Vers 10 heures 30 en ce 28 juin 1925 – il y a exactement cent ans – un coup de canon retentit. La foule massée entre le Palais de Justice et le jardin Alexandre 1er sursauta. Puis se figea. Tandis que la musique des Équipages de la Flotte entonnait la Marseillaise, un voile glissa sur l’ouvrage monumental que la population toulonnaise attendait depuis sept ans à l’inauguration duquel elle était venue assister: le nouveau Monument aux morts.

L’ouvrage sculptural apparut, grandiose, dans la blancheur de sa pierre neuve. Au haut du monument se présentait une statue allégorie de la République, qui, voilée de deuil, déployait ses bras au-dessus de sept Poilus et marins fraternellement alignés.

Le gouvernement représenté par Jean Ossola

Parmi les personnalités, aux côtés du maire de Toulon Emile Claude, du préfet du Var Paul Cameau et du préfet maritime l’amiral Levasseur, le gouvernement était représenté par le secrétaire d’État à la Guerre, le Grassois Jean Ossola, ancien maire de sa ville natale, député des Alpes-Maritimes.

Avec la foule des Toulonnais, tous communiaient dans le souvenir de l’abomination de la Grande guerre. Certes, depuis, la vie avait essayé de reprendre ses droits au milieu des chagrins et des difficultés sociales et économiques.

Certains avaient même essayé de transformer ces années en « années folles ». Mais en ce matin-là, la guerre était présente dans tous les esprits et faisait peser sur la foule un poids encore plus lourd que le soleil de l’été.

Il en avait fallu, du temps, pour ériger ce monument!

Fraternité silencieuse

Dès 1918 un comité avait été constitué comme dans beaucoup de villes pour gérer sa construction. Il était présidé par le pharmacien toulonnais Victor Castel, connu et respecté dans la ville. Le choix du lieu avait été rapide. Mais il avait été plus difficile de se mettre d’accord sur les modalités de construction du monument et sur son style. Allait-on ériger, comme dans beaucoup de villes, un obélisque, une colonne, une stèle? Le premier port de guerre de France méritait quelque chose de grandiose. Les membres du comité étaient tiraillés entre classicisme et audace.

Réunions houleuses

Les réunions s’enchaînèrent de 1919 à 1923, contradictoires, souvent houleuses. Un concours fut lancé en 1923. Une dizaine de candidats défendirent leur projet. Le vainqueur fut le toulonnais Honoré Sausse, 32 ans. Ce fils de charpentier avait été autrefois boursier de la ville de Toulon pour poursuivre ses études aux Beaux-Arts à Paris.

Le projet qu’il présenta au jury portait le nom inattendu de « Libellule » – allusion aux bras ouverts de la République qui ouvrirait ses bras comme des ailes au-dessus des morts.

Une souscription fut lancée pour compléter les contributions de la ville et de l’État.

Un hommage au XVe Corps

Sur le monument – qui, en 2010, a été inscrit sur la liste des Monuments historiques – fut gravée cette inscription: « Aux Toulonnais morts pour la patrie ». Une autre y figura aussi: « La légende créée contre le XVe corps est un crime. Leygues ».

Cette inscription faisait allusion à la fausse accusation de traîtrise qui avait été faite en 1914 au XVe corps d’armée originaire de notre région. L’affaire avait fait grand bruit à l’époque. La phrase gravée dans le marbre était celle qu’avait prononcée en 1919 à l’Assemblée nationale le Ministre de la Marine Georges Leygues pour rétablir la vérité.

Poésie de circonstance

Le journal la République du Var sortit une édition spéciale pour l’inauguration du Monument aux morts. Il publia en première page cette poésie d’Émile Jouvenel écrite pour la circonstance: « O, vous dont tout l’orgueil tint en ce mot: tenir!/ Vous qu’auraient enviés Sparte et Rome/ Devant ce monument voyez comme/ Vos frères survivants savent se souvenir/… Pionniers de l’air, soldats de la terre ou de l’onde/ Vous êtes et resterez pour les siècles futurs/ Les saints de la Patrie et les sauveurs du monde. »

Une fois la cérémonie terminée, la foule se sépara lentement dans la chaleur de l’été. On s’en alla par petits groupes, militaires et civils, veufs et veuves, valides et mutilés, vieux et jeunes. Tous se juraient quelque chose: que la guerre dont ils venaient d’honorer les morts serait la dernière…