La Ville de Marseille, en partenariat avec la revue L’Histoire et le journal La Provence, lance un événement inédit : La Folle Histoire de Marseille, un festival d’histoire publique pensé pour et par les Marseillais. Dans un contexte marqué par la défiance envers les savoirs scientifiques, les replis identitaires et la désinformation, ce festival entend replacer l’histoire au cœur de l’espace public. Son ambition ? Proposer une relecture plurielle, rigoureuse et accessible de l’histoire marseillaise, à la croisée de l’ancrage local et de l’ouverture au monde.
Pilotée par le Musée d’histoire de Marseille, avec le soutien d’Aix- Marseille Université, cette première édition, dont le temps fort est programmé pour le printemps 2026, s’ouvrira dès le 4 juillet 2025 avec une table ronde inaugurale autour du thème : « Marseille : porte du monde ? ». Une interrogation volontairement provocante, qui invite à questionner les identités, les migrations, les récits partagés – et les clichés persistants – d’une ville souvent qualifiée de cosmopolite, parfois caricaturée, toujours passionnée. Pour mieux comprendre la genèse et les ambitions de ce festival, nous avons rencontré Valérie Hannin, directrice de la rédaction de L’Histoire et co-initiatrice du projet.
Pouvez-vous nous raconter comment est née l’idée de La Folle Histoire de Marseille ?
L’idée est née au printemps dernier, lors d’une rencontre informelle, amicale entre le maire de Marseille, Benoît Payan, et un journaliste de notre groupe de presse. L’envie partagée était de concevoir avec la revue L’Histoire un festival d’histoire publique à Marseille, en y apportant notre expertise éditoriale et notre savoir-faire, développé depuis plus de 30 ans à travers notre participation à des festivals comme Blois ou Pessac.
En tant que directrice de la rédaction de la revue L’Histoire, vous êtes impliquée dans plusieurs festivals d’histoire en France. Y avait-il un manque/besoin à Marseille ?
Marseille ne manque pas de rendez-vous historiques. Il existe plusieurs événements importants auxquels nous sommes parfois partenaires, comme Aller Savoir, le festival décentralisé de l’EHESS (École des hautes études en sciences sociales, Ndlr) à la Vieille Charité, les nouvelles Rencontres d’Averroès ou encore le festival des arts et des sciences, ancien Jeu de l’Oie, porté par Amu et le Mucem. Mais ce qui manquait peut-être, c’était un festival qui soit spécifiquement centré sur l’histoire de la ville elle-même. C’est de là qu’est venue l’idée de La Folle Histoire de Marseille, un titre un peu entraînant, qui a tout de suite suscité l’enthousiasme.
Il s’agit d’un festival d’histoire publique. Que signifie ce terme parfois méconnu ?
C’est une excellente question, car l’expression peut être floue. L’histoire publique, c’est une démarche qui vise à sortir l’histoire des murs de l’université pour aller à la rencontre d’un large public, sans pour autant sacrifier l’exigence scientifique. C’est une forme d’histoire partagée, rigoureuse mais accessible, nourrie par les chercheurs autant que par les témoignages et les attentes des citoyens. L’objectif, c’est un vrai dialogue.
Sommes-nous en retard en France sur ce terrain, par rapport aux pays anglo-saxons ?
La France n’est pas en retard, c’est une différence. Dans les pays anglo-saxons, l’histoire publique est parfois enseignée ou pratiquée en dehors du cadre universitaire. En France, au contraire, elle est restée ancrée dans une formation exigeante. Le premier master d’histoire publique a été créé il y a dix ans à l’Université de Créteil, et depuis d’autres ont vu le jour. C’est une tradition différente, qui repose sur l’idée que l’histoire est un métier. On ne s’improvise pas historien. Dans une époque marquée par les fake news, ce rappel est fondamental.
Cette première édition aura pour thème » Marseille : porte du monde ? « . Une ville marquée par les migrations, les échanges, mais aussi les tensions. Comment aborder son histoire sans tomber dans les clichés ?
Justement, le point d’interrogation dans le titre est fondamental. Il nous permet de partir du cliché, pour mieux l’interroger. Oui, Marseille est un port, un carrefour de circulations depuis l’Antiquité. Oui, elle a accueilli de nombreuses populations. Mais cela n’a pas toujours été harmonieux. Le festival abordera tout cela sans esquiver les tensions, en posant toutes les questions. Par exemple : cette ville est-elle réellement plus cosmopolite que d’autres ? Comment les communautés y coexistent-elles ? C’est en regardant l’histoire en face qu’on apprend à mieux vivre ensemble, on n’esquivera rien.
Le bouquet final du festival aura lieu en mai 2026, mais une première table ronde se tiendra dès ce vendredi, le 4 juillet. Pourquoi cette anticipation ?
L’idée était de poser les jalons, de lancer une dynamique. Le festival est pensé comme un travail collectif, une co-construction. En commençant dès maintenant, on peut impliquer les acteurs associatifs, les établissements scolaires, les chercheurs. Nous espérons que dès la rentrée, élèves et étudiants commenceront à travailler sur le thème, pour une restitution au printemps.
Qui seront les intervenants de ce premier temps fort ?
La table ronde inaugurale réunira quatre intervenants majeurs : Paulin Ismard, professeur d’histoire grecque à Aix-Marseille Université ; Céline Regnard, historienne spécialiste de Marseille contemporaine ; Gilbert Buti, historien de l’histoire coloniale ; et Benjamin Stora, éminent spécialiste de l’histoire de l’Algérie et des migrations. Ensemble, ils aborderont les représentations de la ville, les rapports à l’étranger, les images que Marseille se fait d’elle-même… Ce sera une belle entrée en matière pour un festival qui espère, chaque année, explorer une autre facette de l’histoire marseillaise.