Ce premier samedi d’avril, le concert touche à sa fin dans le centre de la capitale. Happés par les accords de guitare et les tubes qui se succèdent, des spectateurs ne tiennent plus en place et se lèvent de leurs sièges. Certains se déhanchent dans les allées du Casino de Paris ou ondulent près du sol façon Iggy Pop. Au niveau des premiers rangs, de tout petits pogos se forment. Et soudain, la salle s’enflamme.

« Pan pan pan ! Qui est là ? C’est la p’tite Charlotte ! », s’égosille le public, âgé de 3 à 80 ans, encouragé par Henri Dès lorsque survient le refrain. Accompagné de son contrebassiste, le chanteur trône tout sourire au milieu de la scène, porté par cette foule qui reprend à l’unisson ses paroles. Depuis près d’un demi-siècle, il est indéboulonnable dans le cœur des jeunes mélomanes, et pas seulement.

La musique de toute une vie

« J’ai quatre générations dans mon public maintenant », souligne non sans fierté l’artiste de 84 ans lorsque nous le rencontrons dans l’hôtel où il a ses habitudes, à l’heure du goûter, juste après sa 3e date parisienne de son spectacle « En solo + 1 ». Il énumère : « Il y a des grands-papas qui ont mon âge, leur fils ou leur fille de 55 ans, le suivant qui en a 30 et le dernier 5 ans. Ils viennent au spectacle et ils connaissent tout par cœur. »

Si les enfants débordent d’énergie sur ses grands hits – Les bêtises à l’école, La glace au citron ou encore Le petit zinzin -, les adultes ne restent pas de marbre. Au contraire, eux aussi connaissent les chansons sur le bout des doigts. Le répertoire d’Henri Dès traverse les âges.

« C’est extrêmement rare, analyse-t-il. Il y a beaucoup de chanteurs à succès actuellement qui vont disparaître, parce que la transmission ne se fait pas. Moi, elle se fait, parce que je m’adresse à un public assez jeune qui comprend ce que je dis et qui garde ça en mémoire toute sa vie. »

« Une chanson pour faire plaisir »

Ce public, Henri Dès le rencontre « par hasard » à la fin des seventies. Il s’approche alors de la quarantaine et mène une carrière qu’il qualifie de « confidentielle » dans la musique pour adultes, en France mais aussi en Suisse, son pays. Il en est par ailleurs le représentant à l’Eurovision en 1970 où il se classe 4e, ex aequo avec le chanteur espagnol Julio Iglesias et le Français Guy Bonnet.

Mais c’est grâce à ses jeunes enfants qu’Henri Dès bascule dans une nouvelle dimension. « Mon fils a eu 5 ans et j’ai eu envie de lui écrire une chanson pour lui faire plaisir. Je l’ai enregistré avec lui et j’en ai écrit 3 ou 4 autres. Puis mes amis m’ont dit qu’il ne fallait pas les laisser dans un tiroir, qu’il y avait quelque chose de fort et d’authentique. Donc j’ai continué, j’ai fait un album et ça a été le succès immédiat », se remémore-t-il.

Boudé par les radios

Henri Dès sort son premier album jeunesse en 1977. Huit ans plus tard, il obtient son tout premier disque d’or. Il en recevra 15 au total, couronnant un registre de 200 chansons et 4,5 millions d’albums vendus. Autre chiffre notable : le chanteur s’est produit une centaine de fois dans la mythique salle de L’Olympia. Sans oublier la trentaine d’établissements scolaires et de la petite enfance qui portent son nom.

Seul bémol dans cette partition, l’artiste constate être toujours passé sous les radars médiatiques, malgré son succès. « Je n’ai jamais fait de prime time de ma vie. Je ne suis jamais passé en playlist dans les radios. Quand ils m’invitaient, ils ne passaient que la moitié d’une chanson pour illustrer mon propos. C’est un format dont ils ne savent pas quoi faire », analyse-t-il.

