Le pari ferroviaire du Grand Est mettra son chantier sur les rails cet automne. Débuteront alors les travaux de modernisation de la ligne entre Nancy (Meurthe-et-Moselle) et Contrexéville (Vosges), comme test en réel de la fiabilité du montage juridique inédit choisi par le conseil régional : une concession au privé portant, pour l’essentiel du tronçon, à la fois sur l’infrastructure et sur l’exploitation future. Ce modèle d’« intégration verticale » est mis en œuvre pour la première fois en France depuis l’ouverture à la concurrence des lignes de TER autorisée fin 2019 par la loi d’orientation sur les mobilités (LOM). A cette exception à sa règle de séparation entre gestion et exploitation, la Commission européenne a donné son feu vert, considérant son petit périmètre et l’« absence d’importance stratégique pour le marché européen ».

Pour la région par contre, l’enjeu est apparu crucial : éviter la marginalisation d’un territoire décentré, dont la ligne ferrée a été si désinvestie par la SNCF qu’elle est fermée depuis 2016 à la circulation sur 55 de ses 85 km, entre Xeuilley (Meurthe-et-Moselle) et Vittel (Vosges). « Elle nous semble présenter le profil adéquat pour y expérimenter l’intégration verticale : proche d’une métropole, elle assure une desserte fine de son territoire, avec un temps de trajet (1 h 15 de Nancy à Contrexéville) que la modernisation rendra compétitif par rapport à la voiture et une fréquentation significative sur la portion encore circulée près de Nancy. Cela rend réaliste l’objectif d’une couverture de 20 % de l’exploitation par les recettes d’usagers », expose David Valence, président de la commission transports de la région.

Des exigences élevées

Ces perspectives ont suffisamment fait « tilt » auprès du secteur privé pour susciter quatre candidatures, portées par Vinci Concessions, le duo Colas-Meridiam, la SNCF (Keolis mandataire et SNCF Voyageurs) avec Eiffage, et l’association entre Transdev et NGE. Les deux dernières sont restées en lice pour la négociation finale, jusqu’à l’attribution in fine, en mai 2024, à Transdev-NGE Concessions d’un contrat de 721,5 M€ sur vingt-deux ans. La société concessionnaire Nova 14 (en référence au numéro de la ligne) a été constituée en juillet 2024 entre la branche concessions du groupe de construction (50 % du capital), le transporteur (20 %) et la Banque des territoires, ainsi que la société d’exploitation détenue pour l’essentiel par Transdev. « La concession telle que montée présente l’intérêt d’associer l’exploitation le plus en amont aux discussions sur les enjeux, dès la phase de conception », estime Manuel Sirven-Villaros, directeur de Nova 14. Certes, elle engendre pour le groupement lauréat des exigences fortes de qualité de service : 98 % de régularité (moins de trois minutes de retard), et un taux de 99,5 % de disponibilité de l’infrastructure. Cependant, « la durée importante de la concession, vingt-deux ans, permet de s’engager dans le temps pour maintenir un haut niveau de service », estime Manuel Sirven-Villaros.

Nova 14 endosse ainsi la maîtrise d’ouvrage. Par rapport à un chantier classique de TP, les spécificités et complexités de la mission se concentrent sur les quelque douze mois de préparation du chantier qui sont en train de s’achever. La société concessionnaire, qui a constitué un dossier d’évaluation environnementale déposé auprès de l’Etat le 25 mars dernier, prépare les documents de l’enquête publique de septembre prochain, et mène des études de sécurisation ferroviaire afin d’organiser la suppression de 21 passages à niveau et l’amélioration des 43 maintenus.

« Mode prototype ».

Pour la région concédante, il s’est agi de concrétiser le transfert de propriété de 75 km avec l’Etat, au terme de discussions « assez nourries » (sic) selon David Valence. De plus, chaque kilomètre ou presque a été débattu avec l’Etat et SNCF Réseau pour la gestion des « interfaces », à savoir les zones de Vittel, Xeuilley et Jarville, intersections entre propriétaires gestionnaires et exploitants actuels et futurs (voir carte) . « Nous étions les uns et les autres dans un mode prototype », rappelle David Valence. La région et son concessionnaire ont également travaillé avec les intercommunalités pour anticiper leurs projets d’aménagement autour des gares, comme les pôles multimodaux… et encourager celles qui n’y avaient pas encore réfléchi à en prendre l’initiative.

Un chantier aux couleurs de NGE

Le mode opératoire retenu a abouti à ce que le concessionnaire sélectionne dès l’amont les acteurs de la conception et de la réalisation, deux étapes qui font partie intégrante de son contrat avec la région. La maîtrise d’œuvre incombe ainsi à Setec, à NGE Ingénierie, ainsi qu’à l’agence JFS Architectes pour l’édification à Mirecourt (Vosges) d’un centre spécifique de maintenance des TER, qui rendra l’entretien des trains indépendant de la SNCF.

Quant aux travaux, ils seront largement trustés par des filiales de NGE : TSO, la spécialiste interne des renouvellements de voies, en sera la mandataire, A ses côtés, TSO Signalisation, Offroy et Sages Rail s’occuperont du volet ferroviaire, tandis que NGE GC et les filiales lorraines Muller TP et SLD TP seront chargées des terrassements et du génie civil.

Parmi les fournisseurs extérieurs, Sateba fabriquera les traverses en béton et les rails proviendront de l’usine Saarstahl d’Hayange (Moselle).

721,5 M€ de contrat de concession, dont 150 M€ de coûts de conception et réalisation.

Durée de la concession : 22 ans à partir de juillet 2024.

Travaux de l’automne 2025 à décembre 2027.

Objectif de 550 000 voyageurs par an.