LA TRIBUNE DIMANCHE – L’accès aux minerais stratégiques et aux matières premières devient de plus en plus un enjeu diplomatique. Le droit de regard sur le sous-sol ukrainien en échange du soutien militaire américain en est le parfait exemple. Comment la Commission européenne souhaite-t-elle agir dans ce climat ?
STÉPHANE SÉJOURNÉ – Nous avons listé 17 matières premières stratégiques sur lesquelles nous devons réduire notre dépendance. Faute de quoi, cela pourrait avoir des conséquences très importantes en matière d’économie et de souveraineté. Nous nous sommes donc fixé un premier horizon chiffré à 2030, qui est de ne pas dépendre à plus de 65 % d’un pays sur chacune de ces 17 matières premières. Cela vise clairement la Chine. Par exemple, sur le gallium, crucial pour la fabrication de radars ou de moyens de télécommunications, l’Europe est dépendante d’elle à 94 %. Mais avec un seul projet d’extraction minière en Grèce, non loin d’Athènes, nous pourrions couvrir 100 % des besoins européens et être souverains.
Nous visons, d’ici cinq ans, qu’un minimum de 10 % de nos besoins soient couverts par l’extraction minière en Europe, 40 % pour la transformation et 25 % pour le recyclage. À la suite d’appels à projets, la Commission a retenu 47 projets européens sur ces trois activités, qu’elle soutiendra, et 13 dans des pays tiers. C’est un plan qui permet d’aller au-delà de nos objectifs sur certaines matières premières comme le lithium.
En France, des projets d’usines sont bloqués par crainte d’atteintes environnementales. Comment faire accepter de nouveaux projets miniers en Europe ?
Pour avancer plus rapidement dans l’électrification des usages et respecter nos engagements climatiques, il nous faut des matières premières. Sur ces questions de souveraineté, l’acceptabilité macroéconomique a favorablement évolué car l’opinion a compris les enjeux. Ce sont des pans entiers de notre industrie qui peuvent tomber et mener à des destructions d’emplois. Quant à l’acceptabilité locale de chaque projet, nous avons tout de même les meilleurs standards environnementaux en Europe. Il vaut mieux des mines ici, avec lesquelles nous serons très exigeants, plutôt que des mines en Afrique qui emploient des enfants.
Par ailleurs, le contexte local et l’acceptabilité des projets ont été pris en compte dans ceux retenus afin d’aller vite. Mais nous avons rédigé un règlement européen, qui s’impose aux autorités nationales, afin d’accélérer les délivrances d’autorisation administrative. Aujourd’hui, il faut dix ans entre la décision d’investir et le début de l’extraction. Ces délais doivent être très sérieusement raccourcis. Nous visons vingt-sept mois pour obtenir un permis dans l’extraction et pas plus de quinze sur la transformation et le recyclage.
Il vaut mieux des mines ici, avec lesquelles nous serons très exigeants, plutôt que des mines en Afrique qui emploient des enfants.
Craignez-vous une guerre liée à l’accès à ces matières premières stratégiques ?
Jusqu’à présent, nous avions peu pris en considération les conséquences de ces dépendances. Ces matières premières sont de plus en plus essentielles pour des raisons industrielles ou de défense. Donc nous développons rapidement et à marche forcée notre stratégie. Je lancerai très rapidement un nouvel appel à projets auprès des pays membres de l’Union européenne. Il nous faut davantage de projets pour atteindre nos objectifs, notamment sur le recyclage. Encore 3 matières premières stratégiques, sur les 17 sélectionnées, ne sont pas couvertes par les 60 dossiers, à savoir le titane, le silicium et le bismuth.
Propos recueillis par Pierrick Merlet