Quinze mois. C’est le temps qu’il aura fallu pour redonner un nom et un prénom au cadavre découvert immergé, un jour de mars 1994, dans les eaux du fleuve Loire à hauteur de la plage de Saint-Victor. Mais aussi pour appréhender les auteurs de cet homicide, passés tout près de commettre le crime parfait.
Cette affaire aux allures de « cold case » débute dans l’après-midi du mercredi 2 mars 1994, lorsque des promeneurs découvrent un corps emballé dans un sac, flottant à la surface de l’eau près de la plage de Saint-Victor-sur-Loire.
L’enquête permet d’établir que la victime, qui a subi de graves violences, est une femme âgée d’environ 70 ans, mesurant 1,52 m pour une cinquantaine de kilos, cheveux grisonnants et yeux gris-bleus. Mais pendant des mois, en dépit des appels à témoins lancés dans la presse et des efforts acharnés des policiers, l’enquête se heurte à un mur : impossible de donner un nom à la victime, et donc de remonter jusqu’à ses meurtriers.
Au mois de décembre 1994, les policiers stéphanois publient même un nouveau portrait-robot de la défunte, réalisée par le laboratoire d’anthropologie anatomique de l’université Claude-Bernard de Lyon. Neuf mois après la découverte du corps, cette tentative est alors considérée comme celle de « la dernière chance » pour espérer identifier le corps. En vain.
Une prothèse au tibia
« La Loire aurait pu garder le mystère, enfouir définitivement dans les eaux profondes l’identité d’une femme âgée, rouée de coups, puis emballée comme un vulgaire paquet avant d’y être jetée », écrit notre consœur Marie-Christine Jaspard dans La Tribune-Le Progrès du jeudi 8 juin 1995. Mais c’est sans compter sur l’opiniâtreté des enquêteurs stéphanois, qui finit par payer.
La clé du mystère résidait en fait dans les résultats de l’autopsie. Celle-ci avait révélé que la victime avait subi une opération du tibia droit. « La victime portait un clou de type centro-médulaire, fixé dans l’os avec une vis. Dès le mois de juin 1994, les policiers stéphanois avaient identifié le fabricant suisse de ce type de prothèse osseuse. Le distributeur pour la France leur apprenait ensuite que cette prothèse avait été diffusée depuis 1979, et notamment au CHRU de Bellevue ».
Personne ne sait dire où est Marie-Hélène
Par un véritable travail de fourmis, les policiers épluchent toutes les interventions réalisées en chirurgie orthopédique. Puis ils s’intéressent aux interventions pratiquées par les services des urgences. Bingo ! « En 1982, suite à un accident de la circulation, une femme nommée Marie-Hélène M., née en 1918 à Montregard dans la Haute-Loire, avait été opérée », raconte notre journaliste qui a suivi le dossier.
Sans plus attendre, les policiers débarquent à la dernière adresse connue de la septuagénaire, chez sa nièce, dans un immeuble du quartier de Montreynaud à Saint-Étienne. Les tentatives d’explications livrées par la nièce ne font pas illusion : la tante ne se trouve pas au domicile, personne n’est en mesure de dire où elle se trouve…
L’étau se resserre. Et l’écheveau qui a conduit au drame se dessine peu à peu : « L’inconnue de la Loire n’est plus », écrit notre journal dans son édition du jeudi 8 juin 1995.
Au matin du jeudi 8 juin 1995, quinze mois après les faits, La Tribune – Le Progrès évoque le rebondissement de l’affaire en première page. Photo archives La Tribune – Le Progrès
Frappée à mort
En 1982, Marie-Hélène, qui n’avait pas de descendance, vivait chez sa sœur à La Talaudière. Deux ans après son accident, Marie-Hélène porte encore de lourdes séquelles : elle se déplace mal, et seulement au moyen de ses deux béquilles… Elle emménage alors chez sa nièce, Michelle, à Montreynaud. Cette dernière obtient une procuration sur le compte bancaire, capte la retraite de 3000 francs par mois de Marie-Hélène, ainsi que les 300 000 d’indemnités qu’elle a touchées après son accident.
Pendant dix ans, la vie s’écoule ainsi. Marie-Hélène ne sort jamais du F2 dans lequel sa nièce lui a réservé une chambre. Jusqu’au 1er mars 1994. Ce jour-là, à midi, Michelle, son compagnon Hassan et Marie-Hélène mangent ensemble à midi. La nièce s’absente. À son retour, Marie-Hélène est agonisante : elle vient d’essuyer une pluie de coups portés par Hassan. Alcoolisé, il n’a pas supporté que la vieille tante lui reproche son inactivité et sa paresse.
Le soir, le neveu par alliance emprunte la Renault R18 de son frère. Emballé dans des sacs, le corps de Marie-Hélène est chargé dans le coffre. Direction Saint-Victor-sur-Loire. « La voiture est stoppée puis, aux aguets, le poids de son crime dans les bras, H. dévale le chemin jusqu’au bord de l’eau. Il balance le corps de Marie-Hélène dans le fleuve. C’est fini. »
Pendant plus d’un an, Michelle et Hassan ont échappé aux policiers. Jusqu’en ce mois de juin 1995 : rattrapés par un crime exhumé de l’oubli, ils sont écroués. Lui pour homicide volontaire, elle pour non-assistance à personne en danger, dissimulation de cadavre et escroquerie : quinze mois après sa mort, Michelle percevait encore la retraite de sa tante…