Après Slalom, Charlène Favier brosse avec Oxana, un nouveau portrait de femme vibrant en salle mercredi. Son film revient sur la lutte d’Oxana Chatchko (dont le prénom peut aussi s’écrire Oksana), l’une des activistes qui fonda le mouvement des Femen en 2008. « Elle se sentait investie d’une mission, explique Charlène Favier à 20 Minutes. Elle disait que l’art, c’est la révolution, ce qui me parle énormément. Cela a été un point d’ancrage pour moi. » Elle a confié à la jeune actrice ukrainienne Albina Korzh le rôle de cette militante, artiste pétillante de vie et de courage.

Oxana Chatchko s’est donné la mort en 2018 à l’âge de 31 ans mais son esprit habite le film qui la fait revivre. « Comme elle, j’ai appris à peindre des icônes, raconte Albina Korzh. Ce geste artistique m’a appris à mieux la comprendre car je la connaissais mal : elle est totalement oubliée en Ukraine. »

L’impudique et le pudique

Les Femen provoquent la réflexion au péril de leur vie. Charlène Favier ne cache pas les violences qu’elles subissent, sans pour autant la montrer de façon appuyée. Elle provoque l’admiration du spectateur ébloui par leur courage qui n’en est que plus total quand elles montrent leurs seins comme un défi au patriarcat. « Leur façon de se dévêtir est impudique mais pas du tout sexualisée, explique la cinéaste. J’ai souhaité que mon film ressemble au mouvement Femen avec ce côté paradoxal qui en fait la force encore aujourd’hui. » La solidarité entre les membres du collectif fondateur cède la place à l’ego surdimensionné de l’une d’elles mais les Femen continuent d’exister dans le monde entier.

« Le suicide d’Oxana est à la fois un message politique et une démarche artistique, déclare la réalisatrice. Son message d’adieu « You are fake » (« Vous êtes faux ») le prouve. Elle lance un cri de colère en interpellant tous les dictateurs qui essayent de retourner les civils pour tenter d’imposer leur régime autocrate. Elle le dit à tous ceux et celles qui essayent de récupérer les mouvements pour attirer l’attention sur eux-mêmes plutôt que sur la cause qu’ils défendent. »

L’âme d’Oxana

L’engagement d’Oxana et de ses camarades leur fait prendre des risques énormes qui finiront par les contraindre à l’exil en France quand leur vie est menacée. « J’ai tout de suite vu Jeanne d’Arc dans le parcours d’Oxana, dans son besoin de s’insurger contre les injustices du monde, insiste la réalisatrice. J’ai voulu qu’on rencontre l’âme d’Oxana, qu’on la connaisse intimement. J’ai été complètement possédée par le personnage. » Charlène Favier a parlé à de nombreux intimes de l’activiste pour mieux appréhender son histoire et sa personnalité.

Albina Korzh après 'linterview de « 20 Minutes » avec l'incône qu'elle a dessinéeAlbina Korzh après ‘linterview de « 20 Minutes » avec l’incône qu’elle a dessinée - Caroline Vié / 20 Minutes

Elle est parvenue à communiquer sa passion à Albina Korzh ce qui permet à la comédienne de faire ressentir toute l’ambivalence de la militante et de la femme. « Oxana était une fille qui est appelée par Dieu, mais qui est contre la religion, qui aime les hommes et le sexe mais qui se bat contre le patriarcat, qui a vécu l’exaltation de la création d’un grand mouvement révolutionnaire mais qui s’est fait complètement détruire par son évolution qui lui a échappé », dit-elle. La pureté de l’artiste la rend perméable aux agressions et à la récupération de ses idées généreuses par des militantes autocentrées.

L’héritage d’Oxana

Charlène Favier a su rendre la puissance communicative de la révolte d’Oxana, celle qui anime autant les actrices du film dans la vraie vie comme sur l’écran. « On avait constamment l’impression qu’elle était avec nous, se souvient la cinéaste. Sa présence déteignait sur ma relation avec les comédiennes. Nous ne nous connaissions pas avant le tournage, nous ne parlions pas la même langue, mais nous étions unies par notre connexion avec elle qui se manifestait dans un engagement total sur le film ». La ferveur qui habite Oxana (le film) rejoint celle d’Oxana (l’activiste) et vice-versa pour un long métrage lumineux malgré sa fin tragique.

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Les Femen ont disparu d’Ukraine mais leur esprit rebelle ne s’est pas envolé pour autant. « Le mouvement a pris une autre forme. Beaucoup de femmes se sont engagées dans l’armée. Et on ne lâche pas le féminisme non plus. On a fait récemment une manifestation de protestation contre le harcèlement sexuel au théâtre », révèle Albina Korzh. Cette nouvelle façon de lutter contre l’injustice ranime la flamme allumée par Oxana. La comédienne va elle-même repartir pour l’Ukraine après la promotion parisienne du film. « C’est là qu’est ma vie, martèle-t-elle. J’ai plus peur quand je suis loin de l’Ukraine et de mes proches que quand je suis chez moi. Il m’est impossible de vivre ailleurs que dans mon pays. »