6h30 ce lundi, Christian Estrosi et son épouse Laura Tenoudji quittent Nice en voiture. Ils sont tous deux convoqués à Fréjus (Var), par les gendarmes de la Section de recherche chargés d’enquêter sur une potentielle  » prise illégale d’intérêt » du couple. Leurs avocats les accompagnent. Mes Matthias Chichportich pour le maire de Nice, et Marie-Alix Canu-Bernard, pour la salariée de France Télévisions.

Dans le même temps, la patronne du groupe audiovisuel, Delphine Ernotte, a, elle, été convoquée à Marseille, siège de la juridiction interrégionale spécialisée qui a repris ce dossier judiciaire à tiroirs initié, fin 2023, par le parquet de Nice à la suite de deux signalements distincts. Le patron de CMA Media et directeur de La Tribune, Jean-Christophe Tortora, a, lui aussi, été prié de se présenter devant les gendarmes. Douze heures plus tard son téléphone portable est toujours sur messagerie.

Car voilà douze heures déjà que l’ensemble des protagonistes de cette double affaire sont en garde à vue. Elle concerne deux événements organisés à Nice en 2023. Le Nice climate summit, les 28 et 29 septembre, dont La Tribune était le partenaire principal, et l’organisation par France Télévisions, toujours dans la capitale azuréenne, du 24e concours de l’Eurovision juniors le 20 novembre.

Deux manifestations au programme desquelles le nom de Laura Tenoudji-Estrosi apparaissait. La journaliste devait animer deux tables rondes du Nice climate summit, avant d’y renoncer face à la polémique soulevée par cette participation.

Et la chroniqueuse de l’émission Télématin avait coprésenté la cérémonie d’ouverture de l’Eurovision juniors organisée à l’hôtel Negresco… dans la ville administrée par son époux. Et alors que des financements publics avaient été alloués à ces deux événements par les collectivités publiques que préside Christian Estrosi.

Presque un million d’euros d’aides municipales

Cumulées, les subventions accordées aux deux événements par la municipalité niçoise flirtent avec le million d’euros.

Dans leur signalement au parquet, les trois élus d’opposition du groupe écologiste détaillaient le montant des subsides publics votés pour le Nice climate summit: « une aide directe de 171.175 euros et une aide indirecte de 150.000 euros », avalisées par la délibération n° 3.2 du conseil municipal du 14 juin 2023.

Le compte rendu de séance précisait que « Christian Estrosi n’a pas pris part au vote ». Une mention qualifiée de « mensongère » par les trois opposants qui affirment dans leur signalement que le maire de Nice « n’a pas quitté la séance et ne s’est pas déporté » ce jour-là.

Leur missive au procureur de la République de Nice, datée du 27 septembre 2023, avait été suivie d’une autre, émanant cette fois d’un fonctionnaire de l’administration municipale. Ce « lanceur d’alerte » invoquait lui aussi l’article 40 qui fait obligation à tout agent public de porter à la connaissance de la justice tout délit dont il serait le témoin.

En l’occurrence une autre potentielle prise illégale d’intérêt, concernant, cette fois, l’organisation de l’Eurovision junior qui avait pris ses quartiers à Nice le mois suivant. Là encore, l’événement a profité de subventions: 605.000 euros dont environ la moitié sous forme d’aide directe. C’est-à-dire en argent sonnant et trébuchant, puisé dans le budget municipal, et le reste sous forme de prestations non facturées.

« Dans le cadre de mon travail », selon Laura Tenoudji-Estrosi

Faut-il y voir un potentiel conflit d’intérêts? La chroniqueuse web de l’émission Télématin depuis le début des années 2000 s’en défend. Laura Tenoudji n’avait pas hésité à qualifier de « ridicules » ces accusations dans une interview accordée à Nice-Matin en décembre 2023.

L’épouse du maire de Nice expliquait alors n’avoir tiré aucun profit personnel de ces deux manifestations. « S’agissant du Nice climate summit, déclarait-elle à l’époque, La Tribune [co-organisateur du sommet] m’a demandé d’animer deux tables rondes. Parce que j’avais déjà collaboré avec ce journal, que c’était à Nice et que j’étais dans mon écosystème, à savoir tout ce qui touche à l’innovation et à l’environnement. Mais c’était à titre bénévole! Il ne pouvait donc y avoir le moindre conflit d’intérêts. »

Pas plus d’ailleurs pour la co-animation de l’Eurovision juniors diffusée par France Télévisions dont elle est salariée depuis « plus de vingt ans ». C’est à ce titre que son employeur l’aurait sollicitée « trois semaines avant » pour qu’elle participe à l’émission. « Je ne vois pas comment j’aurais pu refuser, rétorquait à l’occasion de cet entretien la journaliste. C’était dans le cadre de mon travail. Il n’y a pas eu d’avenant à mon contrat. Et d’ailleurs, à l’époque, toutes les vérifications avaient été faites par France Télévisions pour s’assurer qu’il n’y ait justement pas de conflit d’intérêts. »

C’est précisément ce dont veulent s’assurer à leur tour les enquêteurs qui, depuis déjà plus de douze heures, questionnent le couple Estrosi-Tenoudji et les protagonistes de cette affaire. Au total, une dizaine de personnes ont été placées en garde à vue ce lundi. Des auditions qui s’éternisaient dans la soirée. Au risque d’être prolongées demain. Ce serait un très désagréable cadeau que la justice réserverait au maire de Nice qui fête ce mardi ses 70 ans.