Avoir un quai baptisé à son nom, de son vivant, c’est tout sauf anodin. Même quand on a été un grand plongeur. D’ailleurs, Bernard Lacosta n’en revient toujours pas: « Ils ont attendu mes 88 ans pour me faire la surprise! Il faut se montrer patient. Ça tombe bien, c’est la principale qualité d’un homme qui aime la mer », se marre le bon vivant joint par téléphone.

Ce dimanche 29 juin 2025, à partir de 10h30, la fête de la Saint-Pierre à Beaulieu-sur-Mer mettra à l’honneur cette « figure incontournable du port », dixit le directeur du lieu de plaisance, Patrick Garcia. « Comme scaphandrier, Bernard a mené d’importants travaux sous-marins sur toute la Côte d’Azur. C’est simple, sans lui, il n’y aurait pas de ports. Dans les années soixante, soixante-dix, lui et les pionniers de sa génération ont entrepris des chantiers titanesques, impossibles à réaliser aujourd’hui car administrativement et financièrement trop coûteux. »

« Personne ne croyait à la plaisance »

« À l’époque aussi, ça paraissait fou de construire un port pour les plaisanciers à Beaulieu », glisse le vieux gamin qui n’a rien oublié de sa première sortie en mer. « À neuf ans, en pleine Seconde Guerre mondiale, je ramais sur les bateaux de pêcheurs qui étaient privés de carburant. Comment imaginer, dans la même rade, tous les yachts qu’on voit aujourd’hui? Personne n’y croyait. » Ce qui n’a pas empêché cette tête brûlée au nez affûté de se lancer dans le grand bain: Marina Baie des Anges à Villeneuve-Loubet, Antibes, Menton, Saint-Jean-Cap-Ferrat, Mandelieu-La Napoule… Il en était!

Pourtant, rien ne prédestinait un fils de coiffeur à une telle carrière tournée vers la grand bleue. « Mon père voulait que je l’aide au salon. J’ai tenu deux semaines. Il me fallait de l’aventure, de nouveaux horizons. À 15 ans, je me suis donc enrôlé dans la marine. C’était la guerre d’Indochine, ma mère pleurait quand la mer m’appelait. » Le jeune homme y trouvera sa voie, sept ans durant. Après avoir pris part à des missions de sauvetage de pilotes d’avions perdus en mer, il rejoindra une unité d’élite de plongeurs démineurs. « Ça pouvait nous péter dans les mains. Mais fallait bien sécuriser les filets. »

Démineur, archéologue amateur et ami des stars

Une vie à haut risque qui aurait pu le priver de nouvelles aventures: « J’ai fini par raccrocher. Je venais de découvrir l’archéologie sous-marine et ça me fascinait. »

Sur l’épave romaine du Titan, ayant sombré au Ier siècle av. J.-C., à l’est de l’île du Levant, il remontera ses premières amphores. « On est à la fin des années 50. Bernard est un pionnier dans cette pratique qui commence à se moderniser. Tout restait encore à explorer », s’émerveille Eric Dulière président de l’association Anao, explorant la rade de Villefranche depuis 35 ans. « Naturellement, ses explorations l’ont amené à rencontrer le commandant Cousteau. Mais il ne payait pas assez bien, donc il n’a pas embarqué à bord de la Calypso. » L’anecdote a de quoi surprendre. « Pourtant c’est vrai », confirme le principal intéressé, goguenard. « Il fallait bien gagner sa vie, non? »

Ce sera chose faite avec les chantiers des ports et les sorties en mer du Maï-Maï. Un fier bateau de 16mètres à bord duquel Bernard Lacosta embarquera de riches clients pour aller chasser le thon et l’espadon. C’est à cette époque, dans les années soixante-dix, qu’il côtoiera de véritables icônes, séduites par son bagout: Johnny Hallyday, Jean-Paul Belmondo, Roger Moore ont défilé à la barre. « Des rencontres inoubliables. Des légendes », souffle le retraité, préférant rester discret sur « ses amitiés du large ». Libre aux passants de lui décrocher quelques croustillantes anecdotes. Pour trouver l’élégant loup de mer, il suffit désormais de suivre le quai qui porte son nom…