Note : 4/5
Il a d’emblée été évident que Paul Lynch allait compter parmi les écrivains les plus impressionnants de son temps. L’Irlandais natif de Limerick a frappé fort dès son premier roman, « Un ciel rouge, le matin ». Un voyage au cœur d’un paysage âpre, de tourbe et de mousse et d’un monde dur où personne ne se fait de cadeau. Le débutant se montrait déjà en pleine possession de ses moyens. Capable d’une aisance narrative évidente et d’un art pour varier les registres, s’intéresser aux êtres mais aussi aux couleurs, aux odeurs, aux éléments. Paul Lynch n’a, depuis, cessé d’éblouir ses lectrices et ses lecteurs avec des livres tels « La neige noire », « Grace » ou « Au-delà de la mer », tous remarquablement traduits par Marina Boraso.
Un tour de force
Le dernier en date a été récompensé par le Booker Prize et, plus récemment, par le Prix des Libraires 2025 dans la catégorie « Roman étranger ». « Le chant du prophète » est un véritable tour de force qui allie la puissance et la subtilité. L’entame vous aimante. Des coups sont frappés à la porte de la famille Stack, à la nuit tombée. Deux hommes apparaissent derrière la vitre de la véranda. Deux agents en civil de la police secrète, se présentent au domicile d’Eilish Stack. Ces membres de la GNSN, mise en place par le National Alliance Party, recherchent son mari, Larry, un homme ordinaire, enseignant et syndicaliste, adjoint de la secrétaire générale du syndicat des enseignants d’Irlande. Le père de ses quatre enfants : Mark qui n’a pas encore seize ans, Molly, Bailey et Ben, le bébé.
Nous voici projeté dans un pays en train de traverser une crise majeure, où l’état d’urgence a été déclaré, où il faut respecter le couvre-feu. Les arrestations s’y multiplient, les rumeurs évoquent des camps d’internement dans la plaine du Curragh. Larry va se rendre au commissariat, s’entretenir avec deux inspecteurs, les écouter lui parler d’un signalement le concernant. En sortir, regagner sa voiture. Et disparaître…
Un monde en train de basculer
Paul Lynch s’attache alors au quotidien d’Eilish aux prises avec son travail, ses enfants, son vieux père à la santé mentale déclinante, son angoisse, sa fatigue. La tension monte encore d’un cran lorsque Mark reçoit une convocation pour le service militaire, sommé de rejoindre les forces de sécurité, et que Molly commence à maigrir à vue d’œil. Faut-il rester en Irlande, partir au Canada ? Depuis ses débuts, l’écrivain irlandais a excellé à s’emparer des genres littéraires et à les revisiter. En éclairant le combat mené par ses protagonistes, en fouillant les traumatismes du passé, en décrivant des mondes en plein effondrement.
« Le chant du prophète » le montre qui s’attaque à un futur proche du nôtre, à un monde en train de basculer. Entre les mains de Lynch, la dystopie semble comme revisitée. Il y a beaucoup de silence et de non-dits dans ses pages haletantes où l’oppression ressentie par Eilish est palpable. Chaque chapitre ressemble à un tableau dans lequel Paul Lynch joue avec la notion du temps, en mariant toujours le réalisme et le poétique, sans lâcher Eilish d’un cheveu. On l’a compris, « Le chant du prophète » est appelé à faire date.
« Paul Lynch, « Le chant du prophète », traduit de l’anglais (Irlande) par Marina Boraso, Albin Michel, 293 pages, 22,90 €.