Des témoignages de femmes ménopausées, Léa Lugbull en entend presque tous les jours. « Ça concerne toutes les femmes après tout […] Ça intervient en moyenne autour des 51 ans. Rien de plus normal », résume cette jeune médecin. En France, 17 millions de femmes sont concernées par la ménopause. Pourtant, à chaque consultation, chaque discussion, cette docteure de 31 ans tire le même constat.
« C’est fou, toutes ces femmes autour de moi qui pensent que leurs douleurs sont normales et inévitables. Elles n’en parlent pas, alors qu’elles ne dorment pas, ont mal, se sentent tristes ou déstabilisées… » Y aurait-il un manque ? Un oubli ? Sur un sujet aussi tabou que celui de la ménopause – en France, une femme sur deux n’ose pas en parler à son partenaire, selon un récent rapport parlementaire – tout reste à construire.
Invisible ou banalisée, la ménopause demeure un angle mort du parcours de soins. À rebours de ce silence, le Centre hospitalier de la Côte basque a ouvert, début 2025, une unité cardio-gynécologique spécifiquement dédiée aux femmes ménopausées. Une initiative encore rare : moins d’une dizaine d’unités similaires existent sur le territoire national. Il s’agit de la toute première en Nouvelle-Aquitaine.
La seule de la région
Car la ménopause ne se limite pas à quelques bouffées de chaleur et à un florilège de blagues vaseuses. C’est un moment charnière où le risque cardiovasculaire augmente et l’ostéoporose peut s’installer. L’alimentation et le corps changent. « C’est un moment qui cristallise de nombreuses inégalités, j’avais envie d’agir », confie à son tour le docteur Jean-Baptiste Berneau, cardiologue.
« C’est un moment qui cristallise de nombreuses inégalités, j’avais envie d’agir »
En six mois, ces deux médecins ont monté cette unité inédite dans la région. Tout y est pensé pour une prise en charge globale : « On a cette chance d’être à l’hôpital, dans une logique pluri-professionnelle. On peut solliciter rhumatologues, urologues, sexologues, acupunctrice, psy… On ne travaille pas seul dans son coin », argumente Léa Lugbull. Le dossier de chaque patiente est centralisé, partagé entre les services, évitant toute perte d’information.
« Elles n’en parlent pas, alors qu’elles ne dorment pas, ont mal, se sentent tristes ou déstabilisées… », témoigne le docteur Lea Lugbull.
Nicolas Mollo/ « Sud Ouest »
Mais derrière cet aspect pratique, l’enjeu sanitaire est majeur. Mieux dépister, mieux soigner et surtout, redonner leur place aux femmes. « On sait que la ménopause est un facteur de risque cardiovasculaire. Et pourtant, les femmes sont très mal prises en charge pour ça. C’est la première cause de mortalité féminine. Chaque jour en France, deux femmes meurent dans un accident de la route, 33 d’un cancer du sein et 200 femmes meurent de maladies cardiovasculaires », alerte le docteur Berneau, qui explique que « neuf fois sur dix, on pourrait l’éviter ».
« La ménopause est un facteur de risque cardiovasculaire. Chaque jour en France, 200 femmes meurent de maladies cardiovasculaires »
Autre frein identifié : la peur du traitement hormonal substitutif. « Depuis une étude américaine des années 2000, on a pris peur à cause d’un supposé surrisque de cancer du sein. Mais cette étude ne s’appliquait pas au contexte français, ni aux produits qu’on utilise ici », explique Léa Lugbull. Résultat, des milliers de femmes se privent depuis 20 ans d’un traitement qui pourrait soulager significativement leurs symptômes. « Aujourd’hui, on peut être beaucoup moins frileux. Il y a des contre-indications, oui, mais on sait mieux les évaluer. »
Des rendez-vous le mardi
« Les femmes nous disaient : ‘’Comment ça, dans un rayon de 3 heures, personne ne peut m’aider ?’’ Certaines vont jusqu’à Toulouse pour être suivies. D’autres arrivent épuisées : elles dorment mal, changent de pyjama deux fois par nuit, n’arrivent plus à se concentrer au travail. Elles se sentent abandonnées », regrette Léa Lugbull.
Le docteur Jean-Baptiste Berneau souhaité monter une unité cardio-gynécologique depuis plusieurs années.
Nicolas Mollo/ « Sud Ouest »
Aujourd’hui, les premières patientes sont accueillies chaque mardi. Pour prendre rendez-vous, ces dernières sont invitées à se rapprocher de leurs gynécologues ou médecins habituels dans un premier temps. « On a mis six mois à tout mettre en place. Il a fallu convaincre, trouver les moyens. Ce n’est pas un sujet qui motive les foules. Mais on y est arrivé », sourit Léa Lugbull. Un premier pas contre l’invisibilisation d’un sujet qui concerne… la moitié de la population.
Un rapport parlementaire
En début d’année, une mission parlementaire sur la ménopause a été lancée et confiée à Stéphanie Rist, députée Ensemble pour la République (EPR) du Loiret et rhumatologue. Dans son rapport remis à la ministre du Travail et de la Santé, Catherine Vautrin, on découvre que « 80 % des femmes pensent qu’il faudrait en parler davantage ». Cette dernière préconise 25 mesures « pour faire de la ménopause une priorité de santé publique » et « garantir une prise en charge adaptée ».