Peu rancunier, le chanteur préfère y voir les bons côtés. « C’est une malchance et une chance en même temps. Le fait de ne pas avoir été happé par le show-business, entre guillemets, où je me serais éventuellement retrouvé avec un producteur qui m’aurait influencé, m’a obligé à être en confiance avec moi-même. J’ai simplement fait mes petites chansons dans mon coin et elles continuent d’exister. »

« Je suis un adulte qui comprend le monde des enfants »

Cinquante ans après avoir vu le jour, en 1979, les aventures de la Petite Charlotte, et tous ses autres tubes, galvanisent toujours autant ses petits fans. Un public par ailleurs redoutable. « Ils ne font pas de cadeaux quand ils ne s’intéressent pas à un spectacle, reconnaît Henri Dès. J’ai déjà assisté à des pièces de théâtres pour les enfants et si ça ne les touche pas, ils font un bazar effrayant… »

Lors de ses concerts à lui, ses spectateurs sont aussi acteurs. On est loin des invasions de scènes de certains rockeurs, mais l’artiste convie tout de même une poignée d’enfants sur scène pour chanter avec eux.

Et puis il y a cette musique qui demeure intemporelle et touche la jeunesse peu importe les époques. Henri Dès se dit être un bon « observateur de leurs petites vies ». « Je pense que si je n’avais pas eu d’enfants, cela aurait été difficile. J’aurais fait une chanson un peu bateau, un nounours avec un nez rouge, des conneries comme ça. »

Le chanteur lui-même est-il nostalgique de cette époque de l’enfance, de naïveté et de déglingue ? « Non, répond-il catégoriquement. Je ne suis pas un enfant qui écrit pour les enfants. Je suis un adulte qui comprend ce monde. »

Henri Dès, une éternelle rock star ?

Henri Dès est aussi un adulte qui parle aux adultes. A ces enfants devenus parents, bien sûr, mais pas uniquement. En 2016, il sort un album avec Ze Grands Gamins, le groupe de son fils Pierrick Destraz, dans lequel ils accommodent ses chansons façon « Henri Death Metal ». Ils se produisent ensemble au Motocultor Festival, temple du heavy metal, en Bretagne.

« Il y avait 15.000 personnes entre 20 et 30 ans qui pogotaient autour de moi, qui tournaient sans arrêt. Mais finalement, que mes chansons soient accompagnées par un orchestre symphonique ou des fous furieux comme mon fils et son copain, ça ne change rien. J’étais avec ma guitare, les gens chantaient avec moi. C’était complètement dingue. Ce n’est pas moi qui me suis mis à faire du métal, c’est le métal qui s’est nourri de mes chansons », estime-t-il.

A l’instar d’un Mick Jagger ou d’un Paul McCartney, Henri Dès n’est-il pas finalement, à sa manière, l’éternelle rock star des enfants ? « Je crois que c’est un peu exagéré », réagit-il, un sourire en coin. Il peut toutefois se targuer de compter son lot de groupies, des tournés à n’en plus finir, une carrière longue comme le bras… Ce qui n’est pas rien du haut de ses 84 ans.

« Je ne me mets pas de limite. Pour l’instant, ça marche très fort. Partout où je passe, en Belgique, en Suisse, en France… Mes salles sont remplies deux mois à l’avance. La seule chose qui pourrait me freiner, ce serait des difficultés physiques, que je perde la mémoire, ma voix, ma mobilité… »

En 2019, Henri Dès a été victime d’une crise cardiaque. « Je suis mort, raconte-t-il. Heureusement, mon amie était là et m’a fait un massage. Ils m’ont mis dans le coma, puis je me suis remis. » Il est retourné sur les routes et sur scène, comme depuis des décennies : « Je me dis que c’est comme si on me donnait un jeton supplémentaire ». Que les petits et les grands se réjouissent, Henri Dès not dead.