Lors d’un discours prononcé à l’École de guerre en février 2020, le président Macron rappela que les « intérêts vitaux de la France avaient une dimension européenne » et qu’il était par conséquent prêt à ouvrir un « dialogue stratégique » avec les pays membres de l’Union européenne [UE] sur le « rôle de la dissuasion nucléaire française dans notre sécurité collective ». Évidemment, il était hors de question d’en partager le contrôle.
Seulement, cette offre de dialogue stratégique fut boudée, notamment par l’Allemagne où l’on estimait que rien ne devait remettre en cause le « parapluie nucléaire américain » auquel elle participe actuellement, en abritant des armes nucléaires tactiques B61 sur son territoire. « Il faut savoir concrètement de quoi il en retourne. […] Pour l’instant, la seule certitude, c’est que les Français ne veulent en aucun cas placer leur arsenal nucléaire sous un commandement européen, » avait déclaré Annegret Kramp-Karrenbauer, alors à la tête du ministère allemand de la Défense.
À l’époque vice-président du groupe parlementaire de l’Union démocrate-chrétienne [CDU] au Bundestag et proche de la chancelière Angela Merkel, Johann Wadephul avait été plus catégorique. Le président « Macron nous a toujours invités à penser européen. Mais on ne peut pas seulement européaniser ce qui est cher aux Allemands [comme la mise en place d’un budget de la zone euro]. Il faut aussi européaniser ce qui est cher aux Français et c’est le cas de la force de frappe française », avait-il dit.
Depuis, M. Wadephul a pris du galon : il est devenu ministre des Affaires étrangères au sein de la coalition gouvernementale dirigée par le chancelier Friedrich Merz. Au moment de prendre ses fonctions, ce dernier a d’ailleurs dit vouloir « parler avec la France et le Royaume-Uni » de la question de la dissuasion nucléaire sur le continent européen. Et d’ajouter que cette discussion devait être « vue de façon explicite comme complément à ce que nous [les Allemands] avons déjà avec nos partenaires américains au sein de l’Otan ».
Cela étant, outre-Rhin, d’autres voix entendent aller plus loin. Lors des élections européennes de 2024, la tête de liste du Parti social-démocrate [SPD], Katarina Barley, avait estimé que la nécessité pour l’UE de se doter d’une dissuasion nucléaire « pourrait devenir un enjeu » dans la « perspective d’une défense européenne ». Quid du pouvoir de décision ? Elle avait éludé cette question.
Président du Parti populaire européen [PPE] et alors candidat à propre succession, Manfred Weber [CDU/CSU] avait défendu la même ligne. « La plus grande promesse de l’Europe est de vivre ensemble en paix. […] Nous devons renouveler cette promesse en ces temps historiques. Plus précisément, l’Europe doit devenir si forte militairement pour que personne ne veuille rivaliser avec nous. Cela signifie que nous avons besoin de dissuasion. La dissuasion inclut les armes nucléaires », avait-il affirmé dans les pages du quotidien Bild.
Cette idée de « dissuasion nucléaire européenne » a de nouveau été évoquée par Jens Spahn, l’actuel président du groupe parlementaire de la CDU au Bundestag.
« Je sais que cela va susciter immédiatement des réflexes défensifs. Mais oui : nous devrions débattre d’un parapluie nucléaire européen indépendant. Et cela ne fonctionnera qu’avec le leadership allemand », a en effet affirmé M. Spahn, lors d’un entretien publié par le journal « Welt am Sonntag », le 29 juin.
« Des bombes nucléaires américaines sont également stationnées en Allemagne à cette fin. Mais, à long terme, cela ne suffit pas. Nous devons discuter d’une participation allemande ou européenne à l’arsenal nucléaire de la France et du Royaume-Uni, et éventuellement de notre propre participation avec d’autres États européens. Cela coûtera cher. Mais ceux qui veulent une protection doivent aussi la financer », a-t-il ajouté.
« La France ne nous laissera certainement pas toucher à son bouton rouge, pour rester dans la métaphore. Mais plusieurs idées existent pour une puissance nucléaire européenne, même si certaines paraissent a priori alambiquées et théoriques », a enchaîné M. Spahn. Et d’avancer l’idée d’une « rotation aléatoire des responsabilités entre les États membres » afin de laisser un « adversaire potentiel » dans l’incertitude.
Lors d’un déplacement au Luxembourg, le 1er juillet, M. Merz a réagi aux propos de son chef de groupe parlementaire… en bottant en touche. Ainsi, il a commencé par rappeler qu’il avait accepté l’offre de M. Macron sur une éventuelle coopération en matière de dissuasion nucléaire, avant de souligner qu’il « n’y a pas de nouvelles initiatives pour l’instant ».
Cependant, a-t-il poursuivi, « créer une dissuasion nucléaire indépendante des États-Unis est une tâche qui s’inscrit dans une perspective à très, très long terme, car il y a de nombreux problèmes à résoudre, qui vont au-delà de la période où nous devons d’abord améliorer la capacité de défense de l’Europe avec les structures existantes ». Et d’insister : « Nous devons tout mettre en œuvre pour maintenir le partage du nucléaire avec les États-Unis dans les années, voire les décennies à venir ».
Photo : Mnistère allemand de la Défense