Envie Rhône-Alpes, pan associatif de l’entreprise de réinsertion professionnelle, actrice de premier plan de l’ESS dans le département, est en redressement judiciaire. Et avec, la moitié de l’activité du site stéphanois, créé en 2022. Celle consacrée à la réparation / revente du matériel électroménager – couplée donc ici avec la logistique – qui souffre d’effets indésirables de la loi anti-gaspillage Agec. Elle qui l’a paradoxalement amenée à se développer…   

L’entrée du site d’Envie au Soleil créé entre 2022 et début 2023. ©If Médias / Xavier Alix

Envie piégée par sa propre rampe de lancement. Par la loi même qui devait lui donner quelques assurances sur son avenir. Paradoxe appris lors de la visite le 26 juin à Saint-Etienne de l’ex-ministre Benoît Hamon. Sur fond de « pré-campagne » des Municipales, l’actuel président d’ESS France était l’invité du groupe d’opposition PS et apparentés Saint-Etienne Demain pour « une journée consacrée aux initiatives locales de l’économie sociale et solidaire (ESS) et aux associations stéphanoises de soutien aux réfugiés ». L’actuel site d’Envie à Saint-Etienne était la première étape. A priori assurée de voir ses débouchés dopés par « loi anti-gaspillage pour une économie circulaire » (loi dite Agec, 2020), Envie pensait s’être fait avec celui-ci une belle place au Soleil.

Cet acteur type de l’ESS avait décidé de regrouper dans ce quartier ses activités stéphanoises jusque-là réparties entre Montplaisir et Saint-Priest-en-Jarez dans un seul et unique site alors en friche, autrefois dévolu à la messagerie Geodis. Nous l’avions détaillé dans cet article datant de la pose symbolique de la première pierre, en septembre 2022. Plus de 4 M€ ont été investis pour rebâtir, sinon remanier profondément les lieux et les adapter à des besoins annoncés croissants. Depuis 2023, le nouvel « outil » d’Envie dans la Loire s’étalait donc sur ces 10 000 m2 dont 2 500 de bâtiments, entièrement refaits, dotés d’une vaste halle de 2 000 m2. Voilà 35 ans, dans la Loire, qu’Envie collecte, répare, réemploie et vend des équipements électriques et électroniques. De l’électroménager en particulier : 10 000 appareils récupérés en 2022 mais, aussi, des produits multimédias.

Baisse d’effectifs

A l’époque, un total d’une cinquantaine de personnes travaillait pour l’entreprise à Saint-Etienne (et 15 autres encore à Roanne) dont les deux tiers sont en réinsertion, une association à échelle régionale (limitée géographiquement à la partie Rhône Alpes d’Aura) étant derrière la société commerciale qui répare et revend le matériel avec son propre magasin sur place accessible au grand public. Là-bas, le « réparé » s’y vend 40 % moins cher que le produit équivalent mais neuf ; le simple « reconditionné » récupéré pour telle ou telle raison (petit défaut esthétique ou petit endommagement sans autre conséquences ; série qui ne se vend plus, sortie des catalogues etc.) auprès d’un distributeur traditionnel sans que le fonctionnement ne soit altéré. Dans les deux cas, avec 2 ans de garantie.

Dans les ateliers d’Envie Rhône-Alpes à Saint-Etienne. ©If Médias / Xavier Alix

Il s’agit d’une des deux activités déployées au Soleil depuis 2 ans, auparavant effectuée à Monthieu. Elle implique une chaîne de diagnostic / réparation avant boutiques. Chaîne qui est, elle, alimentée par la seconde activité du site, purement logistique, de son côté et au montage juridique indépendant, hors de l’association Envie Rhône-Alpes – l’entité Loire d’Envie 2E – consistant à aller chercher auprès des distributeurs et déchèteries publiques (objet d’appels d’offre directs ou en sous-traitance) le matériel pour ensuite leur revalorisation et revente. Sinon leur démontage intégral en vue de négocier ce qui peut l’être, morceau par morceau, à des ferrailleurs par exemple. 10 000 t ont ainsi été collectés dans la Loire en 2024. Chacune de deux activités comptait une trentaine de salariés début 2024 (encadrement compris), avec des effectifs en hausse donc quant à la filière associative portant sur la réparation / reconditionnement / revente. Celle-ci n’en compte plus qu’une vingtaine depuis la fin de l’année.

