Tout a commencé en 2017, quand « un golf s’est créé aux Lacs de l’Eau d’Heure », se rappelle-t-elle. « Ma fille aînée Aurore a fait un stage d’étudiante là-bas. Le directeur a vu un jour Nathalie lui rendre visite et il nous a proposé qu’elle fasse une initiation. Mon mari étant ouvrier à l’époque et comme absolument personne n’y jouait chez nous, le golf avait toujours ce stéréotype de jeu pour les riches. Mais comme elle faisait déjà un peu d’équitation, qu’elle adore la marche, on s’est dit qu’on allait la laisser jouer et frapper deux ou trois balles. Huit ans plus tard, voilà où elle est. »
Là, à quelques kilomètres de chez elle, Nathalie gravit les échelons comme n’importe qui d’autre. « Ce qu’on a adoré, c’est qu’il n’y a pas eu de différence par rapport à un autre joueur. Nathalie a commencé à jouer avec les juniors et elle a passé les examens pratiques comme tous les autres, sauf le théorique parce qu’elle ne saurait pas. En 2019, le directeur nous a dit : écoutez, moi je trouve qu’elle a un swing énorme, magnifique. Et la même année s’est créée la section paragolf pour la Belgique. Donc on l’a inscrite à l’AFG (Association Francophone de Golf) et ça s’est tellement bien passé qu’elle adore, elle en vit de son golf. »
Mais avec les compétitions, les difficultés s’enchaînent. « Déjà, c’est une trisomie 21, donc il y a beaucoup de préjugés. Pas seulement dans le public, mais malheureusement aussi parmi certains responsables. L’image de Nathalie en tant que paragolfeuse, c’est qu’elle ne comprend pas et qu’elle est lente. On nous dit tout le temps : oui, mais le jeu va être ralenti. C’est le premier stéréotype contre lequel on doit se battre. Jusqu’à aujourd’hui, elle ne ralentit personne. Le deuxième, c’est qu’on refuse Nathalie parce qu’on a peur du physique. On nous demande souvent à quoi elle ressemble. Mais Nathalie est comme tout le monde, il n’a pas à avoir peur ni quoi que ce soit. Mais ça peut déranger. »
Un binôme avec sa sœur qui lui parle de tic-tac et de biscuits
Le plus gros questionnement est toujours le même : comment peut-elle comprendre les consignes ? « Nathalie est accompagnée d’un caddie, son autre sœur Cassandra. C’est elle qui lui permet de comprendre exactement ce qu’on lui demande et de jouer à un rythme tout à fait normal. »
Nathalie et Cassandra Habranc
Pour y parvenir, elles ont mis en place des consignes adaptées. « Par exemple au niveau de l’intensité, Nathalie ne comprendra pas si vous lui dites : joue fort. Pour les tout petits coups au putter, on travaille avec les mots tic, tac. Si on lui dit : tu vas faire tiiiiic-tac !, Nathalie va savoir quel mouvement elle doit effectuer. Quand ce sont des approches pour arriver près du drapeau, on travaille avec des biscuits, parce que Nathalie sait très bien ce que c’est. Plus c’est long, plus elle préfère évidemment. Donc on travaille par petits, moyens et grands biscuits. Elle sait exactement à ce moment-là quelle force elle doit mettre. Et si elle est avec des bois, pour des distances entre 90 et 150 mètres, à ce moment-là on travaille avec le mot force. On l’a habituée avec des lattes, à lui dire : force un, force deux, force trois ou maximum. Quand on emploie ces termes-là, elle sait exactement la distance qu’elle va frapper. »
Une ASBL qui propose des ateliers pour se mettre à sa place
Une véritable histoire de famille qui ne s’arrête pas là. Aujourd’hui, Nathalie joue et s’entraîne au Durbuy Golf Resort. « Donc nous faisons 1h20 de trajet aller, 90 km sans autoroute. Ça fait 180 kilomètres deux fois par semaine, avec une compétition généralement par semaine. On démarre ici à 9h30 et nous rentrons vers 18h30 trois fois par semaine. Ça nous occupe tout le temps mais il faut dire qu’on est vraiment soudés les uns aux autres. »
Un Golf que Bernadette remercie tous les jours. « Eux s’impliquent au plus qu’ils peuvent pour essayer de faire entrer les trisomiques, le handicap intellectuel, dans le golf. C’est avec eux qu’on a créé des ateliers » liés à leur ASBL La Trisomie et le Golf, créé en mars 2024. Son but, « soutenir le parcours de Nathalie et accompagner les futurs golfeurs porteurs de trisomie 21. On a mis en place des ateliers qu’on a appelés Mets-toi à ma place. On vous met dans les conditions dans lesquelles Nathalie doit jouer. Quand elle fait une compétition de 18 trous, c’est entre 4h30 et 5h30 de jeu et on lui demande de se concentrer pendant toute cette période alors qu’elle a justement une difficulté dans la concentration. Alors au départ, on vous fait faire un jeu de concentration et après, on va vous demander de frapper ou de faire d’autres événements et vous allez comprendre combien cette concentration est importante. »
