Publié le
30 juin 2025 à 16h48
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Depuis sept mois, des manifestations massives se succèdent à Belgrade. Pour l’écrivain Eric Vuillard, prix Goncourt 2017, cette situation révèle la façon dont le président serbe, Aleksandar Vučić, est désormais prêt à tout pour se maintenir au pouvoir.
Cet article est une tribune, rédigée par un auteur extérieur
au journal et dont le point de vue n’engage pas la rédaction.
Il y a deux jours, les étudiants serbes ont de nouveau manifesté en très grand nombre pour réclamer des élections libres. Ils manifestent depuis sept mois dans l’indifférence des pays européens. Les étudiants serbes montrent une immense détermination. Le mouvement est né de l’effondrement d’un auvent de béton à la gare de Novi Sad qui a fait seize morts. Cet effondrement signale l’incurie du parti nationaliste au pouvoir soutenu aussi bien par Paris que par Moscou.
C’est que le pouvoir exercé par le président Vučić serait un gage de stabilité. Aussi, peu importe que la corruption gangrène le pays, peu importe qu’aucune enquête indépendante n’ait eu lieu à propos de l’effondrement meurtrier de l’auvent de la gare de Novi Sad, peu importe à la France que les étudiants depuis le mois de novembre réclament des élections anticipées. Le président stabilise les Balkans. Les Balkans sont une région du monde qui ne mérite rien d’autre. Les Serbes ne méritent pas mieux que de vagues et discutables considérations géopolitiques. Nos déclarations sur la démocratie seraient donc de pure forme ? Il faudrait réclamer plus de démocratie à la Russie, au monde arabe, à l’Iran, mais pas au gouvernement serbe, dont le rôle doit être avant toutes choses de « stabiliser les Balkans ».
Et peu importe qu’en Serbie le gouvernement soit notoirement corrompu, ultralibéral et nationaliste. Il y a dix ans, le président Aleksandar Vučić en appelait lui-même à des élections législatives anticipées lorsque cela pouvait assoir la légitimité de son parti. Et il les avait alors obtenues. Alors pourquoi les refuser à un mouvement aussi profond, aussi large, aussi déterminé que celui des étudiants ? Des centaines de milliers de personnes présentes dans la rue depuis des mois cela vaut tout de même bien les réclamations d’un parti. Un peuple, c’est tout de même davantage qu’une formation politique.
Résumons d’un trait la carrière du président serbe
Il existe un peuple en Serbie et il manifeste depuis sept mois son mécontentement par la voix de ses étudiants. Les dernières élections, en 2023, ont été entachées de nombreuses irrégularités. Mais pour mieux saisir l’ambiance, résumons d’un trait la carrière du président serbe, Aleksandar Vučić : durant la période de la guerre, il soutient une politique criminelle, et, lorsque le vent tourne, il se convertit en pro-européen convaincu. L’Europe fut son chemin de Damas. Après avoir encouragé à l’assassinat des musulmans de Bosnie, le voici qui tombe de cheval, entend la voix de Dieu, et change brusquement de vie. Désormais, il se battra pour la liberté, surtout pour la liberté économique, désormais il se veut un partenaire fiable, le garant de la stabilité des Balkans. Et, en quelques instants, il réussit semble-t-il à convaincre, tout le monde semble prêt à fermer les yeux sur son passé au nom de la sacro-sainte stabilité des Balkans.
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Le problème est que, depuis maintenant sept mois, le président serbe n’est plus du tout un gage de stabilité. Depuis que des manifestations de masse ont lieu régulièrement à Belgrade, le président serbe devient un obstacle à la stabilité du pays. Mais Aleksandar Vučić s’en fiche en réalité pas mal de la stabilité des Balkans, et il semble prêt à tout pour se maintenir au pouvoir. Ce doit être la répression de manifestations massives et démocratiques que l’on appelle désormais en France, et dans les pays européens qui le soutiennent, la stabilité des Balkans. Mais la Serbie n’est plus stable, elle est au contraire au bord du gouffre.
Comment une élite au pouvoir désoriente le peuple
On ne peut plus laisser les étudiants serbes se battre dans l’indifférence générale. Le président Vučić prétend s’être converti à la démocratie et regretter ses anciennes positions criminelles, eh bien qu’il le prouve ! Et plutôt que de s’afficher de nouveau au mariage d’un criminel de guerre condamné par la cour de la Haye, comme il le fit il y a peu, qu’il convoque des élections anticipées et qu’il démissionne ! En vérité, Aleksandar Vučić ne s’est converti à rien d’autre qu’à lui-même. C’est un autocrate qui prospère sur la destruction de l’ancienne Yougoslavie. Et quoi que l’on puisse penser de l’ex-Yougoslavie, il est triste de voir le droit du travail, le système scolaire, les droits sociaux saccagés par de vulgaires carriéristes.
Et tandis que l’on s’interroge si souvent, un vague sourire aux lèvres, sur l’inconstance des peuples, sur des votes parfois contradictoires à leurs intérêts, sur un prétendu prurit autoritaire des classes populaires, il est édifiant d’observer comment une élite au pouvoir désoriente le peuple. Le régime de Belgrade en est un exemple amer. Les étudiants serbes ont bien du courage. Il faut enfin entendre leur cri.
BIO EXPRESS
Né en 1968 à Lyon, écrivain et cinéaste, Eric Vuillard est notamment l’auteur de « la Bataille d’Occident » (2012), « Tristesse de la terre » (2014), « l’Ordre du jour » (prix Goncourt 2017), « la Guerre des pauvres » (2019) et « Une sortie honorable » (2022). Tous ses derniers livres sont publiés aux éditions Actes Sud.