Le pôle Courbet, à Ornans, propose une saison sous le signe de la nature avec deux expositions complémentaires. L’une, au Musée Courbet, s’intéresse aux artistes marcheurs du XIXe siècle qui ont éprouvé le paysage avant de l’immortaliser, l’autre donne carte blanche à Eva Jospin dans l’Atelier récemment restauré. À voir jusqu’au 19 octobre.

« Seules les pensées qui vous viennent en marchant ont de la valeur », disait Nietzsche. Regarder la nature est une chose, l’arpenter et en faire l’expérience physique en est une autre. C’est sous cet angle que le Musée Courbet étudie la question du paysage au XIXe siècle en réunissant, autour de la figure de Gustave Courbet – lui-même grand marcheur -, des œuvres d’adeptes du plein air comme Pierre-Henri de Valenciennes, Théodore Rousseau, Stanislas Lépine, Auguste Renoir, Paul Signac, Paul Cezanne… En parallèle, l’Atelier Courbet invite la plasticienne Eva Jospin (née en 1975), dont les créations oniriques, nourries de références au passé, entrent en résonance avec l’œuvre du maître d’Ornans.

Du réalisme à l’impressionnisme

Pour concevoir l’exposition « Paysages de marche », Benjamin Foudral, directeur et conservateur du Musée et Pôle Courbet, a travaillé en collaboration avec l’historien de l’art Pierre Wat, auteur de l’ouvrage Pérégrinations. Paysages entre nature et histoire (2017). Ensemble, ils ont réuni une soixantaine d’œuvres – peintures, dessins, sculptures et photographies – provenant du musée d’Orsay, du Louvre, de la Fondation Custodia, du musée d’Art et d’Archéologie de Valence, des musées des Beaux-Arts de Quimper, Reims, Dole, Nantes, Dijon… Présentées au fil de sections thématiques, toutes éclairent les raisons et modalités du déplacement chez les artistes.

Gustave Courbet, Le Chêne de Flagey, dit aussi Chêne de Vercingétorix, camp de César près d’Alésia, 1864, huile sur toile, 103 x 125,7 cm, Ornans, musée départemental Gustave Courbet © Musée départemental Gustave Courbet / Photo : Pierre Guenat

Gustave Courbet, Le Chêne de Flagey, dit aussi Chêne de Vercingétorix, camp de César près d’Alésia, 1864, huile sur toile, 103 x 125,7 cm, Ornans, musée départemental Gustave Courbet © Musée départemental Gustave Courbet / Photo : Pierre Guenat

En 1799, dans le texte Réflexions et conseils à un élève sur la peinture et particulièrement sur l’art du paysage, Pierre-Henri de Valenciennes est l’un des premiers artistes à parler de la marche comme d’un « avant » nécessaire à la représentation de la nature. Le cheminement et l’errance ouvrent l’exposition, entre itinéraires tracés (Alfred Sisley, Auguste Renoir et son Chemin montant dans les hautes herbes) et découverte d’espaces plus sauvages, hors des sentiers battus (au hasard de la forêt pour Théodore Rousseau et les peintres de Barbizon). En phase avec l’idéal romantique, incarné par la figure du Wanderer allemand, marcher sans but, c’est accepter de se perdre pour mieux se trouver.

Théodore Rousseau, Intérieur de forêt, entre 1836 et 1837, huile sur toile, 65 x 103 cm, Paris, musée d'Orsay © GrandPalaisRmn (musée d'Orsay) / Sylvie Chan-Liat

Théodore Rousseau, Intérieur de forêt, entre 1836 et 1837, huile sur toile, 65 x 103 cm, Paris, musée d’Orsay © GrandPalaisRmn (musée d’Orsay) / Sylvie Chan-Liat

Fouler la terre et tutoyer les sommets

Consacré aux territoires familiers, un autre chapitre montre à quel point certains peintres, tels Gustave Courbet, Auguste Pointelin ou Léon Frédéric, connaissent les paysages qu’ils représentent. Ce sont ceux de l’enfance, de la mémoire, de l’affect. Plus loin, avec Jean-François Raffaëlli ou Georges Michel, le parcours aborde la question, centrale au XIXe siècle, de la frontière ville-campagne, redéfinie à l’heure de l’industrialisation.