Roissy, une chanson, une star et des souvenirs inoubliables
Un atelier qui peine malheureusement à trouver son public, mais qu’elles ont pu donner en mars dernier lorsque Nathalie a été invitée au Golf International de Roissy pour sa première compétition internationale. « On nous a demandé de faire un clinic (une séance d’entraînement collective, NDLR) parce qu’en logique, ils ne comprenaient pas ce qu’on faisait. Ils disaient : c’est vraiment l’occasion pour nous, pros, de comprendre. Parce que là on est un peu perdus, on n’a jamais vu ça. »
Cette compétition à Roissy restera un des meilleurs souvenirs de la famille. Si Nathalie y a parfaitement géré le bruit des avions, le public présent et le parcours « de très très grande qualité », elle a cependant vécu un moment de stress… qui s’est transformé en souvenir mémorable. « Juste avant de commencer le parcours, elle a pleuré. Elle a bien senti qu’on avait du stress nous aussi, mais on ne pouvait pas s’en empêcher. L’arbitre international est venu près de nous et nous a demandées : qu’est-ce que je peux faire pour l’aider ? Je lui ai dit que quand elle a un grand stress, on lui met la chanson de Céline Dion et Garou Sous Le Vent. Comme elle adore la chanter, ça l’aide. Et vous avez l’arbitre international qui lui a mis la musique et qui a commencé à chanter et à danser avec elle. Ça, c’était vraiment une image incroyable. »
Autre grand souvenir, Nathalie a pu y rencontrer « de très grands paragolfeurs. Elle connaît très bien Adem Wahbi (n°1 belge de handigolf, NDLR) et ici elle a rencontré Manuel de Los Santos. (n°1 Européen en handigolf pendant près de 7 ans, il a remporté près de 80 trophées dans sa carrière, NDLR). Nous étions au-dessus, au balcon, en train de regarder le trou numéro neuf où Nathalie allait arriver et Manuel de Los Santos, qui était arrivé depuis au moins deux heures, dit : regardez cette petite, elle au neuvième trou. J’ai répondu : oui, c’est ma fille, et il me regarde et fait : elle ne fait qu’un 9 trous ? Je dis : non, non, non, un 18 trous, et demain rebelote. Quand Nathalie a eu terminé les 18 trous, vous avez plusieurs paragolfeurs qui sont arrivés et ils l’ont applaudi. Eh bien je peux vous jurer que pour ça, vous n’avez plus envie que d’une chose, c’est de continuer. »
Ce n’est pas avec la petite pension de Nathalie qu’on fera grand-chose
Une prestation remarquée qui a ouvert des portes. Nathalie a été invitée au Grand Prix International Handi-Valides du Golf de Baden ces 21 et 22 juin. Un déplacement trop coûteux à 850 kilomètres de chez eux, mais « ils nous ont offert le déplacement et le logement. Ça, ce n’était encore jamais arrivé. On pourrait encore aller à celle de Périgueux ou à d’autres en Allemagne et en Italie, mais financièrement, ce n’est pas avec la petite pension de 1 300 € de Nathalie qu’on fera grand-chose. C’est elle qui fait vivre l’ASBL. On n’a pas de sponsor. La seule aide que nous avons c’est le Golf de Durbuy, mais sinon on n’a absolument aucune aide de personne. »
Une bataille administrative bien belge
D’autant que l’argent n’est pas la seule bataille qu’il a fallu mener. Administrativement aussi, sans surprise, ce fut une « histoire belge assez rocambolesque. Il nous a fallu deux ans et demi au lieu de 6 mois pour obtenir le niveau EDGA. Un athlète avec un handicap moteur qui est au paragolf, il va à l’AFG, passe par un médecin de la Fédération Royale Belge de Golf et s’il reconnaît l’invalidité comme permanente, il peut aller à l’EDGA. Pour Nathalie, on a dû passer par la Ligue Handisport pour demander à Virtus (Fédération internationale des athlètes ayant une déficience intellectuelle, NDLR) une sorte de certificat spécifique aux déficients intellectuels qui vous dit dans quelle catégorie vous êtes. Pour cela, elle a dû passer trois examens, cognitif, psychologique et golfique. Ensuite, ces documents ont dû être envoyés à la Ligue Handisport, traduits en anglais et finalement envoyés par la Ligue à l’EDGA. »
Une dérogation pour avoir sa sœur dans la même voiturette