Pas de licenciements secs à ce stade

Il ne s’agit pas de licenciements secs pour ces contrats d’insertion – des CDDI, renouvelables de six mois en six mois 2 ans – accompagnés par l’Etat mais de non remplacement. Y compris pour des personnes étant parvenues à sortir de ce statut qui n’est pas une fin en soi mais une rampe vers la réinsertion professionnelle définitive. Baisse d’effectif qui traduit une difficulté non propre à la Loire mais à l’ensemble d’Envie Rhône-Alpes, placée en redressement judiciaire le 29 avril. Et c’est un effet collatéral inattendu de la Loi Agec, celle qui a poussé la structure au développement qui serait responsable, explique son vice-président Philippe Vial, présent lors de la venue de Benoît Hamon jeudi. « Les distributeurs, des grandes enseignes de l’électroménager nous fournissent de moins en moins en matériel vite revendable (celui qui n’est pas déjà usager et à réparer), demandant le moins de travail et permettant donc le plus de plus-value pour le revendre moins cher mais eux-mêmes, schématise-t-il. D’autre part, des acteurs « low cost » sur ce même créneau sont plus nombreux et nous concurrencent. »

Les distributeurs, des grandes enseignes de l’électroménager nous fournissent de moins en moins en matériel vite revendable pour les revendre eux-mêmes.

Philippe Vial, vice-président d’Envie Rhône-Alpes

Il poursuit : « C’est ce qui nous met en difficulté, un effet de la loi Agec qui semble ne pas avoir été assez pris en compte malgré les encouragements et les assurances données à l’époque… Nous espérons parvenir à compenser en se tournant davantage vers des pros, des collectivités plutôt que de particuliers avec des ventes groupées. Nous venons de le faire avec un foyer dans le Rhône équipé de 37 machines à laver. Et nous essayons de nous rapprocher de bailleurs comme Loire habitat 2 fleuves sur la même idée. » Objectif : sortir du redressement dans maintenant moins de 4 mois ou au moins que la situation n’empire pas. Il faudra que le chiffre d’affaires, déjà passé d’1,18 M€ en 2022 à 0,941 M€ en 2024, pour l’instant sur des bases stationnaires en 2025, ne plonge pas. Pour résumer, « Envie est privée du « gisement » de meilleure qualité essentielle à son modèle économique », commente Benoît Hamon à l’issue de sa visite.

« Même le Medef en parle ! » 

Benoît Hamon échangeant avec les salariés d’Envie affectés à la réparation. ©If Médias / Xavier Alix

L’actuel président d’ESS France estime que cet aspect de la Loi Agec bénéficiant aux entreprises et association d’insertion a été détourné, faute de vigilance, de réglementation se jouant au niveau ministériel et au bon moment pour l’anticiper par les distributeurs qui contraignent les éco-organismes. Benoît Hamon va plus loin, comme on pouvait s’en douter, dénonçant une menace plus globale sur l’ensemble de l’ESS en France avec la réduction des « aides aux postes ». Les contrats proposés par des structures comme Envie, dans l’objectif contractuel ave l’Etat d’insérer « des personnes éloignées de l’emploi », sont en effet très subventionnés : environ un tiers du coût total pour l’employeur.

Or, « les aides aux postes ont dans, leur masse, reculé de 2 % dans le budget national en 2025 et on s’achemine vers de nouvelles coupes avec le suivant, s’inquiète Benoît Hamon. Selon l’Udess, cela a déjà entraîné la suppression de 185 000 postes ! Même le Medef en parle ! » Selon les chiffres communiqués par Saint-Etienne Demain, Saint-Etienne Métropole présente une « densité exceptionnelle d’emplois » dans le secteur de l’ESS : « Plus de 21 000 emplois locaux, soit 14 % de l’emploi total et près de 20 % dans le seul secteur privé, un poids 35 % supérieur à la moyenne nationale.Saint-Étienne Métropole est aujourd’hui la deuxième métropole de France en part d’emplois dans l’ESS. »