Auguste Pointelin, Paysage, combe, vers 1924-1925, huile sur toile, 52,7 x 72.6 cm, Dole, musée des Beaux-arts © Musée des Beaux-Arts de Dole, cl. P. Guenat

Auguste Pointelin, Paysage, combe, vers 1924-1925, huile sur toile, 52,7 x 72.6 cm, Dole, musée des Beaux-arts © Musée des Beaux-Arts de Dole, cl. P. Guenat

Se confronter à la nature, c’est aussi prendre conscience que l’on foule des terres chargées d’histoire, façonnées par les siècles (Paul Cezanne au cœur des anciennes carrières de Bibémus, près d’Aix-en-Provence). Enfin, la marche peut être synonyme d’aventure et d’effort physique intense. En témoigne le peintre-alpiniste Gabriel Loppé, figure méconnue dont les somptueux paysages de montagne bénéficient d’une salle entière. « Au XIXe siècle, le monde accélère. C’est le temps du progrès technique, du développement du chemin de fer. En se focalisant sur la marche, qui mobilise le corps et l’esprit, l’exposition est à la fois un hymne à la nature et un éloge de la lenteur », poursuit Benjamin Foudral.

Gabriel Loppé, Dent du Géant et Glacier du Géant, avec trois ascensionnistes, 1882, huile sur toile, 192 x 150 cm, Chamonix, Association « Les Amis du Vieux Chamonix » © Collection Amis du Vieux Chamonix

Gabriel Loppé, Dent du Géant et Glacier du Géant, avec trois ascensionnistes, 1882, huile sur toile, 192 x 150 cm, Chamonix, Association « Les Amis du Vieux Chamonix » © Collection Amis du Vieux Chamonix

L’art de prendre son temps

La même philosophie traverse la « Chambre d’écho » d’Eva Jospin à l’Atelier Courbet, qui après plusieurs moins de restauration, redevient un lieu dédié à la création. En dialogue avec deux toiles du maître – La Remise de chevreuils et La Source de la Loue – l’artiste dévoile six œuvres inédites à la croisée du dessin, de la sculpture et de l’installation, entre dentelle de carton et broderie au fil de soie. Une promenade au cœur de forêts et de grottes imaginaires, une parenthèse enchantée propice à la contemplation et à la rêverie.

Eva Jospin, Herbes, 2015, bois et carton, 164 × 280 × 74 cm, collection de l'artiste © Atelier Eva Jospin, Adagp, Paris, 2025

Eva Jospin, Herbes, 2015, bois et carton, 164 × 280 × 74 cm, collection de l’artiste © Atelier Eva Jospin, Adagp, Paris, 2025

« Eva Jospin avait déjà dialogué avec Courbet en 2019 lors d’une exposition à Ferrare. J’ai immédiatement pensé à l’inviter, et c’est à partir de là que s’est construite notre saison “Art et nature“. Le Musée et l’Atelier se font écho, avec d’un côté le paysage vécu par les artistes marcheurs au XIXe siècle, de l’autre la nature rêvée d’Eva Jospin », explique Benjamin Foudral.

« Paysages de marche. Dans les traces de Rousseau, Courbet, Renoir, Cézanne et les autres »
Musée Courbet, 1 place Robert Fernier, 25290 Ornans
&
« Eva Jospin. Chambre d’écho »
Atelier Courbet, 14 avenue du Maréchal de Lattre de Tassigny, 25290 Ornans
du 28 juin au 19 octobre
« Nuances végétales. Hélène Combal-Weiss »
La Ferme Courbet, 28 Grande rue, 25330 Flagey
Jusqu’au 4 janvier 2026

#CultureEtRuralité – découvrez le musée Courbet à Ornans