Autre bataille qu’il a fallu mener à bien : la voiturette de golf. « Nathalie en a besoin parce qu’elle est petite et elle a deux barres en titane à la colonne vertébrale. On demande à l’EDGA qui nous dit : pas de problème, nous comprenons très bien qu’il est impossible qu’elle fasse huit kilomètres avec une concentration complète au rythme d’un golfeur qui marche normalement. Mais dans la règle des compétitions internationales, les personnes qui jouent ne peuvent pas être avec un membre de leur famille dans la même voiturette. Elle est censée aller dans la voiturette avec un autre paragolfeur vers une balle qu’elle n’a pas jouée pendant que sa sœur part à pied vers sa balle à elle. C’est impensable, elle ne peut pas le comprendre. D’autant que le rôle de sa sœur dans la voiturette, c’est de la mettre en condition mentale et de veiller à ce qu’elle garde son moral. Donc nous nous sommes battus pendant plus de six mois pour qu’on accepte que Nathalie joue avec sa sœur à ses côtés dans la voiturette. On vient d’avoir l’acceptation de la Fédération Belge. Mais pour les Français, là, nous devons demander une dérogation à chaque compétition puisque chaque club prend sa propre décision. »
Impossible de s’inscrire auprès de Special Olympics Belgium
Enfin, la dernière bataille est toujours en cours : pouvoir participer aux Special Olympics. « Nathalie ne pourra jamais participer aux Jeux Paralympiques parce que les athlètes avec des problèmes cognitifs n’y sont pas acceptés. Pour les trisomiques, ce sont les Special Olympics. Les prochains Jeux Mondiaux auront lieu à Santiago au Chili. On s’est donc adressé à l’ASBL Special Olympics Belgium qui nous a répondu non. Qu’ils n’allaient pas créer une section pour une personne seule dans sa discipline sans infrastructure autour d’elle. » L’ASBL, qui soutient environ 20.000 athlètes en Belgique, confirme que la situation de Nathalie est bloquée pour deux raisons.
Premièrement, elle ne peut s’inscrire chez eux qu’à la condition de « faire partie d’un club reconnu », explique Carlien Appelmans, porte-parole de Special Olympics Belgium. Et le Golf de Durbuy ne l’est pas. Pour être reconnu, un club doit avoir au moins cinq membres déficients intellectuels et « organiser régulièrement des activités pour athlètes avec un handicap mental », comme des entraînements, nous explique-t-elle. C’est seulement « via ces clubs que les athlètes peuvent participer à nos activités. »
Il faudrait donc au moins quatre autres golfeurs déficients intellectuels avec Nathalie pour pouvoir constituer un club. Il pourrait alors organiser un tournoi pendant les Jeux Nationaux des Special Olympics, ce qui permettrait à l’ASBL de proposer ce sport. Mais même là, il n’est pas encore garanti que le golf sera au programme à Santiago. « Pour l’instant nous n’avons pas encore reçu d’informations de Special Olympics International sur les sports au programme. Les inscriptions ne sont pas encore ouvertes », détaille la porte-parole.
Bienveillance sur Facebook et parmi les golfeurs de Durbuy
Malgré toutes ces embûches, l’histoire de Nathalie en aura inspiré plus d’un. Comme sur la page Facebook de l’ASBL. « Elle avait 800 likes au départ sur sa première vidéo et à sa troisième vidéo elle a 1,4 million de vues et à peu près 6000 likes », explique sa maman. « 80 % des commentaires n’étaient pas mal du tout. On a des commentaires du Japon, du Canada, des États-Unis, d’Australie. Elle a déjà joué énormément avec d’autres golfeurs et pour ça, je dois aussi remercier énormément les golfeurs du Durbuy Golf Resort parce qu’ils sont très, très ouverts. Maintenant pour eux, elle est une golfeuse à part entière. Ce n’est plus La trisomique. Elle fait partie du club totalement. C’est un peu leur mascotte je vais dire. J’ai aussi un golfeur français de bon niveau qui a demandé pour venir jouer avec Nathalie parce qu’il était étonné de voir comment elle pouvait jouer. Quand il est revenu, il m’a dit : Je suis zen et franchement, je ne vois plus le golf de la même manière. Nathalie est très sociable et quand vous avez fini de jouer avec elle, vous avez plus de reconnaissance envers les joueurs trisomiques 21 et les personnes déficientes intellectuelles. »
N’écoutez pas toujours les professionnels, essayez !
En résumé, une belle revanche sur la vie. « On nous a dit qu’elle ne marcherait pas, qu’elle ne parlerait pas. Mais on n’a absolument pas eu tous les problèmes qu’on nous annonçait au départ. À l’école, elle a fait l’enseignement normal jusqu’à la quatrième primaire. Sa plus grande difficulté, c’est le langage, mais pas la compréhension. Et elle est maligne parce qu’elle invente ses propres mots. Par exemple elle ne va pas à la bibliothèque, elle va à la livrothèque. Vingt-sept ans plus tard, on essaye de prouver qu’il ne faut pas toujours écouter les professionnels. Essayez et puis vous verrez. »