Rien n’est virtuel en ce bas monde. Pas même le monstre que l’on nomme Internet et qu’en 2000, un jour de griserie, le candidat démocrate Al Gore s’est vanté d’avoir inventé. Formidable innovation, le World Wide Web a modifié notre rapport à l’univers. Aude Seigne a choisi de nous ramener sur terre, et même dans les abysses, en dénonçant les méfaits de ces nouvelles techniques de communication sur notre environnement. Une toile large comme le monde a l’ambition d’éveiller les consciences en évitant de donner des leçons.
C’est par le mystère que nous entrons dans l’aventure : « Il est immobile, longiligne et tubulaire, gris ou peut-être noir, dans l’obscurité on ne sait pas très bien. Il ressemble à ce qui se trouve dans nos salons, derrière nos plinthes, entre le mur et la lampe, entre la prise de courant et celle de l’ordinateur : un vulgaire câble. Appelons-le FLIN. » Lui, c’est le système de raccordement qui relie les continents, permet le fonctionnement d’Internet. Même les requins-crocodiles – incroyable mais vrai, cette créature existe ! – se cassent les dents contre lui. Mais l’être humain, lui, trouve toujours une parade.
Réappropriation du monde
Pénélope, June, Birgit, Lu Pan et quelques autres, dont nous avons suivi le quotidien souvent triste, éprouvés par un sentiment de solitude, y compris dans le cadre confortable d’un hôtel international des plus design, ont voulu en finir avec le Web. Ils n’étaient ni des révolutionnaires ni des vandales. « En réalité, aucun d’entre eux ne souhaitait la destruction totale d’Internet, explique Aude Seigne, mais ils ont œuvré par motivation individuelle et par provocation, par plaisir de déjouer les règles et par insoutenabilité du monde. » Le résultat de leur action, c’est évidemment la disparition de l’économie, des rapports sociaux, tels que nous les connaissons depuis vingt-cinq ans. Mais c’est encore la réappropriation, par l’humanité, de sa lumineuse destinée. Rien n’est virtuel en ce bas monde. Pas même l’imagination.
Aude Seigne, Une toile large comme le monde, Zoé Poche, 2025, 272 p., 10 €.