La nuit tombe sur la haute vallée du Var. Au-dessus des Gorges de Daluis, les cimes du Mercantour se détachent en ombres chinoises. Peu à peu les yeux s’habituent à l’obscurité. Et scrutent l’apparition des lucioles.

« Ici regardez, j’en vois une! », s’écrie Enzo, enthousiaste. Chapeau d’explorateur sur la tête, le garçon a pris la tête du cortège d’une vingtaine de personnes qui participent à cette balade nocturne à l’initiative de la Réserve internationale de ciel étoilé.

L’objectif: inciter les citoyens à faire remonter leurs observations de lucioles pour protéger cet insecte en déclin.

Il est un peu plus de 22h, et, en lisière du camping des Rouges Gorges, au cœur du Colorado niçois, la féerie opère. Des petits points luminescents s’élèvent dans le ciel pur, constellé d’étoiles.

Un déclin préoccupant

« Les lucioles diminuent depuis au moins les années 1990 », explique Sterenn Poupard. Chargée de mission de la Réserve internationale de ciel étoilé Alpes Azur Mercantour à la communauté de communes Alpes d’Azur, la jeune femme s’est emparée du sujet il y a quatre ans.

« On s’est intéressés à une espèce de notre région la luciola lusitanica parce qu’on s’est aperçus qu’elle n’était pas considérée comme en voie de disparition par l’Union Internationale pour la conservation de la nature (UICN). »

Pourtant, pointe Sterenn Poupard, son territoire s’est réduit.

« A l’époque, elle allait jusque dans le Gard. Or aujourd’hui, elle est essentiellement localisée en France dans les Alpes-Maritimes, et les zones limitrophes du Var et des Alpes-de-Haute-Provence. Alors, si on ne se saisit pas du problème, elle risque potentiellement de disparaître. »

Observer leur présence et suivre leur évolution

Pour faire face à ce déclin, la communauté de communes Alpes d’Azur et le département des Alpes-Maritimes ont lancé, l’opération « En quête de Lucioles ».

« C’est un grand programme de sciences participatives qui permet à chacun de faire remonter jusqu’au 18 août ses observations sur trois départements: les Alpes-Maritimes, le Var et les Alpes-de-Haute-Provence. »

Pas besoin de vivre à la campagne ou à la montagne pour participer.

« On trouve même des lucioles en ville, dans les jardins, sur les collines niçoises, à La Trinité, autour de Menton. »

Sterenn Poupard, chargée de mission

Ses lieux de prédilection: les zones humides, les jardins et prairies aux herbes hautes.

« C’est une espèce facile à identifier. Elle est très distinguable des autres vers luisants ou lucioles, parce qu’elle vole et elle clignote avec une lumière jaune-blanche. »


Sterenn Poupard présente la luciola lusitanica afin que les participants puissent l’identifier. Photo Franck Fernandes.

Comment participer aux observations?

Quand la nuit tombe, si vous apercevez dans votre jardin ces insectes luminescents, vous pouvez partager vos observations.

« Si vous avez pris une photo, il suffit de télécharger sur votre smartphone l’application INPN-Espèces, et d’enregistrer les informations, détaille Sterenn Poupard. Toutes les données sont envoyées à un registre national. »

La deuxième option consiste à remplir un questionnaire, sans avoir besoin d’adjoindre une photo. Il s’agit notamment d’indiquer le lieu, la date et l’heure d’observation, la température extérieure, et de quantifier le nombre de lucioles observées.

« L’année dernière on a déjà recueilli une cinquantaine d’observations qui nous ont permis d’attester sa présence dans un secteur allant de Guillaumes, dans la haute vallée du Var à Nice, et jusqu’à la vallée de la Roya. »

Cette année, Sterenn Poupard espère mobiliser un plus grand nombre d’habitants afin de mieux connaître l’évolution de cette espèce.

A quoi serviront ces observations?

« Ces remontées d’informations nous permettent de cartographier la présence des lucioles, et aussi là où elles sont en diminution justement, pour essayer d’en comprendre les causes. »

Et entreprendre des actions concrètes pour les protéger.

L’opération se renouvellera chaque été, jusqu’en 2027. Date à laquelle des spécialistes viendront faire des études de terrain sur la base des observations effectuées par les habitants.

« Nous manquons actuellement de données suffisantes pour quantifier ces déclins. »

Raphaël De Cock, spécialiste lucioles UICN

Le coordinateur du groupe de spécialistes des lucioles de l’UICN pour l’Europe* insiste sur l’importance d’associer les citoyens aux observations. 

« Ils sont nos yeux. Grâce aux bénévoles nous avons déjà pu inscrire sur la liste rouge de l’Union Internationale pour la conservation de la nature 10 espèces de lucioles sur 65 identifiées. En général, elles sont menacées par le changement climatique, la perte et la dégradation de l’habitat, et la pollution lumineuse. »

L’éclairage nocturne, menace numéro 1

La lumière perturbe la reproduction, car le mâle a plus de difficulté pour repérer la femelle qui n’est pas capable de voler et produit donc de la lumière depuis le sol. « Il y a eu un gros déclin des lucioles à partir des années 1990, ce qui correspond au moment où l’éclairage public a été étendu partout, même dans les petits villages. Or on peut agir sur ces éclairages, et c’est ça qu’on vise vraiment. Et la bonne nouvelle, c’est que ça marche! », conclut Sterenn Poupard.

De nombreuses communes ont déjà commencé à se saisir du sujet. A savoir, préserver le ciel nocturne pour protéger la biodiversité. C’est le cas de Grasse, Vence, Péone-Valberg…

« Depuis 2014, on est labellisé Villes et villages étoilés. Pour diminuer la pollution lumineuse à Péone-Valberg on a commencé par augmenter les plages horaires d‘extinction des lumières. Puis on a rénové les éclairages, abaissé des candélabres, installé des éclairages LED aux tons chauds », détaille Marie-Amélie Ginésy. La vice-présidente du syndicat intercommunal de Valberg et conseillère municipale à Péone souligne l’impact de cette politique: « on a vu par exemple réapparaître des lucioles. »

Victimes du réchauffement climatique

Le changement climatique représente aussi une menace pour le coléoptère.

« Le changement climatique affecte tout. En particulier en cas de sécheresse, car les lucioles et surtout leurs larves aiment l’humidité, explique Richard Joyce, biologiste chargé de la préservation des espèces menacées au sein de la Fondation américaine Xercès. Au cours de leur jeune stade de vie, elles mangent d’autres invertébrés. D’autres petits animaux rampants, qui aiment aussi l’humidité. Comme les escargots et les limaces. Donc, quand nous avons, vous savez, des périodes sèches anormales, c’est vraiment difficile pour la survie des lucioles. »

Conserver des herbes hautes dans les jardins

Autres causes de leur disparition: la tonte des pelouses et fauchages des prairies. Un habitat privilégié des lucioles.

« Si tout le monde consacrait environ un tiers de son jardin, ou un tiers ou plus de son jardin, à l’habitat des lucioles et autres insectes, cela ferait une très grande différence », commente Richard Joyce, 

* Raphaël De Cock est notamment l’auteur du dernier rapport sur la luciola lusitanica publié par l’UICN.