison) alors qu’il était en Pro D2 il y a trois ans. Le championnat n’a jamais été aussi compétitif. Il y a eu sept champions différents sur les dix dernières années.

Le niveau est très dense en haut de tableau mais n’y a-t-il pas un risque que ça devienne une ligue quasi fermée avec le fossé qui existe entre Top 14 et Pro D2 ?

Ce ne sera pas une ligue fermée parce qu’il y a un club qui monte chaque année. Le championnat professionnel est un championnat à deux divisions. La Pro D2 est incroyable. L’année prochaine, il va y avoir Vannes qui a fait une saison exceptionnelle de promu en Top 14. Il va y avoir Grenoble, Brive, Biarritz, Agen, Béziers, que des grands noms du championnat de France de rugby. Donc la Pro D2, qui cartonne sur les antennes de Canal, est un championnat fantastique à suivre aussi. Et, chaque année, il y a une nouvelle équipe en Top 14, ce sera Montauban l’année prochaine. Mais Perpignan et Bayonne sont des équipes qui ont fait l’ascenseur récemment et qui sont aujourd’hui compétitives.

Selon vous, quelles seront les prochaines évolutions du Top 14 ?

C’est un championnat qui est jeune. Le Top 14 n’a que 20 ans, le rugby professionnel a 30 ans, ça reste jeune et c’est en perpétuelle évolution. Les stades s’agrandissent, le public est de plus en plus nombreux. Cette année, on a battu des records : d’essais marqués, d’affluence… Je crois que c’est plus 6 % en Top 14 et en Pro D2. D’audience (en phase régulière) et les demi-finales viennent de faire, avec 1,2 million (de téléspectateurs) chacune, des records d’audience sur les demi-finales depuis onze ans. La dynamique est là.

Il y a 30 ans, imaginiez-vous un club breton accéder à la première division ?

Non, mais c’était formidable. On regrette qu’ils descendent, on espère qu’ils vont vite remonter et on les suivra de très près la saison prochaine en Pro D2. Mais on a beaucoup travaillé avec Vannes cette saison parce que c’était une bénédiction pour le Top 14. On a fait deux prime time le dimanche soir à Vannes (contre Toulouse et Clermont). On a mis en avant l’hymne breton, le bagad qui accompagnait les joueurs à la sortie des vestiaires, le silence du stade sur les buteurs. C’était une touche de fraîcheur remarquable et qui a élargi le territoire du Top 14, ce qui est le vœu des instances, de la Ligue et de la fédé, depuis des années. D’ailleurs, Antoine Dupont leur rend hommage dans le doc, il parle de la fraîcheur que ça a amenée. C’était quelque chose de nouveau comme il n’en arrive pas tous les ans.

Que manque-t-il au RCV pour qu’il s’installe définitivement en Top 14 ?

Il ne manque pas grand-chose. Une saison, ça tient à rien, ça tient à votre comportement, à vos résultats. Les résultats de Vannes ont été solides, ils ont gagné deux fois à l’extérieur chez des gros (La Rochelle et Racing 92). C’était vraiment impressionnant. La réussite qu’ils n’ont pas eue, c’est qu’aucune équipe n’a flanché. Ça m’a rappelé Bayonne, il y a une dizaine d’années (13e avec 52 points en 2015 quand les deux derniers étaient relégués), quand Joe Rokocoko (ancien All Black) y jouait. Cette année, si Vannes avait eu la chance qu’un de ses rivaux craque, il se serait maintenu sans problème.

Vous attendiez-vous à ce qu’ils soient aussi compétitifs ?

Non, on pouvait redouter qu’ils craquent comme c’est arrivé à beaucoup de promus. Ça a été un promu plus qu’honorable. Ces dernières années, Vannes est le seul promu où Canal est allé faire deux prime time. À la fois parce qu’il y avait la découverte de la Bretagne, ça c’était pour le premier contre Toulouse, mais le deuxième, contre Clermont, c’est parce qu’ils étaient dans le coup.

Et les audiences ont-elles été au rendez-vous ?

Oui, je n’ai pas le détail, mais ils étaient dans la très bonne moyenne des matchs du dimanche soir, moyenne par ailleurs en augmentations par rapport à l’année dernière. J’ai même été surpris de l’audience de Vannes – Clermont. Autant Vannes – Toulouse, on se doutait que ça allait très bien marcher. Vannes – Clermont, on s’est dit, « là, on prend un petit risque quand même ». Et de mémoire, on avait fait plus de 500 000 abonnés, c’était dans la bonne moyenne.

(*) Le documentaire « L’odyssée du Top 14 » est diffusé dimanche 29 juin à 21 h sur Canal +.

Le Top 14 2024-2025 en chiffres
576 000, en moyenne le nombre de téléspectateurs sur la case du dimanche soir (10 % de plus que sur la saison 23-24)
772 000, le record de la saison régulière à l’occasion de Toulouse – Bordeaux Bègles (J4)
1,87 million, le nombre total de téléspectateurs lors des matchs de saison régulière (deuxième saison historique, + 17 % en dix ans, )